Système
scolaire et relations ethniques dans les sociétés divisées
Comment
les réseaux de léducation rapprochent-ils les
communautés ethniques en Irlande du Nord, en Catalogne, en
Belgique et au Québec?
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LAu lendemain
de la démission de Lucien Bouchard, lanimateur Claude
Charron proposait, comme nouvelle avenue constitutionnelle pour le
Québec, un statut dautonomie semblable à celui
de la Catalogne. La suggestion est tombée à plat.
Dans plusieurs secteurs, le Québec jouit en effet de plus dautonomie
que la Catalogne. Sauf dans le domaine scolaire: la Catalogne na
quun seul réseau scolaire public pour ses deux groupes
linguistiques. Et la langue denseignement est celle de la minorité
catalane, qui forme 45% de la population.
Si les sociétés divisées, ou à «ambiguïté
de dominance ethnique», font face à des problèmes
similaires, elles nadoptent pas pour autant les mêmes
solutions et elles peuvent tirer avantage de la mise en commun de
leurs expériences.
Dans cette perspective, le Groupe de recherche sur lethnicité
et ladaptation au pluralisme en éducation, un groupe
du CEETUM, poursuit un programme de recherche comparative sur les
relations ethniques modulées par les systèmes scolaires
au Québec, en Belgique, en Irlande du Nord et en Catalogne.
Vingt-deux chercheurs de ces États publiaient récemment
un ouvrage collectif, Relations ethniques et éducation dans
les sociétés divisées (LHarmattan,
2000), faisant le point sur cette problématique.
Clivages
et rapprochements
«On entend par société divisée
un contexte social où la détermination du groupe majoritaire
ou dominant nest pas évidente, explique Marie Mc Andrew,
coordonnatrice de ce collectif et directrice du groupe Immigration
et métropoles. Lexpression désigne aussi une société
à double majorité, comme le Québec dil
y a 25 ans, où la majorité sociologique nest pas
nécessairement le groupe économiquement ou culturellement
dominant.»
Dans les sociétés qui font lobjet de ce programme
de recherche, lutilisation du système scolaire pour harmoniser
les relations ethniques ne répond pas nécessairement
aux mêmes objectifs. «Au Québec, où limmigration
est très forte, le réseau de léducation
na pas pour but de rapprocher les communautés francophone
et anglophone. La problématique des relations ethniques dans
le système scolaire est plutôt centrée sur les
relations entre francophones et immigrants.»
Linstauration récente de commissions scolaires linguistiques
a dailleurs accentué le clivage entre les francophones
et les anglophones, qui partageaient auparavant les mêmes commissions
scolaires divisées toutefois selon la religion.
En Belgique où limmigration est plutôt faible
et où lon retrouve quatre niveaux de structures scolaires
superposées qui ont donné naissance à une dizaine
de types décoles , le système est si divisé
quil ne joue pratiquement aucun rôle dans le rapprochement
des communautés linguistiques. Le statut linguistique des établissements
est déterminé par le territoire et coulé dans
le béton constitutionnel.
En Irlande du Nord, où lon ne peut guère parler
dharmonie entre catholiques et protestants, qui parlent pourtant
la même langue, le système scolaire joue néanmoins
un rôle important dans le rapprochement des deux groupes. «De
10 à 15% du réseau scolaire est constitué décoles
intégrées qui reçoivent à la fois les
catholiques et les protestants, souligne Marie Mc Andrew. Linscription
à ces écoles est volontaire, mais ce système
est actuellement en émergence.»
En Catalogne, comme on la vu, il nexiste quun seul
réseau scolaire qui a pour mission dintégrer Catalans
et Castillans à la même société civile.
Cest un revirement complet par rapport au temps de Franco, où
lusage du catalan était interdit. «Les hispanophones
saccommodent de ce système parce quil vise à
rendre chaque citoyen bilingue et quils ne risquent pas de perdre
leur langue. La langue denseignement est le catalan, mais tous
parlent espagnol. Cest un peu comme dans certaines de nos écoles
françaises où tout le monde parle anglais.»
Des
exemples pour le Québec?
Le système catalan serait-il importable au Québec? «Il
y a du pour et du contre dans les systèmes unifiés et
lobservation de ce qui se fait en Catalogne nous montre que
ce nest ni lenfer ni la catastrophe, répond la
chercheuse. Mais contrairement au Québec, où plusieurs
cherchent à éviter la nécessité du bilinguisme,
en Catalogne tout le monde veut être bilingue, car il serait
impensable de ne parler que catalan. Le système scolaire catalan
a par ailleurs été mis sur pied par les républicains,
qui nont pas voulu exclure de leur réseau la communauté
hispanophone déjà économiquement défavorisée.
Finalement, plusieurs hispanophones sont de souche catalane et les
deux langues sont très proches lune de lautre.»
Ces distinctions établies, Marie Mc Andrew serait plutôt
tentée de sinspirer de lexpérience irlandaise.
«Alors que des Anglo-Québécois qui peuvent fréquenter
lécole anglaise choisissent lécole française,
je suis étonnée quil ny ait encore aucun
projet décole intégrée comme en Irlande
du Nord. Le Québec pourrait être prêt à
une expérience volontaire de ce genre.»
Dans les quatre sociétés étudiées, les
chercheurs ont par ailleurs observé que lévaluation
du rôle du système scolaire pour modifier les rapports
ethniques se fait davantage sur des bases idéologiques et normatives
quà la lumière dune analyse rigoureuse des
résultats. Doù limportance de poursuivre
une telle évaluation.
Le Groupe de recherche poursuit ses travaux notamment sur les thèmes
de la citoyenneté, du multilinguisme, du partage des institutions
publiques, du choix du réseau scolaire pour les immigrants
et de lenseignement commun de lhistoire.
Daniel
Baril