Jacques
Rousseau, lexplorateur méconnu
Pierre
Couture et Camille Laverdière signent une biographie du botaniste.
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Pierre
Couture (à gauche) et Camille Laverdière (à
droite) ont uni leurs efforts pour écrire la biographie
de Jacques Rousseau, qui figure selon eux parmi les chercheurs
les plus illustres de lhistoire des sciences au Québec. |
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Après le
krach de 1929, le gouvernement québécois envisage la
possibilité deffectuer une compression majeure: fermer
lUniversité de Montréal! Un homme reconnu pour
son tempérament bouillant, chargé de cours en botanique
et en génétique à lInstitut de botanique,
Jacques Rousseau, participe à la fondation dun comité
des professeurs qui mettra tout en oeuvre pour sauver luniversité
montréa-laise. Le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau
accepte de recevoir le porte-parole. Il lécoute, mais
refuse tout engagement. M. Taschereau est du nombre des leaders politiques
qui trouvent quune université à Montréal
est un luxe que le Québec ne peut soffrir.
Au cours de leurs activités de lobbying, lallié
de Jacques Rousseau et de ses compagnons sera le chef du parti de
lUnion nationale, Maurice Duplessis. LUniversité
de Montréal sera sauvée. Lorsquil prendra le pouvoir
en 1936, le «cheuf» fera une autre fleur à la communauté
scientifique en ouvrant les coffres de lÉtat pour financer
le mégaprojet du frère Marie-Victorin: le Jardin botanique
de Montréal.
Dans
la biographie de Jacques Rousseau, qui vient de paraître chez
XYZ éditeur dans la collection Les grandes figures, on trouve
beaucoup danecdotes de ce type. Signé Pierre Couture
et Camille Laverdière, louvrage lève le voile
sur la vie et loeuvre dun personnage méconnu de
lhistoire des sciences au Québec. Jacques Rousseau (1905-1970)
est disparu sans mériter de funérailles dÉtat,
quelques semaines avant la crise dOctobre, mais nombreux sont
ceux qui pouvaient témoigner de ses qualités dhomme
de science et dexplorateur. Professeur à lUniversité
de Montréal, puis à la Sorbonne et à lUniversité
Laval, directeur du Musée de lhomme à Ottawa,
cofondateur de lAssociation canadienne-française pour
lavancement des sciences (ACFAS), quil a longtemps dirigée,
Jacques Rousseau a pourtant marqué son époque.
«Il est sans conteste lune des 10 personnalités
les plus marquantes de lhistoire des sciences au Québec,
lance M. Laverdière, professeur retraité du Département
de géographie. Cétait un chercheur passionné
et un universitaire remarquable. Une bibliographie quil a établie
avant de mourir, et qui nest même pas complète,
compte 724 entrées.»
LACFAS et le Jardin
«Cétait un fondateur, reprend le coauteur Pierre
Couture, journaliste à la salle des nouvelles radiophoniques
de Radio-Canada. Sans sa combativité, sa culture et sa fougue,
on se demande comment auraient survécu lACFAS et le Jardin
botanique.»
Si le frère Marie-Victorin a été la figure dominante
des sciences durant la première moitié du 20e siècle,
Jacques Rousseau a été intimement lié à
ses trois plus prestigieuses réalisations: lACFAS, le
Jardin botanique de Montréal et la Flore laurentienne.
Pour parvenir à ses fins, il ne refusait pas les manoeuvres
politiques, sans cesser davoir une activité de recherche
intensive. Élève doué, il a décrit une
nouvelle espèce de plante, lastragale, à laquelle
il a consacré un des premiers doctorats en botanique à
lUniversité de Montréal. La soutenance de sa thèse,
en 1934, est dailleurs à lorigine dune légendaire
querelle entre les détracteurs et les alliés du frère
Marie-Victorin.
M. Laverdière, qui a connu Jacques Rousseau à lUniversité
de Montréal durant ses études, en 1956, se souvient
dun homme trapu, costaud, toujours disponible pour échanger
des idées avec les étudiants sur des sujets divers.
«Au début de sa carrière, on rapporte quil
est un dandy. Il porte le monocle, le complet trois-pièces.
Durant les années quarante, il affiche un certain relâchement,
surtout lorsquil revient de ses explorations sur le terrain.
Puis, durant sa carrière universitaire, il affectionne la cravate.
Mais au cours des dix dernières années de sa vie, il
se laisse gagner par la mode étudiante des années soixante:
cheveux longs, barbe forte. Durant cette décennie, au Centre
détudes nordiques de lUniversité Laval,
il est si complice avec les étudiants quil habite même
avec eux, en résidence.»
Camille Laverdière, qui caresse depuis longtemps lidée
de mieux faire connaître Jacques Rousseau dans le grand public,
a publié une bibliographie commentée en 1997 aux Presses
de lUniversité Laval. «Quand je lai connu,
Jacques Rousseau passait plus de temps avec les géographes
quavec les botanistes. Cétait vraiment un chercheur
multidisciplinaire.»
Et comment! Entre ses voyages dexploration, ses participations
à des congrès internationaux et ses nombreuses activités
administratives, Jacques Rousseau a entretenu le projet de traduire
et dannoter le récit du voyage au Canada dun explorateur
suédois du 18e siècle, Pehr Kalm, un collaborateur de
Carl von Linné. Ce travail de bénédictin loccupe
durant 10 ans. La publication, posthume, comptera 674 pages.
De santé «fragile» (ses parents le retirent momentanément
du collège, convaincus que sa vie sera brève), Jacques
Rousseau passera les 20 dernières années de sa vie à
subir des crises cardiaques à répétition. Doté
dun insatiable appétit de vivre, sa condition physique
ne la jamais ralenti. On lui doit la découverte dune
soixantaine de plantes et une dizaine dautres portent à
jamais lappellation Rousseauii ou Rousseauiana
en son honneur.
Louvrage de MM. Couture et Laverdière se lit avec plaisir;
les auteurs font partager de manière crédible leur admiration
pour le personnage. À noter, par exemple, que les chapitres
ne se succèdent pas chronologiquement, mais de façon
thématique. Résultat heureux.
Mathieu-Robert
Sauvé
Pierre Couture et Camille Laverdière, Jacques Rousseau,
La science des livres et des voyages, coll. Les grandes figures,
Montréal, XYZ éditeur, 2001, 176 pages, 15,95 $.