Volume 35 numéro 22
26 février 2001


 


L’informatique aux trousses des criminels dangereux
Éric Beauregard consacre ses études doctorales à intégrer le profilage criminel
et géographique dans un modèle de prédictions statistiques.

Après une maîtrise sur les modes opératoires et la personnalité
des meurtriers sexuels, Éric Beauregard, étudiant à l’École de criminologie, tente d’intégrer les caractéristiques du crime et de la personnalité de prédateurs sexuels au système de profilage géographique.

Même s’ils ne se sont pas côtoyés, Jack l’Éventreur, l’étrangleur de Boston et David Berkowitz, les plus célèbres et terrifiants tueurs en série de l’histoire, avaient plusieurs points communs, dont une signature de crime. Autre caractéristique: ils attaquaient leurs victimes dans un rayon de quelques kilomètres tout au plus. Leur champ d’action se limitait à leur environnement familier.

En se basant sur ce principe, le détective Kim Rossmo, de la police de Vancouver, a conçu un logiciel qui permet de traquer les meurtriers, agresseurs sexuels, pyromanes et voleurs à main armée. En analysant l’information récoltée sur les lieux du crime, le système informatique permet de prédire l’endroit le plus probable de résidence ou de travail du malfrat. Depuis 1995, cette technique dite de «profilage géographique» a aidé à élucider des centaines de méfaits violents partout dans le monde.

«Cela est possible grâce aux données rassemblées par les enquêteurs sur les lieux associés au crime. Par exemple, ceux où l’agression a été commise, où le corps et les vêtements de la victime ont été retrouvés et l’endroit où celle-ci a été vue pour la dernière fois, explique Éric Beauregard, étudiant au troisième cycle à l’École de criminologie. Les données relatives à cinq lieux sont nécessaires pour obtenir une meilleure probabilité.»

À la suite de calculs, le logiciel produit une distribution de probabilités tridimensionnelles appelée «surface de danger». Cette surface, superposée à une carte du lieu du crime, représente l’endroit où il est le plus probable de retrouver le criminel. C’est là qu’un tueur en série ou un agresseur sexuel risque de sélectionner sa prochaine victime. Car même si les homicides semblent parfois commis sans motif apparent, le prédateur frappe généralement dans un secteur qu’il connaît bien.

Le profilage géographique ne résout pas les crimes. C’est un outil complémentaire au travail d’investigation, précise le jeune chercheur. «Rien ne remplacera le travail d’enquête, dit-il. Plus l’investigation est complète et rigoureuse, mieux on délimite l’aire d’action du criminel.» Sous la direction de Jean Proulx, professeur à l’École de criminologie, et de Kim Rossmo, père du profilage géographique, M. Beauregard consacre sa thèse de doctorat à l’arrimage entre l’approche traditionnelle et la technologie. Le but ultime de l’étudiant est de parvenir à intégrer les données obtenues par le profilage criminel et géographique dans un modèle de prédictions statistiques qui permettrait de circonscrire encore davantage les recherches des enquêteurs.

Grâce à l’information récoltée sur les lieux du crime, le système de profilage géographique peut délimiter la «surface de danger». Ce territoire, représenté en rouge, indique l’endroit le plus probable de résidence ou de travail du criminel.


Scène du crime

Pionnier du profilage criminel, une technique favorisant la détermination des principales caractéristiques de la personnalité et du comportement du criminel, le FBI a élaboré en 1978 cet outil d’enquête à la suite d’une étude menée auprès de meurtriers sexuels et de tueurs en série. Le principal objectif était alors de connaître les méthodes employées par ces derniers pour éviter d’être appréhendés. L’information recueillie a permis d’établir une typologie basée sur les modes opératoires et la personnalité des assassins.

«Ceux qui tuent leur victime peuvent être regroupés en deux catégories: les “organisés” et les “désorganisés”. Alors que les premiers préméditent leur crime, les seconds agissent sous le coup de l’impulsion ou dès qu’une occasion se présente, allègue le criminologue. Le “désorganisé” peut par exemple attaquer sa voisine seule dans son appartement après l’avoir vue se déshabiller.»

Évidemment, le «désorganisé» laisse aux policiers plus d’indices que celui qui prémédite son crime et sélectionne soigneusement ses victimes. Plus intelligent, mieux intégré dans la société, ce dernier choisit un endroit familier qui ne permettra pas de l’identifier facilement.

Ted Bundy personnifie le meurtrier «organisé» par excellence. Il a été exécuté en 1989, pour les meurtres d’une trentaine de femmes, après une cavale sanguinaire de plusieurs années. Bundy défie même la prémisse du profilage géographique: il a commis ses homicides dans différents États américains.

En dépit de ses limites, le système informatique peut rendre de grands services aux enquêteurs qui tentent toujours de restreindre le nombre de suspects potentiels. Ce à quoi sert principalement la technique du profilage criminel. Le postulat de base est simple: la scène du crime reflète la personnalité du malfaiteur. «La manière dont la victime a été tuée et les blessures infligées peuvent révéler une masse de renseignements sur le type de personnalité qui aurait pu commettre de tels gestes, affirme le chercheur. S’agit-il de l’oeuvre d’un seul individu? Est-ce le premier crime d’une série ou celui d’un délinquant inexpérimenté? Ce sont des questions auxquelles le détective pourra répondre après un examen détaillé de la scène du crime et de tous les éléments qu’elle comporte.»

Selon le criminologue, la technique est plus efficace dans les cas où le crime commis laisse entrevoir une psychopathologie: signes de torture lors d’un viol, éviscération,
mutilations post-mortem, crimes en série, sataniques ou ritualisés, pédophilie, etc.


L’enquête: un art plus qu’une science?

Le FBI rapporte un taux de succès de 80% avec l’utilisation de profils psychologiques, mais aucune étude n’a réellement confirmé ce chiffre, signale M. Beauregard. D’autres chercheurs critiquent le fait que l’approche réduit le comportement humain à quelques éléments observables. «Depuis quelques années, on observe d’ailleurs une certaine évolution de la technique du profilage criminel, note l’étudiant. À partir de banques de données, de théories des sciences du comportement et de méthodes statistiques, on essaie d’établir des modèles de prédiction.»

Tente-t-on de rendre plus scientifique l’art d’enquêter? À son avis, il serait utopique de penser que le profilage criminel peut devenir une science exacte. «Il est toutefois important de favoriser la collaboration entre les universitaires et les policiers de manière à unir la théorie et la pratique et à l’adapter à l’enquête policière», conclut le chercheur.

Dominique Nancy