Volume 35 numéro 22
26 février 2001


 


Les récidivistes de l’alcool au volant
Un noyau dur de 4000 irréductibles sur qui la répression est sans effet.

«Le nombre de conducteurs en état d’ébriété diminue dans la population en général, mais pas le noyau dur des récidivistes», a observé Jacques Bergeron.

Devant les campagnes toujours plus insistantes sur les dangers de l’alcool au volant, on s’étonne que des tragédies comme celle de Thetford Mines, où deux jeunes enfants ont été fauchés par un conducteur ivre et sans permis, puissent encore arriver. Sans parler de celle d’Ottawa mettant en cause un diplomate russe qui en était à sa troisième infraction du genre!

Les mesures d’intervention ne sont pas pour autant inefficaces. «Des enquêtes montrent que la proportion d’automobilistes conduisant avec un taux d’alcool supérieur à 0,08 est passée de 6 % en 1981 à 3,2 % en 1991, puis à 2 % l’année dernière, indique Jacques Bergeron, directeur du Laboratoire de simulation de conduite et professeur au Département de psychologie. Le phénomène est également observable par le nombre de suspensions de permis de conduire pour une durée de un an — soit pour une première offense —, qui a diminué de moitié entre 1987 et 1997.»

Aux États-Unis, les données montrent que 57 % des accidents mortels étaient attribuables à l’alcool en 1982, une proportion qui était passée à 39 % en 1997. Les chiffres seraient semblables pour le Canada. «Il y a donc moins de conducteurs en état d’ébriété dans la population en général», estime Jacques Bergeron.


Noyau dur

Mais il y a toujours un «mais». Une étude réalisée avec ses collègues Louise Nadeau, Serge Brochu et Pierre Thiffault pour le compte de la Société de l’assurance automobile du Québec et qui vient d’être rendue publique révèle que le nombre de suspensions de permis pour une durée de deux ans — c’est-à-dire pour une deuxième infraction — a connu une augmentation à la fin des années 80 et s’est stabilisé à environ 5500 par année depuis 1989.

«De 1990 à 1994, on a ainsi dénombré quelque 20 500 récidivistes condamnés pour une seconde infraction liée à l’alcool au volant, précise le chercheur. Mais le nombre de révocations de permis de conduire pour la même période était de 27 600. Cela signifie que 24 % des récidivistes sont condamnés plus de deux fois sur une période de cinq ans. Nous avons là un noyau dur qui représente une population à haut risque.»

Cette population, apparemment imperméable aux messages de prévention, comporte 10 fois plus d’hommes que de femmes, mais la proportion de ces dernières a presque doublé entre 1990 et 1997 pour atteindre près de 6 %. Le gros du noyau (38 %) se situe dans le groupe d’âge des 23-34 ans. Le récidiviste type est également sans emploi, a moins de 12 ans de scolarité et présente un taux d’agressivité supérieur à la moyenne.

L’étude a également fait ressortir une distribution régionale inégale des récidivistes. Ils sont trois fois plus nombreux en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine, sur la Côte-Nord, en Abitibi-Témiscamingue et dans le Nord du Québec que dans les centres urbains. «Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène, comme l’absence des transports en commun en région, la plus grande difficulté à contourner les barrages ou la consommation d’alcool plus élevée chez les sans-emploi, souligne Jacques Bergeron. Seule une étude plus approfondie permettra d’apporter des réponses.»


Traitement et motivation

Puisque les seules mesures de répression n’ont pas d’effet sur les récidivistes et qu’ils ne peuvent pas tous devenir diplomates pour la Russie, l’équipe de chercheurs s’est penchée sur les méthodes de traitement de leurs habitudes de consommation.

Par comparaison avec l’ensemble des clientèles des centres de réadaptation, les récidivistes de l’alcool au volant montrent qu’ils réagissent tout aussi bien que les autres clients aux traitements destinés à guérir leur alcoolisme et à résoudre leurs autres problèmes comportementaux. À la suite d’une évaluation de leurs problèmes, ils sont tout aussi nombreux à s’engager dans des programmes de traitement et à persévérer jusqu’au terme du programme.

«Mais pour que le traitement soit efficace, la motivation est déterminante», souligne le chercheur. L’équipe a donc recommandé au ministère des Transports d’obliger les contrevenants à subir une évaluation avant que les permis de conduire leur soient restitués.

«Depuis 1997, une telle évaluation est obligatoire pour ceux qui ont commis une seconde infraction. Nous avons recommandé qu’elle le soit également dès la première infraction pour ceux qui affichent un taux d’alcool de 0,16 % ou plus parce que ces conducteurs sont des récidivistes potentiels.»

L’idée derrière une telle mesure est que l’évaluation par un centre de réadaptation incite à s’inscrire à un programme de traitement. La proposition a reçu un accueil favorable au ministère des Transports, qui prépare un projet loi en ce sens.

Jacques Bergeron, qui est également chercheur au Centre de recherche sur les transports, poursuit ses travaux en évaluant cette fois l’effet des dispositifs d’antidémarrage imposés à ceux qui recouvrent leur permis après trois mois de suspension.

Daniel Baril