Volume 35 numéro 23
12 mars
2001


 


Système scolaire et relations ethniques dans les sociétés divisées
Comment les réseaux de l’éducation rapprochent-ils les communautés ethniques en Irlande du Nord, en Catalogne, en Belgique et au Québec?

Marie Mc Andrew

LAu lendemain de la démission de Lucien Bouchard, l’animateur Claude Charron proposait, comme nouvelle avenue constitutionnelle pour le Québec, un statut d’autonomie semblable à celui de la Catalogne. La suggestion est tombée à plat.

Dans plusieurs secteurs, le Québec jouit en effet de plus d’autonomie que la Catalogne. Sauf dans le domaine scolaire: la Catalogne n’a qu’un seul réseau scolaire public pour ses deux groupes linguistiques. Et la langue d’enseignement est celle de la minorité catalane, qui forme 45% de la population.

Si les sociétés divisées, ou à «ambiguïté de dominance ethnique», font face à des problèmes similaires, elles n’adoptent pas pour autant les mêmes solutions et elles peuvent tirer avantage de la mise en commun de leurs expériences.

Dans cette perspective, le Groupe de recherche sur l’ethnicité et l’adaptation au pluralisme en éducation, un groupe du CEETUM, poursuit un programme de recherche comparative sur les relations ethniques modulées par les systèmes scolaires au Québec, en Belgique, en Irlande du Nord et en Catalogne. Vingt-deux chercheurs de ces États publiaient récemment un ouvrage collectif, Relations ethniques et éducation dans les sociétés divisées (L’Harmattan, 2000), faisant le point sur cette problématique.


Clivages et rapprochements
«On entend par “société divisée” un contexte social où la détermination du groupe majoritaire ou dominant n’est pas évidente, explique Marie Mc Andrew, coordonnatrice de ce collectif et directrice du groupe Immigration et métropoles. L’expression désigne aussi une société à double majorité, comme le Québec d’il y a 25 ans, où la majorité sociologique n’est pas nécessairement le groupe économiquement ou culturellement dominant.»
Dans les sociétés qui font l’objet de ce programme de recherche, l’utilisation du système scolaire pour harmoniser les relations ethniques ne répond pas nécessairement aux mêmes objectifs. «Au Québec, où l’immigration est très forte, le réseau de l’éducation n’a pas pour but de rapprocher les communautés francophone et anglophone. La problématique des relations ethniques dans le système scolaire est plutôt centrée sur les relations entre francophones et immigrants.»

L’instauration récente de commissions scolaires linguistiques a d’ailleurs accentué le clivage entre les francophones et les anglophones, qui partageaient auparavant les mêmes commissions scolaires divisées toutefois selon la religion.

En Belgique — où l’immigration est plutôt faible et où l’on retrouve quatre niveaux de structures scolaires superposées qui ont donné naissance à une dizaine de types d’écoles —, le système est si divisé qu’il ne joue pratiquement aucun rôle dans le rapprochement des communautés linguistiques. Le statut linguistique des établissements est déterminé par le territoire et coulé dans le béton constitutionnel.
En Irlande du Nord, où l’on ne peut guère parler d’harmonie entre catholiques et protestants, qui parlent pourtant la même langue, le système scolaire joue néanmoins un rôle important dans le rapprochement des deux groupes. «De 10 à 15% du réseau scolaire est constitué d’écoles intégrées qui reçoivent à la fois les catholiques et les protestants, souligne Marie Mc Andrew. L’inscription à ces écoles est volontaire, mais ce système est actuellement en émergence.»

En Catalogne, comme on l’a vu, il n’existe qu’un seul réseau scolaire qui a pour mission d’intégrer Catalans et Castillans à la même société civile. C’est un revirement complet par rapport au temps de Franco, où l’usage du catalan était interdit. «Les hispanophones s’accommodent de ce système parce qu’il vise à rendre chaque citoyen bilingue et qu’ils ne risquent pas de perdre leur langue. La langue d’enseignement est le catalan, mais tous parlent espagnol. C’est un peu comme dans certaines de nos écoles françaises où tout le monde parle anglais.»


Des exemples pour le Québec?
Le système catalan serait-il importable au Québec? «Il y a du pour et du contre dans les systèmes unifiés et l’observation de ce qui se fait en Catalogne nous montre que ce n’est ni l’enfer ni la catastrophe, répond la chercheuse. Mais contrairement au Québec, où plusieurs cherchent à éviter la nécessité du bilinguisme, en Catalogne tout le monde veut être bilingue, car il serait impensable de ne parler que catalan. Le système scolaire catalan a par ailleurs été mis sur pied par les républicains, qui n’ont pas voulu exclure de leur réseau la communauté hispanophone déjà économiquement défavorisée. Finalement, plusieurs hispanophones sont de souche catalane et les deux langues sont très proches l’une de l’autre.»

Ces distinctions établies, Marie Mc Andrew serait plutôt tentée de s’inspirer de l’expérience irlandaise. «Alors que des Anglo-Québécois qui peuvent fréquenter l’école anglaise choisissent l’école française, je suis étonnée qu’il n’y ait encore aucun projet d’école intégrée comme en Irlande du Nord. Le Québec pourrait être prêt à une expérience volontaire de ce genre.»

Dans les quatre sociétés étudiées, les chercheurs ont par ailleurs observé que l’évaluation du rôle du système scolaire pour modifier les rapports ethniques se fait davantage sur des bases idéologiques et normatives qu’à la lumière d’une analyse rigoureuse des résultats. D’où l’importance de poursuivre une telle évaluation.
Le Groupe de recherche poursuit ses travaux notamment sur les thèmes de la citoyenneté, du multilinguisme, du partage des institutions publiques, du choix du réseau scolaire pour les immigrants et de l’enseignement commun de l’histoire.

Daniel Baril