Volume 35 numéro 23
12 mars
2001


 


Devenir un bon médecin, ça s’apprend!
Bernard Charlin lance la revue Pédagogie médicale.

Le Dr Bernard Charlin est une sommité internationale en matière d’enseignement de la médecine. Directeur de l’Unité de recherche et de développement en éducation médicale, il vient de lancer la revue Pédagogie médicale.

Lorsque les étudiants de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal se sont classés au premier rang parmi les 16 facultés de médecine du pays à l’examen du Conseil médical du Canada en 1999, les responsables de l’enseignement ont poussé un soupir de soulagement. Cela confirmait que les premiers diplômés d’un programme de doctorat en médecine ayant subi une réforme majeure pouvaient réussir au moins aussi bien que ceux du programme précédent.

On se souvient que cette réforme a eu pour objet de mettre en place une approche d’apprentissage par problèmes (APP), beaucoup plus axée sur la «vraie vie» que les cours magistraux dans des amphithéâtres immenses. L’APP se fait en petits groupes et porte essentiellement sur des cas cliniques. Pour une des plus anciennes facultés de l’Université de Montréal, c’était une révolution… «La mise en place de cette réforme a exigé du courage, bien sûr, mais on constate rétroactivement qu’elle a eu un effet mobilisateur, explique le Dr Bernard Charlin, directeur de l’Unité de recherche et de développement en éducation médicale à la Faculté de médecine. Les étudiants ont retrouvé le goût d’apprendre et les enseignants celui d’enseigner.»

Le Dr Charlin n’était pas à l’Université de Montréal quand le nouveau programme a été appliqué, en 1992. Mais il connaissait bien l’apprentissage par problèmes, une approche pensée par l’Université McMaster à la fin des années 60 et peaufinée par les universités de Maastricht (Pays-Bas) et New Castle (Australie). Au Québec, l’Université de Sherbrooke a été la première à s’en inspirer jusqu’à ce que l’Université de Montréal l’imite en 1992.

Elle incarne un souci nouveau, qui intéresse de plus en plus ceux qui ont à coeur la formation des futurs médecins: la pédagogie médicale.


Des budgets qui quadruplent

Rencontré par Forum à l’occasion de la parution du deuxième numéro d’une revue internationale qu’il a lancée, Pédagogie médicale, le Dr Charlin explique que le Canada figure, avec les Pays-Bas et les États-Unis, parmi les trois leaders en la matière. «On sent un intérêt croissant pour l’enseignement de la médecine. En 15 ans, par exemple, au Canada, on a multiplié par quatre les budgets de recherche dans le domaine. Le Collège royal des médecins vient de créer un organisme qui va s’y consacrer.»

Au Québec, on peut dire que le besoin a créé l’organe puisque les étudiants qui entrent dans les programmes hautement contingentés ne doivent pas abandonner leurs études en cours de route. Les universités françaises, par comparaison, accueillent un grand nombre de candidats qui sont progressivement éliminés. «Dans certaines facultés, on compte 700 étudiants la première année et moins de 90 l’année suivante. Dans ces conditions-là, seuls les meilleurs surnagent.»

Jusqu’à récemment, la pédagogie médicale n’était pas une grande préoccupation pour les universitaires français. Mais on se rend compte que plusieurs cours magistraux ont lieu devant des classes vides. Les étudiants considèrent que les heures qu’ils passent à écouter leurs professeurs sont mieux utilisées autrement. Cela inquiète les responsables.

À leur intention, Pédagogie médicale, tirée à 7000 exemplaires, paraîtra quatre fois l’an et proposera des articles révisés par les pairs. Mais pourquoi une revue en français? «Il existe déjà cinq revues majeures dans le monde anglo-saxon, explique son fondateur et rédacteur en chef. Plusieurs d’entre nous y collaborent, mais si nous nous contentons de cela, nous ne serons jamais que des invités dans une culture qui n’est pas la nôtre. La pédagogie, c’est très proche de la culture. Regardez les Néerlandais, ils ont de grandes revues internationales, mais ils ont aussi des revues dans leur langue.»

Pédagogie médicale compte des collaborateurs en France et au Québec, mais aussi dans l’ensemble de la francophonie.


Professeur et étudiant

En plus de ses activités de rédacteur en chef, de chercheur et de professeur, Bernard Charlin est étudiant puisqu’il termine actuellement un doctorat à l’Université de Maastricht. Son thème: la mise au point d’outils visant à évaluer la compétence clinique. Il tente de raffiner une approche originale qu’il a élaborée et qui est en train de faire école: le test de concordance de script.

Il s’agit d’une approche qui met en parallèle les hypothèses des étudiants et l’opinion d’un groupe d’experts préalablement consultés sur les mêmes questions. «Le jugement d’un médecin en exercice est constamment modifié par des microdécisions qui doivent être prises à mesure que l’examen avance. Le principe d’incertitude est omniprésent. Le fait de mettre en parallèle l’opinion d’experts et celle des étudiants à mesure que l’examen clinique progresse peut être très formateur.»

Le groupe d’experts n’est pas infaillible, mais quand on compare leurs réponses avec celles des étudiants, cela ouvre la porte à un débat fort constructif. Lorsqu’il a pris connaissance de cette approche, le vice-doyen à la formation continue, Robert Thivierge, en a rapidement vu le potentiel. Forum a pu assister, au cours des dernières Journées annuelles de la Faculté de médecine, à des présentations utilisant cette approche. Elle présente l’avantage d’aller droit au but, sans perdre de temps sur les questions qui font consensus.

Originaire de Montpellier, en France, Bernard Charlin a gardé un peu de son accent chantant, 18 ans après avoir déménagé outre-mer. Cet oto-rhino-laryngologiste est arrivé au Québec d’abord pour honorer un contrat d’un an à l’Université de Sherbrooke. «Vous connaissez la différence entre un bateau et un Français? Le bateau retourne d’où il vient, lui. Cela s’applique à moi», affirme-t-il en souriant.

Sa femme et ses deux enfants sont venus le rejoindre peu après. Ils se sentent aujourd’hui autant français que québécois. Pour Bernard Charlin, la vie sur le Plateau-Mont-Royal est un grand plaisir. Pas de nostalgie de Montpellier ou de Sherbrooke.

Mathieu-Robert Sauvé