Lincontournable
autoformation
Des
chercheurs en sciences de léducation étudient
depuis 30 ans lautodidaxie et lautoformation.
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Nicole
Tremblay et Mohammed Hrimech font partie du Groupe de recherche
sur lautoformation
et le travail, qui réunit des chercheurs de cinq
universités canadiennes. |
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Peut-on imaginer
évoluer, voire se maintenir dans un milieu de travail ou dans
une activité professionnelle, sans être un peu autodidacte,
sans avoir recours à lautoformation? Si la chose semble
évidente aujourdhui étant donné la rapidité
avec laquelle les nouvelles technologies naissent et se transforment,
la nécessité de sautoformer a vu le jour bien
avant lapparition de lordinateur. Il suffit de penser
au système de compagnonnage qui, depuis le Moyen Âge,
réunit en une association les ouvriers dun même
métier pour des raisons de formation professionnelle et dassistance
mutuelle.
Si lorigine de lautoformation se perd dans la nuit des
temps, son existence comme objet de recherche remonte à 30
ans à peine. À cet égard, lUniversité
de Montréal fait uvre de pionnière puisque cest
ici même que fut mise sur pied en 1981, par Nicole Tremblay
et Claudia Danis de la Faculté des sciences de léducation,
la première équipe subventionnée de recherche
en ce domaine, le Groupe de recherche sur lapprentissage autodirigé
en milieux éducatifs. Dautres ont suivi par la suite
en France, aux États-Unis et en Allemagne.
Depuis lAntiquité
«Aujourdhui, les défis sont tels quon est
forcé de devenir autodidacte», observe Nicole Tremblay.
Autrefois, explique-t-elle, les autodidactes étaient des personnes
de milieux modestes qui cherchaient ainsi à se hisser au-dessus
de la mêlée. Antonio Barrette (qui fut premier ministre
du Québec), sir Winston Churchill, Benjamin Franklin et Franklin
Delano Roosevelt, pour nen nommer que quelques-uns, étaient
tous des self-made men, sans oublier les penseurs de lAntiquité.
On en retrouvait également parmi les gens de la noblesse, qui
disposaient de beaucoup de temps.
«Dans les sociétés modernes, un autodidacte est
une personne qui essaie dapprendre par elle-même soit
parce quelle est sollicitée sur le plan professionnel
ou parce quelle fait face à des changements. Il existe
aussi aujourdhui une nouvelle forme dautodidaxie, liée
aux loisirs.» De lornithologie à lhistoire
de lart, en passant par lhorticulture, la mécanique,
etc.
Un sondage effectué en 1982 pour le compte de la Commission
détudes sur la formation des adultes révélait
que 23% des 8856 adultes interrogés avaient tenté dapprendre
quelque chose par eux-mêmes au cours de lannée.
En y ajoutant la formation sociale, culturelle et professionnelle,
ce taux grimpait à 39%.
«Dautres études plus récentes ont démontré
que, bon an, mal an, 80% de la population apprend quelque chose par
elle-même pour une moyenne de 500 heures par année, indique
Mme Tremblay. Chez les professionnels, lautoformation est de
1200 heures par an en moyenne.»
Créatifs et débrouillards
Récemment, Mme Tremblay a mené une recherche auprès
dautodidactes en vue de découvrir les compétences
qui les caractérisent. Il en est ressorti que lautodidacte
est une personne créative et débrouillarde qui a le
sens de linitiative et qui invente ses propres méthodes
de travail. Il sait se bâtir des réseaux de connaissances
et les tenir à jour. «On peut apprendre par soi-même,
mais on napprend pas seul», insiste landragogue.
Les autodidactes sont capables de réfléchir sur leur
action et saccommodent de lincertitude. Enfin, ils se
connaissent bien.
Reste maintenant à développer ces compétences
chez les enfants. «Si les enseignants du primaire et du secondaire
avaient connu des situations dautoformation, ils seraient en
meilleure position pour inciter les jeunes à mettre au jour
ces compétences, constate Mme Tremblay. Mais pour développer
sa créativité, se connaître soi-même et
réfléchir sur son action, il faut du temps. Or, les
programmes scolaires sont si chargés quil ne reste jamais
de temps libre pour la réflexion.» De même, en
entreprise, on ne peut demander aux employés de faire preuve
dinitiative et dutiliser leur créativité
tout en instaurant un climat de contrôle.
Mohammed Hrimech, aussi du Département de psychopédagogie
et dandragogie, sintéresse plus particulièrement
aux stratégies dapprentissage dans lentreprise.
La tendance générale, note-t-il, est de recourir aux
stratégies de type social, cest-à-dire aux discussions,
aux échanges et aux relations entre pairs. Cest le collègue
ou le supérieur plus expérimenté qui sert de
personne-ressource et à qui lon peut faire appel au besoin.
Bien que cette formation soit préférée par les
employés, les employeurs continuent doffrir des cours
à de grands groupes qui répondent rarement à
des besoins ponctuels.
Approches légères
«Pourtant, dans les sociétés modernes, avec la
technologie dont nous disposons, on peut communiquer très rapidement
avec un expert par téléphone ou par courrier électronique,
constate M. Hrimech. Ces moyens modernes favorisent les échanges.»
Lemployé qui est arrêté par un élément
dans le fonctionnement dun logiciel na pas le temps daller
suivre un cours pour en connaître toutes les subtilités,
dont plusieurs ne lui serviront dailleurs jamais.
«Mais les entreprises et même les universités continuent
de dépenser beaucoup dargent pour ce type de formation
avec des résultats catastrophiques, alors quune approche
légère, à la pièce serait beaucoup plus
appropriée», souligne Nicole Tremblay. Elle donne lexemple
des learning centers américains: des sociétés
comme Xerox ont investi des millions dans le béton et la quincaillerie
pour bâtir des centres que personne ne fréquentait. Jusquau
jour où lon a embauché des «facilitateurs»
pour y faire de lanimation.
«Le recours à des personnes facilement accessibles qui
offrent de laide est ce qui favorise le plus lautoformation»,
précise Mohammed Hrimech. Il déplore également
quil nexiste que rarement de reconnaissance financière
pour les collègues qui apportent du soutien à leurs
pairs, sauf dans de grandes entreprises comme Bell ou IBM, qui désignent
un mentor aux nouveaux employés.
Enfin, sans encouragement de la part de la direction de lentreprise
et sans la création dun environnement propice à
lautoformation, celle-ci a peu de chances de sépanouir,
notent Mme Tremblay et M. Hrimech, qui font partie du Groupe de recherche
sur lautoformation et le travail (GIRAT). Le GIRAT, fondé
en 1991, regroupe des chercheurs des universités de Calgary
et de Winnipeg, de lUniversité du Québec, de lUniversité
Concordia, de lÉcole des Hautes Études Commerciales
et de lUniversité de Montréal. Cette équipe
a étudié, en collaboration avec les équipes américaines,
françaises et allemandes, les pratiques autoformatrices en
entreprise dans les établissements denseignement et dans
le milieu social, ce qui a donné lieu à plusieurs rencontres
internationales ainsi quà de nombreuses publications
sur la question.
Françoise
Lachance