Volume 35 numéro 21
19 février
2001


 


Quand les règles dérèglent
«On prescrit aux femmes des hormones ou des antidépresseurs contre le syndrome prémenstruel alors que c’est la société qui est malade», selon Marlene Gottheil.

«Le processus de diagnostic du syndrome prémenstruel n’est pas objectif parce que le SPM fait partie de la réalité socioculturelle nord-américaine», selon la chercheuse Marlene Gottheil.

Sautes d’humeur, mélancolie, irritabilité, insomnie, fatigue, douleurs abdominales… Les symptômes du syndrome prémenstruel, communément appelé SPM, sont nombreux. La littérature médicale en répertorie plus de 200. Le Diagnostic Statistics Manual, la bible des spécialistes de la santé, associe même cette condition à un désordre psychiatrique! Mais qu’en est-il au juste?

«Aucune recherche scientifique ne permet de soutenir une telle pathologisation des menstruations, s’insurge Marlene Gottheil, chercheuse au Département de psychologie. Le fait de lier la santé mentale des femmes à leur biologie est inquiétant: la tendance dans le milieu médical est d’ailleurs de traiter le SPM par ses composantes biologiques sans tenir compte du contexte de vie des individus. Si bien qu’on estime normal de prescrire aux femmes des hormones ou des antidépresseurs pour soulager leurs symptômes.»

C’est ce qui ressort d’une étude menée par la psychologue, qui, à la suite de ses recherches doctorales sur l’impact du SPM, vient de publier dans la Revue québécoise de psychologie un article sur le sujet. Sous la direction des professeurs Luc Granger et Rhona Steinberg, respectivement des universités de Montréal et Simon Fraser (en Colombie-Britannique), Mme Gottheil a tenté de connaître les critères sur lesquels se basent les spécialistes de la santé pour établir leur diagnostic.

La chercheuse a soumis un questionnaire à 1284 médecins, psychiatres, psychologues et conseillers d’orientation qui devaient prendre connaissance de l’une des deux histoires de cas suivantes. Robert et Suzanne, tous les deux dans la trentaine, mariés et parents, ont des accès de colère et souffrent de tristesse, d’agitation et d’insomnie. Seule différence: le comportement de la femme survient cinq ou six jours avant son cycle menstruel alors que celui de l’homme se reproduit toutes les quatre ou cinq semaines.


Un diagnostic biaisé?

Des 614 professionnels qui ont répondu au questionnaire, 73% posent un diagnostic de SPM dans le cas de Suzanne. Mais à peine 11 d’entre eux soutiennent avoir besoin d’autres tests pour confirmer leur hypothèse. De ceux-ci, seulement deux recommandent à la patiente de dresser un bilan quotidien des symptômes comme l’exige le National Institute of Mental Health.

Dans le cas de Robert, il est évidemment plus difficile d’évaluer sa condition puisqu’il n’existe pas d’équivalent masculin du SPM. Les spécialistes lui accordent donc plus d’attention médicale et se penchent sur son milieu de vie et sa situation affective. On craint davantage les conséquences de ses comportements: violence conjugale, abus d’alcool et de drogue, etc.

«Il y a aussi des préjugés associés aux hommes, admet Mme Gottheil. Mais dans le processus de diagnostic du SPM, on note une tendance à donner un avis médical conforme au stéréotype culturel selon lequel les femmes sont naturellement en moins bonne santé psychologique que les hommes et plus susceptibles d’être malades.»

Il ressort d’ailleurs de l’étude qu’indépendamment de la formation des répondants la considération médicale portée à la femme domine au détriment d’une évaluation des facteurs socioculturels, par exemple les problèmes conjugaux, le stress ou encore l’absence de choix dans les rôles familiaux. Une fois le syndrome diagnostiqué, l’apport de ces éléments à la symptomatologie prémenstruelle ne semble pas pris au sérieux par les cliniciens. Une nuance: les femmes médecins incluent dans leur évaluation plus de variables psychologiques et contextuelles que leurs confrères.

Le SPM est-il un phénomène mal compris par une médecine obsédée par la pathologie? Oui, semble dire la chercheuse. Elle ne croit pas qu’il s’agisse d’un héritage de la condition féminine, mais ne nie pas la réalité du problème. «Toutes les femmes n’en sont pas affectées. Mais il y a des femmes qui souffrent réellement; ce n’est pas le fruit de leur imagination!» À l’instar de l’anthropologue américain Thomas Johnson, Marlene Gottheil pense cependant que les symptômes du SPM sont plutôt liés au stress vécu par les femmes. L’ère moderne a fait que celles-ci assurent des rôles multiples.

«Au Japon, où les femmes qui occupent un emploi ont droit à trois ou quatre jours de congé par mois, le SPM n’existe pas! La réalité nord-américaine est tout autre. On préfère diminuer la tension par une sur-médicalisation, car modifier la structure de la société reviendrait à lui attribuer une part de responsabilité dans les maux de la femme», soutient la psychologue.


Vite, une pilule!

Le problème auquel se heurtent les médecins est celui de traiter une maladie dont l’origine est pour le moins mystérieuse. En dépit de recherches qui infirment l’hypothèse, certains chercheurs croient que le SPM résulte d’une baisse du taux de progestérone dans la phase lutéale du cycle menstruel, c’est-à-dire après l’ovulation. La chute brutale de cette hormone, si aucun ovule n’est fécondé, entraînerait l’apparition du syndrome. D’autres pensent que le SPM pourrait être lié à des altérations dans la régulation de la sérotonine, un neurotransmetteur responsable des états d’âme. «Il n’y a pas encore de confirmation empirique de ces hypothèses», indique Marlene Gottheil.

On se perd donc en conjectures sur les soins appropriés. On recommande entre autres d’éviter les situations stressantes et de supprimer les aliments sucrés ou salés ainsi que les excitants tels l’alcool, le café et le tabac. Lorsque le problème est grave, les professionnels se tournent vers des solutions neurologiques ou des traitements endocriniens. Et là, on retrouve sur le marché presque autant de produits qu’il existe de symptômes du SPM. Le Prozac, un antidépresseur couvert par l’assurance-maladie, est présenté comme un traitement de choix. Cela en agace plusieurs.

«Les hommes ont eux aussi des fluctuations d’hormones et des comportements bizarres par moments, souligne Mme Gottheil. Pourquoi n’existe-t-il pas de ‘‘syndrome testostéronal’’? Après tout, les messieurs ont également un cycle hormonal. Il est même quotidien!»

Dominique Nancy