Volume 35 numéro 21
19 février
2001


 


Jacques Rousseau, l’explorateur méconnu
Pierre Couture et Camille Laverdière signent une biographie du botaniste.

Pierre Couture (à gauche) et Camille Laverdière (à droite) ont uni leurs efforts pour écrire la biographie de Jacques Rousseau, qui figure selon eux parmi les chercheurs les plus illustres de l’histoire des sciences au Québec.

Après le krach de 1929, le gouvernement québécois envisage la possibilité d’effectuer une compression majeure: fermer l’Université de Montréal! Un homme reconnu pour son tempérament bouillant, chargé de cours en botanique et en génétique à l’Institut de botanique, Jacques Rousseau, participe à la fondation d’un comité des professeurs qui mettra tout en oeuvre pour sauver l’université montréa-laise. Le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau accepte de recevoir le porte-parole. Il l’écoute, mais refuse tout engagement. M. Taschereau est du nombre des leaders politiques qui trouvent qu’une université à Montréal est un luxe que le Québec ne peut s’offrir.

Au cours de leurs activités de lobbying, l’allié de Jacques Rousseau et de ses compagnons sera le chef du parti de l’Union nationale, Maurice Duplessis. L’Université de Montréal sera sauvée. Lorsqu’il prendra le pouvoir en 1936, le «cheuf» fera une autre fleur à la communauté scientifique en ouvrant les coffres de l’État pour financer le mégaprojet du frère Marie-Victorin: le Jardin botanique de Montréal.

Dans la biographie de Jacques Rousseau, qui vient de paraître chez XYZ éditeur dans la collection Les grandes figures, on trouve beaucoup d’anecdotes de ce type. Signé Pierre Couture et Camille Laverdière, l’ouvrage lève le voile sur la vie et l’oeuvre d’un personnage méconnu de l’histoire des sciences au Québec. Jacques Rousseau (1905-1970) est disparu sans mériter de funérailles d’État, quelques semaines avant la crise d’Octobre, mais nombreux sont ceux qui pouvaient témoigner de ses qualités d’homme de science et d’explorateur. Professeur à l’Université de Montréal, puis à la Sorbonne et à l’Université Laval, directeur du Musée de l’homme à Ottawa, cofondateur de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS), qu’il a longtemps dirigée, Jacques Rousseau a pourtant marqué son époque.

«Il est sans conteste l’une des 10 personnalités les plus marquantes de l’histoire des sciences au Québec, lance M. Laverdière, professeur retraité du Département de géographie. C’était un chercheur passionné et un universitaire remarquable. Une bibliographie qu’il a établie avant de mourir, et qui n’est même pas complète, compte 724 entrées.»


L’ACFAS et le Jardin

«C’était un fondateur, reprend le coauteur Pierre Couture, journaliste à la salle des nouvelles radiophoniques de Radio-Canada. Sans sa combativité, sa culture et sa fougue, on se demande comment auraient survécu l’ACFAS et le Jardin botanique.»

Si le frère Marie-Victorin a été la figure dominante des sciences durant la première moitié du 20e siècle, Jacques Rousseau a été intimement lié à ses trois plus prestigieuses réalisations: l’ACFAS, le Jardin botanique de Montréal et la Flore laurentienne. Pour parvenir à ses fins, il ne refusait pas les manoeuvres politiques, sans cesser d’avoir une activité de recherche intensive. Élève doué, il a décrit une nouvelle espèce de plante, l’astragale, à laquelle il a consacré un des premiers doctorats en botanique à l’Université de Montréal. La soutenance de sa thèse, en 1934, est d’ailleurs à l’origine d’une légendaire querelle entre les détracteurs et les alliés du frère Marie-Victorin.

M. Laverdière, qui a connu Jacques Rousseau à l’Université de Montréal durant ses études, en 1956, se souvient d’un homme trapu, costaud, toujours disponible pour échanger des idées avec les étudiants sur des sujets divers. «Au début de sa carrière, on rapporte qu’il est un dandy. Il porte le monocle, le complet trois-pièces. Durant les années quarante, il affiche un certain relâchement, surtout lorsqu’il revient de ses explorations sur le terrain. Puis, durant sa carrière universitaire, il affectionne la cravate. Mais au cours des dix dernières années de sa vie, il se laisse gagner par la mode étudiante des années soixante: cheveux longs, barbe forte. Durant cette décennie, au Centre d’études nordiques de l’Université Laval, il est si complice avec les étudiants qu’il habite même avec eux, en résidence.»

Camille Laverdière, qui caresse depuis longtemps l’idée de mieux faire connaître Jacques Rousseau dans le grand public, a publié une bibliographie commentée en 1997 aux Presses de l’Université Laval. «Quand je l’ai connu, Jacques Rousseau passait plus de temps avec les géographes qu’avec les botanistes. C’était vraiment un chercheur multidisciplinaire.»

Et comment! Entre ses voyages d’exploration, ses participations à des congrès internationaux et ses nombreuses activités administratives, Jacques Rousseau a entretenu le projet de traduire et d’annoter le récit du voyage au Canada d’un explorateur suédois du 18e siècle, Pehr Kalm, un collaborateur de Carl von Linné. Ce travail de bénédictin l’occupe durant 10 ans. La publication, posthume, comptera 674 pages.

De santé «fragile» (ses parents le retirent momentanément du collège, convaincus que sa vie sera brève), Jacques Rousseau passera les 20 dernières années de sa vie à subir des crises cardiaques à répétition. Doté d’un insatiable appétit de vivre, sa condition physique ne l’a jamais ralenti. On lui doit la découverte d’une soixantaine de plantes et une dizaine d’autres portent à jamais l’appellation Rousseauii ou Rousseauiana en son honneur.

L’ouvrage de MM. Couture et Laverdière se lit avec plaisir; les auteurs font partager de manière crédible leur admiration pour le personnage. À noter, par exemple, que les chapitres ne se succèdent pas chronologiquement, mais de façon thématique. Résultat heureux.

Mathieu-Robert Sauvé


Pierre Couture et Camille Laverdière, Jacques Rousseau, La science des livres et des voyages, coll. Les grandes figures, Montréal, XYZ éditeur, 2001, 176 pages, 15,95 $.