Quand
les règles dérèglent
«On
prescrit aux femmes des hormones ou des antidépresseurs contre
le syndrome prémenstruel alors que cest la société
qui est malade», selon Marlene Gottheil.
|
«Le
processus de diagnostic du syndrome prémenstruel
nest pas objectif parce que le SPM fait partie de
la réalité socioculturelle nord-américaine»,
selon la chercheuse Marlene Gottheil. |
|
Sautes dhumeur,
mélancolie, irritabilité, insomnie, fatigue, douleurs
abdominales
Les symptômes du syndrome prémenstruel,
communément appelé SPM, sont nombreux. La littérature
médicale en répertorie plus de 200. Le Diagnostic
Statistics Manual, la bible des spécialistes de la santé,
associe même cette condition à un désordre psychiatrique!
Mais quen est-il au juste?
«Aucune recherche scientifique ne permet de soutenir une telle
pathologisation des menstruations, sinsurge Marlene Gottheil,
chercheuse au Département de psychologie. Le fait de lier la
santé mentale des femmes à leur biologie est inquiétant:
la tendance dans le milieu médical est dailleurs de traiter
le SPM par ses composantes biologiques sans tenir compte du contexte
de vie des individus. Si bien quon estime normal de prescrire
aux femmes des hormones ou des antidépresseurs pour soulager
leurs symptômes.»
Cest ce qui ressort dune étude menée par
la psychologue, qui, à la suite de ses recherches doctorales
sur limpact du SPM, vient de publier dans la Revue québécoise
de psychologie un article sur le sujet. Sous la direction des
professeurs Luc Granger et Rhona Steinberg, respectivement des universités
de Montréal et Simon Fraser (en Colombie-Britannique), Mme
Gottheil a tenté de connaître les critères sur
lesquels se basent les spécialistes de la santé pour
établir leur diagnostic.
La chercheuse a soumis un questionnaire à 1284 médecins,
psychiatres, psychologues et conseillers dorientation qui devaient
prendre connaissance de lune des deux histoires de cas suivantes.
Robert et Suzanne, tous les deux dans la trentaine, mariés
et parents, ont des accès de colère et souffrent de
tristesse, dagitation et dinsomnie. Seule différence:
le comportement de la femme survient cinq ou six jours avant son cycle
menstruel alors que celui de lhomme se reproduit toutes les
quatre ou cinq semaines.
Un diagnostic biaisé?
Des 614 professionnels qui ont répondu au questionnaire, 73%
posent un diagnostic de SPM dans le cas de Suzanne. Mais à
peine 11 dentre eux soutiennent avoir besoin dautres tests
pour confirmer leur hypothèse. De ceux-ci, seulement deux recommandent
à la patiente de dresser un bilan quotidien des symptômes
comme lexige le National Institute of Mental Health.
Dans le cas de Robert, il est évidemment plus difficile dévaluer
sa condition puisquil nexiste pas déquivalent
masculin du SPM. Les spécialistes lui accordent donc plus dattention
médicale et se penchent sur son milieu de vie et sa situation
affective. On craint davantage les conséquences de ses comportements:
violence conjugale, abus dalcool et de drogue, etc.
«Il y a aussi des préjugés associés aux
hommes, admet Mme Gottheil. Mais dans le processus de diagnostic du
SPM, on note une tendance à donner un avis médical conforme
au stéréotype culturel selon lequel les femmes sont
naturellement en moins bonne santé psychologique que les hommes
et plus susceptibles dêtre malades.»
Il ressort dailleurs de létude quindépendamment
de la formation des répondants la considération médicale
portée à la femme domine au détriment dune
évaluation des facteurs socioculturels, par exemple les problèmes
conjugaux, le stress ou encore labsence de choix dans les rôles
familiaux. Une fois le syndrome diagnostiqué, lapport
de ces éléments à la symptomatologie prémenstruelle
ne semble pas pris au sérieux par les cliniciens. Une nuance:
les femmes médecins incluent dans leur évaluation plus
de variables psychologiques et contextuelles que leurs confrères.
Le SPM est-il un phénomène mal compris par une médecine
obsédée par la pathologie? Oui, semble dire la chercheuse.
Elle ne croit pas quil sagisse dun héritage
de la condition féminine, mais ne nie pas la réalité
du problème. «Toutes les femmes nen sont pas affectées.
Mais il y a des femmes qui souffrent réellement; ce nest
pas le fruit de leur imagination!» À linstar de
lanthropologue américain Thomas Johnson, Marlene Gottheil
pense cependant que les symptômes du SPM sont plutôt liés
au stress vécu par les femmes. Lère moderne a
fait que celles-ci assurent des rôles multiples.
«Au Japon, où les femmes qui occupent un emploi ont droit
à trois ou quatre jours de congé par mois, le SPM nexiste
pas! La réalité nord-américaine est tout autre.
On préfère diminuer la tension par une sur-médicalisation,
car modifier la structure de la société reviendrait
à lui attribuer une part de responsabilité dans les
maux de la femme», soutient la psychologue.
Vite, une pilule!
Le problème auquel se heurtent les médecins est celui
de traiter une maladie dont lorigine est pour le moins mystérieuse.
En dépit de recherches qui infirment lhypothèse,
certains chercheurs croient que le SPM résulte dune baisse
du taux de progestérone dans la phase lutéale du cycle
menstruel, cest-à-dire après lovulation.
La chute brutale de cette hormone, si aucun ovule nest fécondé,
entraînerait lapparition du syndrome. Dautres pensent
que le SPM pourrait être lié à des altérations
dans la régulation de la sérotonine, un neurotransmetteur
responsable des états dâme. «Il ny
a pas encore de confirmation empirique de ces hypothèses»,
indique Marlene Gottheil.
On se perd donc en conjectures sur les soins appropriés. On
recommande entre autres déviter les situations stressantes
et de supprimer les aliments sucrés ou salés ainsi que
les excitants tels lalcool, le café et le tabac. Lorsque
le problème est grave, les professionnels se tournent vers
des solutions neurologiques ou des traitements endocriniens. Et là,
on retrouve sur le marché presque autant de produits quil
existe de symptômes du SPM. Le Prozac, un antidépresseur
couvert par lassurance-maladie, est présenté comme
un traitement de choix. Cela en agace plusieurs.
«Les hommes ont eux aussi des fluctuations dhormones et
des comportements bizarres par moments, souligne Mme Gottheil. Pourquoi
nexiste-t-il pas de syndrome testostéronal?
Après tout, les messieurs ont également un cycle hormonal.
Il est même quotidien!»
Dominique
Nancy