Linformatique
aux trousses des criminels dangereux
Éric
Beauregard consacre ses études doctorales à intégrer
le profilage criminel
et géographique dans un modèle de prédictions
statistiques.
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Après
une maîtrise sur les modes opératoires et la
personnalité
des meurtriers sexuels, Éric Beauregard, étudiant
à lÉcole de criminologie, tente dintégrer
les caractéristiques du crime et de la personnalité
de prédateurs sexuels au système de profilage
géographique. |
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Même sils
ne se sont pas côtoyés, Jack lÉventreur,
létrangleur de Boston et David Berkowitz, les plus célèbres
et terrifiants tueurs en série de lhistoire, avaient
plusieurs points communs, dont une signature de crime. Autre caractéristique:
ils attaquaient leurs victimes dans un rayon de quelques kilomètres
tout au plus. Leur champ daction se limitait à leur environnement
familier.
En se basant sur ce principe, le détective Kim Rossmo, de la
police de Vancouver, a conçu un logiciel qui permet de traquer
les meurtriers, agresseurs sexuels, pyromanes et voleurs à
main armée. En analysant linformation récoltée
sur les lieux du crime, le système informatique permet de prédire
lendroit le plus probable de résidence ou de travail
du malfrat. Depuis 1995, cette technique dite de «profilage
géographique» a aidé à élucider
des centaines de méfaits violents partout dans le monde.
«Cela est possible grâce aux données rassemblées
par les enquêteurs sur les lieux associés au crime. Par
exemple, ceux où lagression a été commise,
où le corps et les vêtements de la victime ont été
retrouvés et lendroit où celle-ci a été
vue pour la dernière fois, explique Éric Beauregard,
étudiant au troisième cycle à lÉcole
de criminologie. Les données relatives à cinq lieux
sont nécessaires pour obtenir une meilleure probabilité.»
À la suite de calculs, le logiciel produit une distribution
de probabilités tridimensionnelles appelée «surface
de danger». Cette surface, superposée à une carte
du lieu du crime, représente lendroit où il est
le plus probable de retrouver le criminel. Cest là quun
tueur en série ou un agresseur sexuel risque de sélectionner
sa prochaine victime. Car même si les homicides semblent parfois
commis sans motif apparent, le prédateur frappe généralement
dans un secteur quil connaît bien.
Le profilage géographique ne résout pas les crimes.
Cest un outil complémentaire au travail dinvestigation,
précise le jeune chercheur. «Rien ne remplacera le travail
denquête, dit-il. Plus linvestigation est complète
et rigoureuse, mieux on délimite laire daction
du criminel.» Sous la direction de Jean Proulx, professeur à
lÉcole de criminologie, et de Kim Rossmo, père
du profilage géographique, M. Beauregard consacre sa thèse
de doctorat à larrimage entre lapproche traditionnelle
et la technologie. Le but ultime de létudiant est de
parvenir à intégrer les données obtenues par
le profilage criminel et géographique dans un modèle
de prédictions statistiques qui permettrait de circonscrire
encore davantage les recherches des enquêteurs.
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Grâce
à linformation récoltée sur les lieux
du crime, le système de profilage géographique peut
délimiter la «surface de danger». Ce territoire,
représenté en rouge, indique lendroit le plus
probable de résidence ou de travail du criminel. |
Scène du crime
Pionnier du profilage criminel, une technique favorisant la détermination
des principales caractéristiques de la personnalité
et du comportement du criminel, le FBI a élaboré en
1978 cet outil denquête à la suite dune étude
menée auprès de meurtriers sexuels et de tueurs en série.
Le principal objectif était alors de connaître les méthodes
employées par ces derniers pour éviter dêtre
appréhendés. Linformation recueillie a permis
détablir une typologie basée sur les modes opératoires
et la personnalité des assassins.
«Ceux qui tuent leur victime peuvent être regroupés
en deux catégories: les organisés et les
désorganisés. Alors que les premiers préméditent
leur crime, les seconds agissent sous le coup de limpulsion
ou dès quune occasion se présente, allègue
le criminologue. Le désorganisé peut par
exemple attaquer sa voisine seule dans son appartement après
lavoir vue se déshabiller.»
Évidemment, le «désorganisé» laisse
aux policiers plus dindices que celui qui prémédite
son crime et sélectionne soigneusement ses victimes. Plus intelligent,
mieux intégré dans la société, ce dernier
choisit un endroit familier qui ne permettra pas de lidentifier
facilement.
Ted Bundy personnifie le meurtrier «organisé» par
excellence. Il a été exécuté en 1989,
pour les meurtres dune trentaine de femmes, après une
cavale sanguinaire de plusieurs années. Bundy défie
même la prémisse du profilage géographique: il
a commis ses homicides dans différents États américains.
En dépit de ses limites, le système informatique peut
rendre de grands services aux enquêteurs qui tentent toujours
de restreindre le nombre de suspects potentiels. Ce à quoi
sert principalement la technique du profilage criminel. Le postulat
de base est simple: la scène du crime reflète la personnalité
du malfaiteur. «La manière dont la victime a été
tuée et les blessures infligées peuvent révéler
une masse de renseignements sur le type de personnalité qui
aurait pu commettre de tels gestes, affirme le chercheur. Sagit-il
de loeuvre dun seul individu? Est-ce le premier crime
dune série ou celui dun délinquant inexpérimenté?
Ce sont des questions auxquelles le détective pourra répondre
après un examen détaillé de la scène du
crime et de tous les éléments quelle comporte.»
Selon le criminologue, la technique est plus efficace dans les cas
où le crime commis laisse entrevoir une psychopathologie: signes
de torture lors dun viol, éviscération,
mutilations post-mortem, crimes en série, sataniques ou ritualisés,
pédophilie, etc.
Lenquête: un art plus quune science?
Le FBI rapporte un taux de succès de 80% avec lutilisation
de profils psychologiques, mais aucune étude na réellement
confirmé ce chiffre, signale M. Beauregard. Dautres chercheurs
critiquent le fait que lapproche réduit le comportement
humain à quelques éléments observables. «Depuis
quelques années, on observe dailleurs une certaine évolution
de la technique du profilage criminel, note létudiant.
À partir de banques de données, de théories des
sciences du comportement et de méthodes statistiques, on essaie
détablir des modèles de prédiction.»
Tente-t-on de rendre plus scientifique lart denquêter?
À son avis, il serait utopique de penser que le profilage criminel
peut devenir une science exacte. «Il est toutefois important
de favoriser la collaboration entre les universitaires et les policiers
de manière à unir la théorie et la pratique et
à ladapter à lenquête policière»,
conclut le chercheur.
Dominique
Nancy