Sur
la piste de lanti-obésité
Jean-Marc
Lavoie et Karine Couturier étudient des rats qui nengraissent
pas.
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Jean-Marc
Lavoie et Karine Couturier ont entamé leur collaboration
à loccasion des Entretiens Jacques-Cartier,
en 1995. Ils travaillent aujourdhui à percer
les secrets des rats Lou/C, qui nengraissent pas. |
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Ils sont plus
actifs, plus maigres et ils vivent jusquà 1,5 fois plus
longtemps. Voilà pourquoi les rats Lou/C intéressent
une équipe de chercheurs du Département de kinésiologie
de lUniversité de Montréal et de lUnité
des sciences et techniques des activités physiques et sportives
de lUniversité de Lyon. «On les dit anti-obèses
parce quils nengraissent pas, explique Jean-Marc Lavoie,
professeur au Département depuis 1973. Même si on les
bourre de lipides, ils demeurent maigres. Durant lexercice,
par exemple, ils métabolisent plus facilement les graisses
que les autres rats.»
Au laboratoire de M. Lavoie, au Centre déducation physique
et des sports de lUniversité de Montréal, Karine
Couturier consacre actuellement sa thèse de doctorat à
ces rongeurs. Rattachée également à lUniversité
de Lyon sous la codirection de Roland Favier, la chercheuse explique
que la lignée des Lou/C pourrait nous en apprendre beaucoup.
«Ces animaux de laboratoire sont étudiés depuis
une quarantaine dannées pour la recherche sur le cancer,
mais on commence tout juste à en explorer la morphologie, dit-elle.
Notre but est de comprendre pourquoi leur métabolisme est si
différent, notamment durant lexercice.»
Pour un oeil profane, rien ne distingue les Lou/C des Wistar ou des
Spague-Dawley, leurs «cousins» albinos. «Les trois
sous-espèces se ressemblent comme trois gouttes deau»,
dit en souriant Karine Couturier. Toutefois, lobservation comportementale
révèle des surprises. Dabord et avant tout, le
Lou/C mange moins. Jusquà 40% moins. Pour lui, inutile
de multiplier les tentations. Il se contente de repas frugaux.
Mais létude comportementale des rats anti-obèses
apporte une autre surprise stupéfiante: ils sont de véritables
athlètes. «Des marathoniens, corrige la doctorante. Lorsquils
ont accès à une roulette, certains rats peuvent courir
jusquà 10 km en une seule journée, alors que le
rat moyen ne dépasse pas les 500 m. Cest 20 fois plus
»
Manger moins, cest meilleur
Le fait quil est moins gourmand que ses congénères
confère au Lou/C un net avantage sur le plan de la longévité.
«Chez les Wistar, on constate des mortalités vers lâge
de deux ans et seul un petit nombre atteint les deux ans et demi.
Quant aux Lou/C, ils vivent en majorité au moins trois ans»,
relate létudiante.
Les chercheurs ont pu vérifier par eux-mêmes cette hypothèse
scientifique de plus en plus admise: manger moins permet de vivre
plus longtemps. Lorsque les expérimentateurs forcent les rats
Wistar à manger aussi peu que les Lou/C, ils rattrapent leurs
performants cousins au chapitre de la longévité.
Lun des protocoles de recherche établis par Karine Couturier
qui place trois groupes de 24 rats dans diverses situations
a permis de déceler tout de même des différences
significatives. «Les rats Lou/C sont moins gros parce quils
mangent moins, mais aussi parce que leur métabolisme est différent»,
explique-t-elle.
Les chercheurs ont fait nager les animaux de laboratoire dès
lâge de trois mois pendant 60 minutes. Durant cette période,
on a prélevé des échantillons sanguins régulièrement.
Par la suite, lexamen des organes a permis de constater des
différences morphologiques significatives. «Lexercice,
cest comme la vie en accéléré, dit Jean-Marc
Lavoie. Quand on étudie des animaux pendant quils effectuent
un exercice, on peut observer des phénomènes qui prendraient
des semaines, voire des mois à survenir.»
Les rats Lou/C sont principalement étudiés en Europe.
Le laboratoire de Jean-Marc Lavoie est lun des premiers au Canada
à sy consacrer.
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Parce
quils ont moins dappétit, certains rats sont
plus actifs, vivent plus longtemps et seraient même plus
intelligents que leurs cousins. |
Lappétit: une question de foie?
Si les chercheurs savaient avec précision pourquoi les rats
anti-obèses nengraissent pas, ils auraient une piste
intéressante pour mieux comprendre lobésité.
La plupart des recherches sur ce phénomène porte actuellement
sur des rats obèses; on peut tester sur eux des médicaments
qui les font maigrir. Dun autre côté, les raisons
pour lesquelles les animaux nengraissent pas pourraient savérer
fort pertinentes.
Il faut dabord répondre à une question très
élémentaire: quest-ce que lappétit?
«Cest une question irrésolue, commente Jean-Marc
Lavoie. Si les Lou/C ont moins dappétit, cest parce
quils sont génétiquement différents, évidemment.
Un neurotransmetteur est-il en cause? Est-ce quune hormone intervient?
Un organe joue-t-il un rôle?»
Depuis plus de 20 ans, le professeur Lavoie sintéresse
au rôle du foie dans le métabolisme. Il a donc sa petite
idée. La prochaine cohorte de Lou/C pourrait lui permettre
de raffiner ses hypothèses.
Lune de ses découvertes, dont les résultats ont
été publiés dans lAmerican Journal of
Physiology en 1989, a démontré que lactivité
hépatique contribue à la régulation du métabolisme
durant lexercice. Il jouerait aussi un rôle dans lappétit.
«Tous les aliments que nous assimilons dans notre organisme
passent par le foie, explique-t-il. Cest un grand réservoir
de glycogène, branché directement sur le système
nerveux. Quand on a faim, le foie peut nous indiquer quon pourrait
manquer de glucose.»
Les chercheurs veulent donc observer ce que le foie, chez le Lou/C,
recèle comme secrets. En admettant que les conclusions soient
spectaculaires, on peut penser à déventuelles
applications chez lhumain. «Une compagnie pharmaceutique
pourrait être tentée de commercialiser un médicament
qui agirait sur le foie pour couper lappétit, explique
Jean-Marc Lavoie. Mais cest une idée encore très
hypothétique; il faudrait sassurer par exemple de la
non-toxicité de la molécule. Nous sommes très
loin de ce genre de travaux. Nous faisons ici principalement de la
recherche fondamentale.»
Mathieu-Robert
Sauvé