Un
dictionnaire bilingue canadien bientôt dans Internet
Une
expérience unique menée avec des étudiants au
baccalauréat
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«Un dictionnaire
nest jamais terminé, mais il sera suffisamment prêt
pour être consulté», lance André Clas, qui
pilote la réalisation dun dictionnaire bilingue canadien
dont laboutissement est prévu pour 2004. «Le grand
défi consiste à créer un dictionnaire avec du
travail étudiant, constate ce professeur émérite
du Département de linguistique et de traduction qui travaille
avec des étudiants au baccalauréat. Il sagit de
les amener à y trouver du plaisir et à produire un document
qui soit comparable à celui de professionnels.»
Le projet, qui a débuté en 1994, a reçu une première
subvention de 2,4 M$ sur cinq ans du Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada, puis une seconde en 1999. «Il faut cependant
maximiser les énergies puisque, estime M. Clas, la réalisation
dun dictionnaire coûte habituellement au moins 15 M$.
LUniversité dOttawa assure la partie du français
vers langlais, tandis que lUniversité de Montréal
et lUniversité Laval soccupent du volet de langlais
vers le français. Les deux universités québécoises
scrutent les canadianismes au microscope.
Cédérom et Internet
Le dictionnaire bilingue canadien sera édité en version
cédérom et accessible gratuitement dans Internet. «À
mon avis, le papier est mort pour les dictionnaires», tranche
André Clas, sans toutefois exclure la réalisation éventuelle
dune version papier. «Ces manuels de référence
changent de configuration et sont maintenant tous produits dans Internet.
On peut aussi y greffer une base de données sélectionnée.»
Selon le professeur, la réalisation de louvrage est un
excellent tremplin pour la centaine détudiants rémunérés
qui y auront participé en 10 ans. Le travail est plus intensif
durant la saison estivale. Pendant lannée universitaire,
pour des raisons évidentes, les étudiants y consacrent
au plus 15 heures par semaine.
Léquipe, composée de la traductrice Monique Cormier
et dune assistante de recherche, compte une quinzaine détudiants
qui change tous les trimestres. Les recrues, pour la plupart en deuxième
année du baccalauréat en traduction, sont triées
sur le volet. Après sêtre qualifiées à
lexamen de sélection, elles doivent lire un manuel de
200 pages et prendre part à des réunions de travail.
«Nous mettons un très fort accent sur la formation. Cest
aussi un superbe laboratoire pour les étudiants. La réflexion
sur la langue devient tout à fait intéressante. Certains
dentre eux se prennent même au jeu et décident
dentreprendre un mémoire ou une thèse sur le sujet»,
signale le professeur.
Telle une marguerite
Le linguiste compare lopération à une marguerite:
«La partie jaune compose le noyau le plus stable; elle est obligatoire
à tout dictionnaire. Les pétales sont, quant à
eux, des domaines plus particuliers, comme le volet scolaire ou environnemental.
En 2004, le jaune de la marguerite sera terminé, mais les pétales
seront plus ou moins développés.»
Répertorier les collocations ou les expressions figées
constitue un des aspects du travail de recherche. André Clas
donne lexemple du mot «blessé», auquel on
accole inévitablement ladverbe «grièvement».
«On ne peut séparer les deux mots. Tout comme suivre
un cours et non prendre un cours.»
Les caprices de la langue touchent la morphologie lorsquon parle,
par exemple, de «prendre une bière», comparativement
au fait de «prendre un médicament». Au Québec,
le mot «dispendieux» est un canadianisme, alors quen
France, cest un mot dit «du dimanche».
Pour M. Clas, la réalisation dun dictionnaire doit éviter
le piège de la norme. «Quand 99% de la population utilise
un mot, je suis obligé de linclure. Le dictionnaire ne
cherche pas à sanctionner, mais il répertorie.»
Faut-il pour autant intégrer largot et lexpression
littéraire? «Il ne faut pas verser dans les extrêmes;
il sagit de lusage courant.»
André Clas sinscrit également en faux contre la
mention «emploi critiqué» figurant dans plusieurs
dictionnaires. «Ça tend à disparaître. Ce
quon voit surtout, cest la fréquence dutilisation.
Quon soit daccord ou non avec lusage dun mot,
nous devons le faire apparaître.»
Méthodologie
Pour mener à bien ce travail de bénédictin, léquipe
a recours à Textum, une base de données comportant quelque
350 millions doccurrences aux racines anglaises, françaises
ou québécoises. Elle regroupe des textes de quotidiens,
doeuvres des Éditions Leméac et certains textes
de lAssociation canadienne-française pour lavancement
des sciences.
Les étudiants travaillent la plupart du temps par familles
de mots. Par exemple, le mot anglais boil donne lieu à plusieurs
mots composés tels boil away («sévaporer»),
boil down («se réduire») ou boil over («déborder»).
Quatre à cinq dictionnaires sont aussi utilisés.
«Pour faire un dictionnaire, il faut avoir une certaine expérience
de vie. Les étudiants qui sengagent dans le projet ont
souvent une vue assez naïve de cet ouvrage de référence.
Pourtant, il y a des milliers de mots qui ny figurent pas. Si
javais une recette, ce serait facile. Mais chaque mot a sa particularité.»
Une transformation perpétuelle
Pour André Clas, la langue est confrontée à des
mutations constantes. Les sociétés changent, des populations
émigrent, le tourisme de masse est en progression, lheure
est à la mondialisation, les organisations internationales
apportent des cultures différentes, les médias explosent,
bref, autant déléments qui ont une profonde influence
sur la diffusion du français et, donc, sur les dictionnaires.
«Nous assistons à un brassage qui na jamais existé
auparavant et à linstauration dune conscience sociale
accrue. Il faut donc que le dictionnaire que nous préparons
soit le plus complet, le plus explicatif et le plus riche possible.»
À ce jour, près de 45 000 entrées de mots ont
été effectuées. «Nous devons suivre lévolution
dans tous les sens, quil sagisse de langue, de technologie
ou des goûts à la mode. Nous essayons de faire un dictionnaire
continuel et dassurer une certaine permanence pour pouvoir changer,
ajouter, corriger et moderniser. »
Le professeur souhaite enfin que les avantages tirés de ce
dictionnaire dans Internet servent à la création dun
centre de lexicographie à lUniversité.
Marie-Josée
Boucher
Collaboration spéciale