La
passion de Saint-Saëns
Sabina
Teller Ratner a découvert des manuscrits inédits du
compositeur.
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Sabina
Teller Ratner montre une copie de la partition manuscrite
dune uvre de Camille Saint-Saëns quelle
a découverte dans les années 80. |
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Chaque été
depuis 25 ans, Sabina Teller Ratner, professeure associée à
la Faculté de musique et enseignante au collège Vanier,
parcourt les bibliothèques du monde à la recherche des
traces de Camille Saint-Saëns. Depuis quelle a découvert,
en 1984, une cache contenant 81 manuscrits dont le quart étaient
des inédits, cest elle que les antiquaires de Paris appellent
pour authentifier les autographes du compositeur né en 1835
et mort en 1921. Elle vient détablir le catalogue intégral
de ses uvres, qui sera publié sous peu chez Oxford University
Press.
«Camille Saint-Saëns est un homme fascinant, dit-elle.
Le musicien a laissé des centaines duvres qui sont
parfois empreintes de classicisme, parfois romantiques, parfois modernes,
ce qui en fait un inclassable en histoire de la musique. Mais on connaît
moins lhomme engagé, très actif politiquement,
qui a dédié des uvres à Georges Clemenceau.
Au cours de mes recherches, jai lu environ 10 000 lettres de
sa main. Mais il en a écrit beaucoup plus.»
Jeune prodige du piano, Camille Saint-Saëns sest vite révélé
comme un compositeur et un chef dorchestre talentueux. Il a
enseigné à Gabriel Fauré, côtoyé
Franz Liszt et fondé avec dautres musiciens de renom
la Société nationale de musique de France en 1871. Artiste
prolifique (12 opéras, 3 symphonies, dinnombrables pièces
pour piano, des concertos, etc.), il a été frappé
par un double drame lorsque, quelques années après son
mariage avec Marie Laure Truffot, leurs deux enfants en bas âge
sont décédés à quelques semaines dintervalle.
Le couple déchiré ne sest jamais revu après
la rupture qui a suivi les décès. Mais Camille et Marie
Laure nont jamais officiellement divorcé, doù
une certaine confusion après la lecture du testament du musicien.
Découverte
majeure
À la mort de Saint-Saëns à Alger, le 19 décembre
1921, ses quelque 500 manuscrits musicaux (comptant une seule page
et des volumes complets) ont pris deux directions: la bibliothèque
du Conservatoire de musique de Paris et la bibliothèque de
lOpéra. Or, ces deux bibliothèques ont fusionné
à la création de la Bibliothèque nationale, en
1964. Cest peut-être à ce moment-là que
les manuscrits ont été égarés, jusquà
ce que la chercheuse montréalaise les retrace.
En comparant divers répertoires, Mme Teller Ratner sest
rendu compte quil manquait plusieurs documents. Intriguée,
elle a fait sortir des archives, parmi lesquelles se trouvait une
boîte non étiquetée contenant 81 manuscrits de
compositions musicales. «Cétait très excitant.
Je me souviens que mon séjour tirait à sa fin. Il ne
me restait que cinq jours à passer à Paris. Jai
mis les bouchées doubles pour rédiger un article dans
la revue Notes, de la Music Library Association. Il a gagné
le prix du meilleur article de la revue en 1986.»
La musicologue a répertorié les pièces trouvées
en quatre catégories: compositions originales (24 uvres);
transcriptions et arrangements de ses propres compositions (28 uvres);
transcriptions et arrangements dautres compositeurs (19 uvres);
cadenza de concertos pour piano de Beethoven et Mozart (10 uvres).
La plupart des manuscrits étaient des originaux duvres
dont on avait perdu la trace; 19 étaient des pièces
inédites.
Cest le cas, notamment, de la transcription dune sonate
pour deux pianos, de Liszt, écrite alors que la Première
Guerre mondiale faisait rage, en novembre 1914. Or, cette transcription
vient dêtre publiée chez le prestigieux éditeur
Durand, de Paris. La chose nest pas anodine. Cest le fondateur
de lentreprise, Jacques Durand lui-même, qui avait publié
la plus grande partie des uvres du musicien de son vivant. Cest
lui qui lavait aussi convaincu de céder ses archives
au Conservatoire de Paris et non à la Ville de Dieppe, ainsi
quil entendait le faire. «Pour moi, cest un grand
honneur de savoir que Durand a publié cette uvre»,
dit Mme Teller Ratner en montrant la partition.
Une
vie consacrée à Saint-Saëns
Cest au cours de ses études, dans les années
60, que la jeune Montréalaise prend goût à la
musique française. Elle se destine alors à la carrière
de pianiste, obtenant des mentions «grande distinction»
et «très grande distinction» sur ses diplômes
de baccalauréat de lUniversité McGill, puis de
maîtrise de lUniversité de Montréal. Mais
le choc sest véritablement produit à lUniversité
du Michigan, alors quelle étudiait Gabriel Fauré.
«Je me suis aperçue que très peu de choses avaient
été écrites sur Saint-Saëns. Jai donc
décidé de consacrer ma thèse à ses compositions
pour piano.» Les recherches sur Camille Saint-Saëns ne
se sont jamais arrêtées depuis ce moment. Elle a plusieurs
autres projets de publication, notamment pour ce qui est de la correspondance
de lartiste.
En plus de la fameuse découverte à la Bibliothèque
nationale, une cinquantaine de manuscrits ont été trouvés
par la musicologue au cours de ses voyages détudes. Elle
a visité toutes les grandes bibliothèques dEurope
qui disposent dun fonds sur la musique française. Elle
a écumé aussi les archives de la maison Durand et sest
rendue aux États-Unis. Chaque fois quelle découvre
un manuscrit, elle doit le marquer, en retracer les premières
publications, la création, etc. Un travail de bénédictin.
«Si je me suis lassée de lui? Non, jamais. Son écriture
mest aujourdhui plus familière que nimporte
quelle autre.»
Mathieu-Robert
Sauvé