Volume 35 numéro 22
26 février 2001


 


Quand la musique contemporaine renoue avec le sacré
La Symphonie du millénaire se situait au carrefour de l’art, de l’appartenance sociale et du sacré.

Par les éléments qu’elle combinait, la Symphonie du millénaire a constitué un «bel objet sociologique», estime Anne Robineau.

La Symphonie du millénaire n’a laissé personne indifférent: on a adoré ou détesté cette oeuvre jouée devant l’oratoire Saint-Joseph pour saluer l’arrivée du troisième millénaire.
Anne Robineau, qui poursuit des études doctorales en sociologie de la musique contemporaine au Département de sociologie, y a vu tous les éléments répondant aux attentes sociales, politiques, artistiques et spirituelles d’une société.

Rappelons que l’événement, tenu le 3 juin dernier, a mis à contribution 19 compositeurs, 15 ensembles de musique en tous genres, 333 musiciens, les cloches de 15 églises et la participation active de 2000 des 40 000 personnes venues assister à ce spectacle gratuit en plein air.

«Il est rare que la musique contemporaine sorte des lieux de concert pour se retrouver sur la place publique, souligne l’étudiante. Il est également rare pour le public de pouvoir célébrer collectivement sa culture en dehors des activités de la fête nationale. Ces éléments en faisaient un bel objet sociologique!»

Anne Robineau n’estime pas pour autant que le grand public vient d’adopter la musique contemporaine comme miroir de ses valeurs et de sa culture. L’élément identitaire vient plutôt de l’enrobage du produit, qui renouait, selon son analyse, avec le passé récent du Québec, où la culture et les arts étaient imprégnés d’éléments religieux rassembleurs.

La dimension spirituelle de la Symphonie du millénaire ne faisait effectivement pas de doute: outre le choix de l’emplacement et l’utilisation des clochers, le fil conducteur qui a guidé les compositeurs était le Veni creator, un hymne liturgique grégorien du temps de la Pentecôte. Les titres des mouvements étaient Enfer, Purgatoire, Contemplation, Paradis, Ascension et Apothéose. Le concepteur de l’événement, Walter Boudreau, a reconnu que sa source d’inspiration lui venait d’une expérience esthético-spirituelle vécue sur les flancs du mont Royal alors qu’il n’avait pas 20 ans.

«Mais il ne faut pas se méprendre sur les intentions des artistes, précise Mme Robineau. Ils ont utilisé les symboles religieux comme support pour une expérience du sacré non pas dans le sens religieux du terme mais au sens d’expérience esthétique qui tisse et transcende les liens entre les individus d’un groupe. C’est en fait la réutilisation — selon les valeurs de la société moderne — du patrimoine religieux à des fins culturelles et d’identité collective.»

Dans l’esprit de la chercheuse, la sécularisation de la société n’enlève pas le besoin de repères symboliques qui agissent comme «puissance morale» gouvernant une société. «S’il nous arrive, en tant que collectivité, de bannir certaines institutions qui nous apportaient le sens dont nous avions besoin pour vivre en société à une époque donnée, cela n’évacue en rien le besoin de sens. Certaines manifestations culturelles, comme la Symphonie du millénaire ou les célébrations entourant Expo 67, peuvent répondre ponctuellement et de façon plus ou moins complète à ce besoin.»

Financée par les fonds publics pour commémorer le passage au 21e siècle et jouée au pied de l’oratoire Saint-Joseph, la Symphonie du millénaire a attiré 40 000 personnes.

La Symphonie illustre à sa façon la définition que les sociologues Durkheim et Balandier ont donné de la religion, soit la validation symbolique des expériences culturelles et politiques créatrices de sens pour une collectivité.


Stratégies sociales des groupes religieux

L’analyse d’Anne Robineau sur la Symphonie du millénaire est publiée dans le dernier numéro de la revue Religiologiques (UQAM), qui présente en neuf textes les actes du colloque sur les stratégies sociales des groupes religieux tenu au dernier congrès de l’ACFAS.

Les organisateurs de ce colloque, Martin Geoffroy et Jean-Guy Vaillancourt, professeurs au Département de sociologie, y présentent leurs analyses respectives sur l’institutionnalisation du mouvement nouvel âge et sur les stratégies sociales des groupes catholiques de droite.

Élisabeth Campos, chercheuse postdoctorale au Centre international de criminologie comparée de l’UdeM, et Catherine Dilhaire, étudiante à la maîtrise en criminologie, signent conjointement une étude sur les stratégies de recrutement des groupes sectaires.

Pour sa part, Anne Robineau prépare actuellement un colloque sur le thème «musique et société» qui se tiendra au prochain congrès de l’ACFAS en mai 2001, à l’Université de Sherbrooke.

Daniel Baril