Volume 35 numéro 24
19 mars
2001


 


Le Québec doit miser sur un capital humain capable d’ouverture sur le monde

Robert Lacroix

Répondant à l’invitation de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, le recteur Robert Lacroix a exposé les défis que présente la question de la maîtrise du français, de l’anglais et des autres langues pour une université de recherche de calibre international telle que l’Université de Montréal. Forum reproduit ici une version abrégée de la présentation qu’a faite M. Lacroix devant la Commission le 15 mars dernier.

À ce tournant de son histoire, le Québec doit miser sur un capital humain capable d’ouverture sur le monde. C’est là un impératif incontournable pour une société dont l’économie dépend d’une expansion croissante à l’échelle nord-américaine et mondiale. À cette fin, le Québec doit consolider les compétences spécialisées dont il dispose et acquérir celles dont il aura besoin pour s’assurer une position concurrentielle au sein de la société internationale du savoir. Ces compétences reposent sur l’accès à des connaissances de pointe en progrès constant dans une ample gamme de domaines, tant académiques que professionnels.

L’Université de Montréal, université internationale de langue française

Les grandes universités de recherche sont considérées à juste titre comme des agents indispensables de progrès et de promotion de l’excellence. Parmi ces universités, un nombre limité d’institutions intensifient actuellement leur mission de formation spécialisée et de recherche dans une perspective de rayonnement international accru.

L’Université de Montréal compte 13 facultés, plus de 60 départements et 2 écoles affiliées: l’École Polytechnique et l’École des Hautes Études Commerciales. Ce complexe universitaire accueille quelque 48 400 étudiantes et étudiants réguliers à qui l’on offre plus de 250 programmes de premier cycle, plus de 180 programmes de deuxième cycle et plus de 70 programmes de doctorat. Le personnel enseignant comprend plus de 2000 professeurs et chercheurs, plus de 1500 professeurs et chargés d’enseignement de clinique et plus de 2000 chargés de cours et de clinique. L’Université de Montréal, avec ses écoles affiliées, regroupe au-delà de 150 centres, groupes et chaires et détient des fonds de recherche qui la classent dans le peloton de tête des universités de recherche canadiennes et parmi les grandes universités publiques de recherche nord-américaines.

Sur le plan international, l’Université de Montréal assume pleinement son rôle de grande université de recherche de langue française, ce que symbolise entre autres le fait qu’elle est le siège de l’Agence universitaire de la francophonie. Elle entretient de longue date des liens importants avec les meilleures institutions universitaires de la francophonie et ses professeurs collaborent avec leurs homologues du monde francophone. Une majorité des étudiants étrangers qu’elle accueille sont de langue française et ses propres étudiants poursuivant des stages à l’étranger y fréquentent majoritairement des institutions de langue française.

L’Université de Montréal doit toutefois dépasser le cadre de la francophonie. À l’échelle mondiale, diverses aires culturelles d’Amérique du Nord, d’Amérique latine, d’Europe non francophone et d’Asie représentent pour elle un potentiel crucial d’échanges, d’alliances, d’offres de formation et de développements concertés de recherche. Par ailleurs, elle a l’obligation d’offrir aux futurs leaders de la société québécoise les formations les plus riches et les mieux adaptées à l’ouverture sur le monde que le Québec se doit de pratiquer. Dans cette perspective, la maîtrise du français, de l’anglais et d’autres langues figure indubitablement parmi les priorités d’une université internationale comme la nôtre. Cette exigence s’applique aux activités d’enseignement, de formation et de recherche, qui forment sa raison d’être.


La formation des étudiants en français

Principale université internationale de langue française, l’Université de Montréal doit s’assurer que ses étudiants maîtrisent la communication orale et écrite en français.

Or, la connaissance du français se révèle fort déficiente, particulièrement à l’écrit, chez nombre d’étudiants accédant à l’Université et y poursuivant des études. C’est pourquoi l’Université a adopté diverses mesures afin de suppléer aux carences de la formation antérieure de ses étudiants et de leur assurer la maîtrise universitaire de la langue française. Ainsi, depuis 1983, la correction de la langue compte parmi les critères d’évaluation. Dès 1989, l’Université a imposé à l’admission un test de compétence en français et a fait de la réussite aux cours de rattrapage une condition d’obtention des diplômes. Récemment, elle a créé un centre de soutien à la communication écrite qui offre un ensemble de mesures permettant de corriger les lacunes des étudiants en la matière.

Dans la même veine, il importe d’offrir aux étudiants anglophones et allophones qui souhaitent poursuivre leurs études à l’Université de Montréal les moyens de s’y intégrer en améliorant leur connaissance et leur pratique du français grâce, par exemple, à des trimestres d’été ou à des formations à distance. De telles mesures semblent particulièrement opportunes afin de soutenir un recrutement étudiant de qualité aux cycles supérieurs.

La formation des étudiants en anglais et dans les langues étrangères

En contrepartie, l’Université de Montréal doit aussi tenir compte du fait que ses étudiants travailleront dans un monde où la connaissance d’autres langues, en particulier de l’anglais et de l’espagnol, deviendra un atout majeur d’insertion dans le marché du travail.

Dans ce contexte, l’institution doit fournir les programmes et les cours nécessaires à la maîtrise des langues seconde et troisième et favoriser la mobilité de ses étudiants en leur offrant des possibilités de stages et des compléments de formation ailleurs au Canada et à l’étranger. Au besoin, elle doit intégrer à ses programmes des cours, des séminaires ou des modules donnés en anglais et dans les langues étrangères appropriées, en profitant éventuellement pour ce faire de ressources externes (professeurs invités par exemple) ou d’ententes interinstitutionnelles. Les politiques de développement des collections documentaires et d’accès aux réseaux d’information doivent pour leur part se conformer à l’obligation de pertinence internationale, ce qui nécessite de maintenir l’acquisition de ressources documentaires tant en français qu’en anglais et dans une pluralité de langues étrangères, lorsque ces langues constituent des véhicules majeurs de diffusion de la recherche spécialisée.


La compétence linguistique des professeurs et des chercheurs

Recrutés suivant les normes internationales les plus exigeantes, les professeurs de l’Université de Montréal représentent un éventail de compétences de haut niveau et constituent un atout de développement précieux pour le Québec. Dans la phase actuelle de son histoire, l’Université entend poursuivre et intensifier le recrutement des meilleurs spécialistes à l’échelle mondiale, formés ici ou ailleurs, et ce, dans toutes les disciplines.

L’Université s’assure que les professeurs qu’elle recrute ailleurs en Amérique du Nord et dans le monde et qui ne sont pas en mesure au départ de donner tous leurs enseignements en français satisferont pleinement à cette exigence dans les délais prescrits à l’embauche, sous peine de ne pas voir renouvelé leur engagement.

Néanmoins, comme la plupart des échanges au sein de la communauté scientifique internationale se déroulent en anglais et que les communications et les publications savantes se font majoritairement dans cette langue, une grande partie des recherches de l’institution et des programmes de formation qui s’y rattachent requiert l’usage de l’anglais.

En conséquence, l’Université doit faciliter les communications dans cette langue des membres de sa communauté avec leurs partenaires de recherche ailleurs au Canada et à l’étranger, ainsi qu’avec les organismes externes concernés. Nombre d’exemples peuvent nous inspirer à cet égard, que nous fournissent des universités comparables, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne et dans les États scandinaves, mais aussi certains établissements français de renom, où tout est organisé de façon à permettre que les échanges de recherche et les activités de formation supérieure qui s’y rattachent s’accomplissent dans la langue principale et dominante de la communication savante.


Les conditions d’une internationalisation réussie

L’Université de Montréal doit poursuivre ses efforts de valorisation du français dans les formations qu’elle offre, dans les productions de recherche des disciplines où cet usage s’impose, dans son fonctionnement interne et dans ses rapports avec les diverses institutions québécoises.

Elle doit aussi contribuer à l’épanouissement du français dans l’environnement montréalais, qui est celui d’une métropole internationale à caractère multiculturel. À ce chapitre, soulignons qu’elle recevra, le 19 mars prochain, le prix décerné par le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration au 14e gala du Mérite du français.

Dans le même temps toutefois, une plus grande polyvalence linguistique s’impose, tant dans les programmes d’enseignement et l’offre de formations que dans les partenariats de recherche et la communication savante.

Cela concerne au premier chef l’usage et la maîtrise de l’anglais par les futurs professionnels que l’institution a l’obligation de former. Cela concerne également l’usage et la maîtrise d’autres langues, l’accès à d’autres cultures et la connaissance d’autres systèmes de pensée. Ce sont là autant de conditions à satisfaire pour renforcer l’expertise internationale dont nos diplômés auront de plus en plus besoin dans le contexte d’une société dynamique, entreprenante et ouverte.

L’engagement institutionnel de promouvoir la maîtrise et l’usage du français doit donc se concilier avec l’obligation d’internationaliser les formations qu’offre l’Université et de faire reconnaître les recherches qui s’y réalisent. Ce défi implique entre autres que les personnels de l’Université, en particulier le personnel enseignant, déploient dans l’exercice de leurs fonctions les compétences linguistiques et culturelles requises pour satisfaire à cette double obligation. Il s’agit là d’un défi que l’Université de Montréal se doit de relever dans le cadre de sa mission et du service que la société québécoise et la collectivité montréalaise attendent d’elle.