Volume 35 numéro 24
19 mars
2001


 


Le mont Royal pour tous et pour toujours
Peter Jacobs publie un livre sur la «montagne magique».

Peter Jacobs

En 1954, des résidants outrés par les activités «pas catholiques» qui se passent dans les fourrés du mont Royal obtiennent de la Ville qu’on débroussaille les sous-bois. «Ces coupes, appelées “coupes de moralité”, eurent un impact radical sur l’écologie du mont Royal, explique Peter Jacobs dans un livre qui vient de paraître aux Éditions du Méridien. Dès 1961, la montagne était désignée sous le nom de “mont Chauve”. Les coupes causèrent de graves problèmes d’érosion qui, associés au manque d’entretien, eurent un effet dévastateur sur l’état général du parc.»

Un demi-siècle plus tard, les «coupes de moralité» ne risquent plus de perturber l’écologie du parc du Mont-Royal, mais d’autres activités humaines menacent l’écosystème. «Croyez-le ou non, on trouvait des traces de motoneige jusque dans les années 90, même si c’était formellement interdit, et un nouveau sport, le vélo de montagne, a fait des adeptes. Cela a causé des perturbations importantes dans plusieurs sentiers», explique M. Jacobs, professeur à l’École d’architecture de paysage de la Faculté de l’aménagement.

Des centaines de milliers de personnes aperçoivent quotidiennement le mont Royal (ou foulent ses flancs, comme sur le campus des universités de Montréal et McGill), mais peu de gens connaissent vraiment cette colline montérégienne et mesurent son importance dans la culture des Montréalais. Qui sait, par exemple, que quatre énormes réservoirs enfouis sous la montagne contiennent l’eau potable d’une grande partie de la ville, distribuée par simple gravité?

«Les gens ne savent pour ainsi dire rien de leur montagne. À des audiences publiques ou à des consultations populaires, ce sont toujours les 15 mêmes personnes qui se présentent», caricature M. Jacobs, qui a voulu offrir aux amateurs de la «montagne magique», comme on l’appelait autrefois, un ouvrage facile à lire et instructif. Les quatre saisons du mont Royal compte 90 photos originales d’Oswald Foisy, ainsi qu’une vingtaine d’illustrations d’époque. Le texte, d’une cinquantaine de pages, présente les grands chapitres de l’histoire de ce parc urbain unique en Amérique.


Un lac creusé à la main

Après une présentation de l’architecte paysagiste qui a conçu l’aménagement du parc, Frederick Law Olmsted, le lecteur apprend que le lac aux Castors tire son nom d’une découverte surprenante. Grâce à une subvention de 75 000$ reçue en 1936, la Ville de Montréal engage l’année suivante 160 travailleurs pour creuser, à la pelle, un lac artificiel dessiné par l’architecte paysagiste Frederick Todd sur les lieux d’un ancien marais. Durant les travaux, les ouvriers exhument des vestiges de huttes de castors âgées de plus de 300 ans. «De nombreuses histoires furent racontées autour de cette découverte et c’est ainsi que le nom de “lac aux Castors” fut choisi», écrit l’auteur.

Grâce à Olmsted, le parc du Mont-Royal a été «pensé». Pour le promeneur non informé, l’endroit ne représente qu’un havre de paix. L’observateur attentif verra pourtant que la végétation change selon l’altitude où il se trouve. Les conifères de l’«Upperfell», comme Olmsted a baptisé le sommet du parc, n’évoquent pas par hasard les régions montagneuses. En fait, huit zones de paysages se succèdent, de l’escarpement rocheux à la fougeraie. Après une heure de descente entre le sommet et le piémont, le marcheur parvient à la côte Placide, où les bourgeois jouaient au golf autrefois. Autre temps, autres mœurs, aujourd’hui, ce sont les tam-tams qui se font entendre ici, tous les dimanches d’été.


Des plans abandonnés

Si M. Jacobs rend hommage au merveilleux travail du pionnier Olmsted, il présente aussi des projets qui auraient pu être moins heureux. En 1908, par exemple, on a pensé construire un boulevard de 42 m de largeur entre le parc Lafontaine et le mont Royal. Ce «boulevard de la Confédération» aurait été bâti là où l’on trouve aujourd’hui la rue Duluth.

L’arrivée de l’automobile a aussi été un fait marquant. Les architectes paysagistes Clarke et Rapuano ont proposé dans les années 50 un réseau de routes panoramiques encerclant la montagne et traversant le parc, des stationnements, des amphithéâtres extérieurs, un musée, des terrains de tennis… De leurs idées, une seule a vu le jour: la voie Camilien-Houde le long de l’ancienne ligne de tramway.

Le lecteur apprend que le mont Royal compte non pas un mais trois sommets. Le plus évident et le plus fréquenté est celui qui accueille l’antenne de Radio-Canada, près duquel se trouve la croix illuminée, érigée par la société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en 1924. Le deuxième sommet se trouve dans le cimetière Mont-Royal et le troisième, à Westmount, est accessible par le chemin Summit Circle, qui croise le chemin de la Côte-des-Neiges.

En conclusion, l’auteur en appelle à une vigilance de tout instant, 125 ans après la création du parc du Mont-Royal, en 1876. «Il faudrait, à l’aube du 21e siècle, élargir les frontières du parc et englober l’ensemble de la montagne pour répondre aux besoins d’une population sans cesse grandissante et de plus en plus exigeante», écrit-il.
Après avoir passé une quinzaine d’années à l’extérieur du pays, M. Jacobs est revenu dans sa ville natale, Montréal, il y a 30 ans. «On peut en avoir assez de l’hiver, mais il demeure que Montréal est une ville unique en son genre», dit cet ami de la montagne.

Mathieu-Robert Sauvé

Oswald Foisy et Peter Jacobs, Les quatre saisons du mont Royal, Montréal, Éditions du Méridien, 2000, 39,95$.