Les
récidivistes de lalcool au volant
Un
noyau dur de 4000 irréductibles sur qui la répression
est sans effet.
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«Le
nombre de conducteurs en état débriété
diminue dans la population en général, mais
pas le noyau dur des récidivistes», a observé
Jacques Bergeron. |
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Devant les campagnes
toujours plus insistantes sur les dangers de lalcool au volant,
on sétonne que des tragédies comme celle de Thetford
Mines, où deux jeunes enfants ont été fauchés
par un conducteur ivre et sans permis, puissent encore arriver. Sans
parler de celle dOttawa mettant en cause un diplomate russe
qui en était à sa troisième infraction du genre!
Les mesures dintervention ne sont pas pour autant inefficaces.
«Des enquêtes montrent que la proportion dautomobilistes
conduisant avec un taux dalcool supérieur à 0,08
est passée de 6 % en 1981 à 3,2 % en 1991, puis à
2 % lannée dernière, indique Jacques Bergeron,
directeur du Laboratoire de simulation de conduite et professeur au
Département de psychologie. Le phénomène est
également observable par le nombre de suspensions de permis
de conduire pour une durée de un an soit pour une première
offense , qui a diminué de moitié entre 1987 et
1997.»
Aux États-Unis, les données montrent que 57 % des accidents
mortels étaient attribuables à lalcool en 1982,
une proportion qui était passée à 39 % en 1997.
Les chiffres seraient semblables pour le Canada. «Il y a donc
moins de conducteurs en état débriété
dans la population en général», estime Jacques
Bergeron.
Noyau dur
Mais il y a toujours un «mais». Une étude réalisée
avec ses collègues Louise Nadeau, Serge Brochu et Pierre Thiffault
pour le compte de la Société de lassurance automobile
du Québec et qui vient dêtre rendue publique révèle
que le nombre de suspensions de permis pour une durée de deux
ans cest-à-dire pour une deuxième infraction
a connu une augmentation à la fin des années
80 et sest stabilisé à environ 5500 par année
depuis 1989.
«De 1990 à 1994, on a ainsi dénombré quelque
20 500 récidivistes condamnés pour une seconde infraction
liée à lalcool au volant, précise le chercheur.
Mais le nombre de révocations de permis de conduire pour la
même période était de 27 600. Cela signifie que
24 % des récidivistes sont condamnés plus de deux fois
sur une période de cinq ans. Nous avons là un noyau
dur qui représente une population à haut risque.»
Cette population, apparemment imperméable aux messages de prévention,
comporte 10 fois plus dhommes que de femmes, mais la proportion
de ces dernières a presque doublé entre 1990 et 1997
pour atteindre près de 6 %. Le gros du noyau (38 %) se situe
dans le groupe dâge des 23-34 ans. Le récidiviste
type est également sans emploi, a moins de 12 ans de scolarité
et présente un taux dagressivité supérieur
à la moyenne.
Létude a également fait ressortir une distribution
régionale inégale des récidivistes. Ils sont
trois fois plus nombreux en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine,
sur la Côte-Nord, en Abitibi-Témiscamingue et dans le
Nord du Québec que dans les centres urbains. «Plusieurs
hypothèses peuvent être avancées pour expliquer
ce phénomène, comme labsence des transports en
commun en région, la plus grande difficulté à
contourner les barrages ou la consommation dalcool plus élevée
chez les sans-emploi, souligne Jacques Bergeron. Seule une étude
plus approfondie permettra dapporter des réponses.»
Traitement et motivation
Puisque les seules mesures de répression nont pas deffet
sur les récidivistes et quils ne peuvent pas tous devenir
diplomates pour la Russie, léquipe de chercheurs sest
penchée sur les méthodes de traitement de leurs habitudes
de consommation.
Par comparaison avec lensemble des clientèles des centres
de réadaptation, les récidivistes de lalcool au
volant montrent quils réagissent tout aussi bien que
les autres clients aux traitements destinés à guérir
leur alcoolisme et à résoudre leurs autres problèmes
comportementaux. À la suite dune évaluation de
leurs problèmes, ils sont tout aussi nombreux à sengager
dans des programmes de traitement et à persévérer
jusquau terme du programme.
«Mais pour que le traitement soit efficace, la motivation est
déterminante», souligne le chercheur. Léquipe
a donc recommandé au ministère des Transports dobliger
les contrevenants à subir une évaluation avant que les
permis de conduire leur soient restitués.
«Depuis 1997, une telle évaluation est obligatoire pour
ceux qui ont commis une seconde infraction. Nous avons recommandé
quelle le soit également dès la première
infraction pour ceux qui affichent un taux dalcool de 0,16 %
ou plus parce que ces conducteurs sont des récidivistes potentiels.»
Lidée derrière une telle mesure est que lévaluation
par un centre de réadaptation incite à sinscrire
à un programme de traitement. La proposition a reçu
un accueil favorable au ministère des Transports, qui prépare
un projet loi en ce sens.
Jacques Bergeron, qui est également chercheur au Centre de
recherche sur les transports, poursuit ses travaux en évaluant
cette fois leffet des dispositifs dantidémarrage
imposés à ceux qui recouvrent leur permis après
trois mois de suspension.
Daniel
Baril