Volume 35 numéro 24
19 mars
2001


 


George Baby, le juge collectionneur

À sa mort, George Baby a légué à l’Université de Montréal une collection de 20 000 documents, dont 12 000 pièces de correspondance témoignant de trois siècles de vie quotidienne.

«Fermez tout à clé, Baby est dans la maison!» disaient à la blague les amis de George Baby (1832-1906). Ils n’avaient pas tort de se méfier de ce passionné d’histoire. L’honorable juge, qui a été député à la Chambre des communes après avoir fait quelques bonnes affaires, est passé à la postérité pour avoir amassé plus de 20 000 documents témoignant de l’histoire du Canada. Une collection de grande valeur qu’il a léguée à l’Université de Montréal à la fin de sa vie.

Aîné d’une famille de 14 enfants, George Baby deviendra un archétype du bourgeois canadien-français du 19e siècle. Après des études de droit, il investit dans des propriétés immobilières et des prêts hypothécaires. La chance lui sourit. Il se met ainsi à l’abri des soucis financiers, ce qui l’aidera grandement à s’adonner à sa passion. Il fréquente tôt les érudits qui recherchent dans les vieux papiers «les détails qui font l’ornementation de l’histoire et la poétise», comme il dit. Parmi eux figure Jacques Viger, premier maire de Montréal.

Il fait, en 1865, le «grand tour» de l’Europe. Deux ans plus tard, à la demande de son ami sir Georges-Étienne Cartier, il brigue pour la première fois les suffrages pour le Parti conservateur dans la circonscription de Joliette. Il est battu, mais il se reprend en 1872. Sir John Alexander Macdonald le nomme ministre du Revenu intérieur. En 1880, George Baby quitte la politique qui ne l’avait, à dire vrai, guère intéressé.

C’est à ce moment qu’il est nommé juge suppléant de la Cour du banc de la reine, poste qu’il occupera pour le reste de sa carrière.


Un bon bourgeois
Comme tout bon bourgeois de son époque, George Baby se réclame d’une certaine culture. Il donne aux dîners fins une note bien spéciale en racontant des anecdotes savoureuses. Il adhère à de nombreuses sociétés philanthropiques, fonde la Société d’histoire de Montréal.

Mais le juge Baby rêve d’accomplir une œuvre plus grandiose: documenter la naissance d’un peuple «canadien» distinct à la fois des Français et des Britanniques. Il se donne le mandat d’amasser ces preuves pour étayer sa thèse. À une époque où les moyens de communication sont rudimentaires (le premier appel interurbain est réussi en 1881 entre Montréal et Lachine), la poste est la plus efficace. Selon un petit-neveu du juge, le collectionneur entretient des liens épistolaires avec un réseau international d’antiquaires. Il écrit à toutes les personnes célèbres de son temps. De plus, sa carrière politique lui procure beaucoup de contacts dont il sait tirer profit.

Dans un article paru dans le Bulletin des recherches historiques en juin 1899, le juge Baby exprime de manière cocasse sa préoccupation de conservation. «Que de lacunes dans notre histoire seraient comblées aujourd’hui si les documents nécessaires n’avaient pas servi à griller les poulets ou allumer les feux de nos poêles dans la rude saison de l’hiver.»

Ces reproches, il les adresse «aux dames, car elles sont les reines du foyer domestique, et le contrôlent sans conteste. Ce n’est pas dire, cependant, que les maris soient exempts de tout reproche de ce côté. Ils peuvent être assurément accusés pour le moins d’indifférence.»


La collection Baby à l’Université

Ce n’est pas un hasard si la Collection d’archives Baby se trouve à l’Université de Montréal. En 1888, le juge avait été mandaté pour aller à Rome défendre la cause de l’indépendance de la succursale de l’Université Laval à Montréal.

Lors de son décès, le 13 mai 1906, la lecture de son testament révèle ses dernières volontés. «Je donne toutes mes gravures historiques encadrées ou non à l’Université Laval à Montréal [...]. Je donne et lègue à l’Université Laval à Montréal toute ma bibliothèque historique composée d’ouvrages canadiens [...]. Comme cette collection de livres souvent très rares est d’un grand prix, j’impose à cette donation la construction d’un édifice à l’épreuve du feu [...]. Je donne aussi à la même institution pour être placés dans le même édifice tous mes manuscrits et cartables.»

Le juge avait bien raison de se préoccuper de cette question. L’Université connaît en 1919 deux incendies. Heureusement, la Collection se trouve à la bibliothèque Saint-Sulpice, aujourd’hui la Bibliothèque nationale du Québec, rue Saint-Denis.

En 1910, l’abbé O’Leary a dressé un catalogue analytique, mais le travail est resté en plan. Il faut attendre 1942 pour que Camille Bertrand, archiviste à la retraite des Archives publiques du Canada, soit engagé pour mettre de l’ordre dans la collection Baby. Son travail prend 10 ans. Le résultat est publié dans l’Action universitaire d’avril 1951. Depuis, la Direction des bibliothèques a publié l’ouvrage sous forme de brochure mise à la disposition des chercheurs.

En 1977, l’Université de Montréal confie au Service des archives la gestion des manuscrits de la Collection. Le Service des collections spéciales du Service des bibliothèques s’occupera des imprimés.

Denis Plante
Division des archives

Sources:
•Valérie E. Kirkman et Hervé Gagnon, Louis-François-George Baby: un bourgeois canadien-français du 19e siècle (1832-1906).
•Camille Bertrand, La Collection d’archives Baby, Université de Montréal, Service des collections particulières des bibliothèques, 1975, 16 pages.
•Catalogue de la collection François-Louis-Georges Baby rédigé par Camille Bertrand, préface de Paul Baby et introduction de Lucien Campeau, Bibliothèque de l’Université de Montréal, 1971, 2 tomes.
•Chantale Fillion, Liste thématique des lettres de la collection Baby, Université de Montréal, Service des archives, 1988, 143 pages.
•Michèle Brassard et Jean Hamelin, «Louis-François-Georges Baby» dans le Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, p. 28-30.


Une valeur inestimable
La Collection d’archives Baby est une des plus importantes collections privées au Canada. Elle relate 300 ans d’histoire: 1602-1906. Elle est d’une valeur intellectuelle et marchande inestimable. Les chercheurs continuent de l’utiliser pour rédiger leur mémoire de maîtrise, leur thèse de doctorat, des livres, des articles et réaliser des expositions, des films, etc.

Elle comprend des documents officiels datant de la colonisation comme les recensements de populations, les testaments. À cette époque, on remplissait des registres pour les achats en provenance de la mère patrie ou du conquérant ou les ventes au plus simple citoyen. Donations, successions étaient aussi consignées.
Les archives judiciaires, «ce nid de chicanes», ainsi que les documents militaires ont aussi intéressé le juge, sans parler des innombrables témoins iconographiques de l’époque.

La Collection compte quelques documents de la main du Roi-Soleil, Louis XIV!

Quant à George Baby, il est toujours un sujet d’intérêt. Valérie E. Kirkman et Hervé Gagnon viennent de publier un livre sur «ce bourgeois canadien-français du 19e siècle». De plus, le château Ramezay lui consacre une exposition
http://www.chateauramezay.qc.ca/fr/1decouvrir_prog_temp.htm.

D.P.