Volume 35 numéro 23
12 mars
2001


 


Habitez-vous chez vos enfants?
Des sociologues conçoivent une maison adaptée aux familles reconstituées et aux besoins des personnes âgées.

Nancy Meilleur, Arnaud Sales et Marianne Kempeneers, qui ont élaboré un scénario reflétant les tendances familiales actuelles.

Photo: Réjean Meloche.

Au Québec, 1 famille sur 10 est une famille reconstituée, c’est-à-dire composée d’un couple et d’enfants issus de relations antérieures. Lorsque les responsables du Salon de l’habitation ont approché les sociologues Arnaud Sales et Marianne Kempeneers pour savoir à quels nouveaux besoins sociaux l’habitation d’aujourd’hui devait répondre, cette réalité s’est imposée d’elle-même.

Ajoutez à cela le vieillissement de la population et vous avez les ingrédients de base qui ont donné naissance à la multimaison Desjardins, principale attraction du Salon cette année.

«En plus des 10% de familles reconstituées, 7% des personnes âgées de 65 ans et plus vivent avec leurs enfants et leurs petits-enfants et seulement 10% habitent dans des établissements spécialisés, précise Nancy Meilleur. De plus, 25% des hommes de 25 à 29 ans vivent toujours chez leurs parents!» Étudiante à la maîtrise en démographie, Nancy Meilleur a mené la recherche permettant de fonder un scénario de travail sur des données objectives.

«Ce ne sont pas les gens qui doivent s’adapter au logement, mais les habitations qui doivent répondre aux besoins des gens, estime-t-elle. Même si les familles sont éclatées, les membres veulent demeurer près les uns des autres et continuer à se rencontrer.»

Pour Arnaud Sales, directeur du Département de sociologie, «la maison privée est devenue le principal lieu d’intégration sociale. Il n’y a plus d’endroits publics, à part les centres commerciaux, où les gens peuvent se rencontrer et communiquer. On se rencontre à la maison. C’est même devenu un lieu de travail pour plusieurs.»

La multimaison Desjardins, telle qu’elle a été réalisée par les constructeurs Maisons Multigon à partir des plans des architectes de Planimage.


Le papa, la maman, le fils de l’autre…
Le scénario qui a émergé de ces nouveaux modes de vie est on ne peut plus «sociologique». Six personnes vivent ensemble: un couple, début quarantaine, dont la femme est cadre et l’homme, travailleur autonome à domicile en traduction; leur enfant de neuf mois; le fils du conjoint, 17 ans, qui vient de temps en temps visiter son père; la fille de la conjointe, âgée de 9 ans, qui vit une semaine sur deux chez sa mère; la mère de la conjointe, 66 ans, retraitée et autonome.

«Pour répondre aux besoins de cette famille, la maison doit offrir des lieux intimes et des pièces communes, souligne Arnaud Sales. Il faut prévoir des entrées privées, des salons personnels et des lieux d’échange. Le scénario n’est pas représentatif de l’ensemble des situations, mais il reflète les tendances sociales actuelles et vise à susciter la discussion au sein de la population afin de savoir s’il existe un intérêt pour ce type de cohabitation.»

Les concepteurs de Planimage, qui ont réalisé la multimaison à partir de ce scénario, l’ont conçue sous forme de deux zones d’appartements privés reliées par un atrium pouvant se transformer en salon commun ou en jardin intérieur. La grand-mère a sa salle de bain à elle et sa propre cuisinette-salon, où elle peut recevoir ses invités. Le père peut accueillir ses clients dans sa pièce de travail et la chambre de l’adolescent possède sa propre entrée extérieure.

L’équipe de chercheurs s’est même amusée à projeter la situation d’une telle famille 20 ans plus tard. Le couple a survécu; la femme, début soixantaine, occupe toujours son poste de cadre, mais son conjoint de 66 ans est à la retraite et s’occupe à bricoler. Ils peuvent recevoir aisément leurs quatre petits-enfants issus des unions de leurs enfants respectifs. Quant à leur enfant commune, qui a 21 ans, elle vit à la maison avec son compagnon. La grand-mère a maintenant 87 ans et sa condition nécessite des soins infirmiers à cause d’une fracture de la hanche.

Pour Nancy Meilleur, la multimaison originale, conçue sur un seul palier et permettant à la fois intimité et proximité, pourrait toujours répondre aux besoins de cette famille, qui n’a pas eu à déménager malgré ses transformations.


Intérêt du public

Mais les gens sont-ils prêts à vivre dans une telle maison «intergénérationnelle»? C’est ce que Marianne Kempeneers, dont les cours portent sur les transformations sociales et les nouveaux phénomènes familiaux, aimerait bien savoir. Elle a pensé profiter de l’expérience pour en apprendre plus sur les intérêts du public envers un tel type d’habitation en faisant distribuer sur place, par des étudiants du Département, un questionnaire d’évaluation.

On a par exemple demandé aux visiteurs s’ils seraient prêts à héberger un de leurs parents, à cohabiter avec leur belle-mère, à partager la maison avec leur enfant adulte, ou encore quelle était leur opinion à propos de qui, des enfants ou des parents, devrait se déplacer en cas de garde partagée.

«Ce sondage n’a pas de prétention scientifique, mais il nous permettra d’échanger des idées autour des intérêts et des besoins exprimés par le public», indique la professeure.

Daniel Baril