Volume 35 numéro 22
26 février 2001


 


Sur la piste de l’anti-obésité
Jean-Marc Lavoie et Karine Couturier étudient des rats qui n’engraissent pas.

Jean-Marc Lavoie et Karine Couturier ont entamé leur collaboration à l’occasion des Entretiens Jacques-Cartier, en 1995. Ils travaillent aujourd’hui à percer les secrets des rats Lou/C, qui n’engraissent pas.

Ils sont plus actifs, plus maigres et ils vivent jusqu’à 1,5 fois plus longtemps. Voilà pourquoi les rats Lou/C intéressent une équipe de chercheurs du Département de kinésiologie de l’Université de Montréal et de l’Unité des sciences et techniques des activités physiques et sportives de l’Université de Lyon. «On les dit “anti-obèses” parce qu’ils n’engraissent pas, explique Jean-Marc Lavoie, professeur au Département depuis 1973. Même si on les bourre de lipides, ils demeurent maigres. Durant l’exercice, par exemple, ils métabolisent plus facilement les graisses que les autres rats.»

Au laboratoire de M. Lavoie, au Centre d’éducation physique et des sports de l’Université de Montréal, Karine Couturier consacre actuellement sa thèse de doctorat à ces rongeurs. Rattachée également à l’Université de Lyon sous la codirection de Roland Favier, la chercheuse explique que la lignée des Lou/C pourrait nous en apprendre beaucoup. «Ces animaux de laboratoire sont étudiés depuis une quarantaine d’années pour la recherche sur le cancer, mais on commence tout juste à en explorer la morphologie, dit-elle. Notre but est de comprendre pourquoi leur métabolisme est si différent, notamment durant l’exercice.»

Pour un oeil profane, rien ne distingue les Lou/C des Wistar ou des Spague-Dawley, leurs «cousins» albinos. «Les trois sous-espèces se ressemblent comme trois gouttes d’eau», dit en souriant Karine Couturier. Toutefois, l’observation comportementale révèle des surprises. D’abord et avant tout, le Lou/C mange moins. Jusqu’à 40% moins. Pour lui, inutile de multiplier les tentations. Il se contente de repas frugaux.

Mais l’étude comportementale des rats anti-obèses apporte une autre surprise stupéfiante: ils sont de véritables athlètes. «Des marathoniens, corrige la doctorante. Lorsqu’ils ont accès à une roulette, certains rats peuvent courir jusqu’à 10 km en une seule journée, alors que le rat moyen ne dépasse pas les 500 m. C’est 20 fois plus…»


Manger moins, c’est meilleur

Le fait qu’il est moins gourmand que ses congénères confère au Lou/C un net avantage sur le plan de la longévité. «Chez les Wistar, on constate des mortalités vers l’âge de deux ans et seul un petit nombre atteint les deux ans et demi. Quant aux Lou/C, ils vivent en majorité au moins trois ans», relate l’étudiante.

Les chercheurs ont pu vérifier par eux-mêmes cette hypothèse scientifique de plus en plus admise: manger moins permet de vivre plus longtemps. Lorsque les expérimentateurs forcent les rats Wistar à manger aussi peu que les Lou/C, ils rattrapent leurs performants cousins au chapitre de la longévité.

L’un des protocoles de recherche établis par Karine Couturier — qui place trois groupes de 24 rats dans diverses situations — a permis de déceler tout de même des différences significatives. «Les rats Lou/C sont moins gros parce qu’ils mangent moins, mais aussi parce que leur métabolisme est différent», explique-t-elle.

Les chercheurs ont fait nager les animaux de laboratoire dès l’âge de trois mois pendant 60 minutes. Durant cette période, on a prélevé des échantillons sanguins régulièrement. Par la suite, l’examen des organes a permis de constater des différences morphologiques significatives. «L’exercice, c’est comme la vie en accéléré, dit Jean-Marc Lavoie. Quand on étudie des animaux pendant qu’ils effectuent un exercice, on peut observer des phénomènes qui prendraient des semaines, voire des mois à survenir.»

Les rats Lou/C sont principalement étudiés en Europe. Le laboratoire de Jean-Marc Lavoie est l’un des premiers au Canada à s’y consacrer.

Parce qu’ils ont moins d’appétit, certains rats sont plus actifs, vivent plus longtemps et seraient même plus intelligents que leurs cousins.


L’appétit: une question de foie?

Si les chercheurs savaient avec précision pourquoi les rats anti-obèses n’engraissent pas, ils auraient une piste intéressante pour mieux comprendre l’obésité. La plupart des recherches sur ce phénomène porte actuellement sur des rats obèses; on peut tester sur eux des médicaments qui les font maigrir. D’un autre côté, les raisons pour lesquelles les animaux n’engraissent pas pourraient s’avérer fort pertinentes.

Il faut d’abord répondre à une question très élémentaire: qu’est-ce que l’appétit? «C’est une question irrésolue, commente Jean-Marc Lavoie. Si les Lou/C ont moins d’appétit, c’est parce qu’ils sont génétiquement différents, évidemment. Un neurotransmetteur est-il en cause? Est-ce qu’une hormone intervient? Un organe joue-t-il un rôle?»

Depuis plus de 20 ans, le professeur Lavoie s’intéresse au rôle du foie dans le métabolisme. Il a donc sa petite idée. La prochaine cohorte de Lou/C pourrait lui permettre de raffiner ses hypothèses.

L’une de ses découvertes, dont les résultats ont été publiés dans l’American Journal of Physiology en 1989, a démontré que l’activité hépatique contribue à la régulation du métabolisme durant l’exercice. Il jouerait aussi un rôle dans l’appétit. «Tous les aliments que nous assimilons dans notre organisme passent par le foie, explique-t-il. C’est un grand réservoir de glycogène, branché directement sur le système nerveux. Quand on a faim, le foie peut nous indiquer qu’on pourrait manquer de glucose.»

Les chercheurs veulent donc observer ce que le foie, chez le Lou/C, recèle comme secrets. En admettant que les conclusions soient spectaculaires, on peut penser à d’éventuelles applications chez l’humain. «Une compagnie pharmaceutique pourrait être tentée de commercialiser un médicament qui agirait sur le foie pour couper l’appétit, explique Jean-Marc Lavoie. Mais c’est une idée encore très hypothétique; il faudrait s’assurer par exemple de la non-toxicité de la molécule. Nous sommes très loin de ce genre de travaux. Nous faisons ici principalement de la recherche fondamentale.»

Mathieu-Robert Sauvé