Roger
prendra-t-il lhormone?
Les
hommes ne sont pas épargnés par les bouffées
de chaleur, crises didentité et pannes sexuelles. Mais
le traitement ne fait pas consensus.
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À
34 ans, Hélène Lavoie est ravie de travailler
à Montréal après avoir effectué
deux années détudes postdoctorales en
endocrinologie de la
reproduction à lUniversité Harvard,
à Boston. Elle partage son temps entre la clinique
de fertilité Procréa et lhôpital
Saint-Luc du CHUM. |
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À 55 ans,
Roger a des insomnies de plus en plus fréquentes. Depuis quelques
semaines, il est irritable, impatient, sans parler de ses problèmes
érectiles. Au beau milieu de la nuit dernière, il a
rejeté toutes ses couvertures et est allé maugréer
au salon à cause de ces insupportables bouffées de chaleur.
Son état inquiète sa femme, qui insiste pour quil
consulte un spécialiste.
Au cabinet de lendocrinologue, le diagnostic dandropause,
léquivalent masculin de la ménopause, est rapidement
évoqué. De plus en plus accepté par la communauté
médicale, ce syndrome dû à une baisse de lhormone
sexuelle suscite toutefois la controverse depuis quun médecin
américain, le Dr Morley, a affirmé quon pouvait
désormais se passer de tests biochimiques pour confirmer le
diagnostic. Pour Roger, donc, pas de prise de sang, un simple questionnaire
suffira.
«Je suis en total désaccord avec cette approche, dit
la Dre Hélène Lavoie, professeure de clinique au Département
dendocrinologie de la Faculté de médecine. Les
recherches sur lhormone sexuelle chez lhomme sont nettement
insuffisantes pour conclure à un déséquilibre
hormonal après un simple questionnaire.»
En effet, le test Morley est constitué de 10 questions assez
rudimentaires: le sujet éprouve-t-il une baisse du désir
sexuel? Un manque dénergie? Une diminution de la force
ou de lendurance? Une diminution de la joie de vivre? Est-il
dhumeur triste ou maussade? Ses érections sont-elles
moins fortes? Ses performances sportives ont-elles diminué?
Sendort-il après les repas? Son rendement professionnel
sest-il dégradé?
Si le patient ressent une baisse du désir sexuel ou une diminution
de ses érections, ou sil répond oui à trois
autres questions, le spécialiste établira un diagnostic
dandropause et prescrira des médicaments. Un comprimé
récemment approuvé par Santé Canada, lAndriol,
a de plus en plus la faveur des médecins. Plus facile à
administrer que linjection de testostérone, le médicament
fera augmenter le taux de cette hormone dans le sang de Roger, qui
retrouvera certains attributs perdus.
Une femme dans la testostérone
Médecin à lhôpital Saint-Luc et à
la clinique de fertilité Procréa, la Dre Lavoie traite
de cinq à six nouveaux cas dandropause par mois. Dès
ses études universitaires, elle sest intéressée
aux hormones sexuelles, alors que la mode était plutôt
aux hormones reliées au diabète, à lostéoporose
et à dautres maladies. Elle sest naturellement
tournée vers landropause et son traitement. Mais comment
les hommes acceptent-ils de se faire demander par une femme: «Et
vos érections, ça va?» «Je minquiétais
au début. Je craignais que mes patients soient rébarbatifs
à lidée de me parler de leur intimité.
Je suis rassurée maintenant. Certains sont même moins
gênés den parler à une femme quà
un homme.»
Elle a souvent prescrit le traitement visant à rétablir
le taux de testostérone, mais non sans avoir au préalable
effectué plusieurs tests indiquant que les symptômes
ressentis étaient bien dus à un déséquilibre
hormonal. «Les hormones sont beaucoup plus complexes quelles
en ont lair, explique la spécialiste. Leur quantité
varie si vous avez un rhume ou si vous êtes tendu; et même
selon lheure du jour ou de la nuit. Cest pourquoi il faut
interpréter les résultats des tests avec circonspection.»
On sait que le taux de testostérone est plus élevé
au réveil quà la fin du jour. Or, un matin, lorsquun
travailleur de nuit sest présenté pour son prélèvement,
la Dre Lavoie lui a dit de revenir en fin daprès-midi...
après avoir dormi. Le résultat serait plus fiable ainsi.
LAndriol, qui fait lobjet dune grosse campagne de
publicité par la compagnie pharmaceutique Organon, est loin
dêtre un médicament miracle, note la Dre Lavoie,
qui lui préfère généralement les injections
autoadministrées. «LAndriol est un comprimé
fort coûteux qui est peu absorbé par le sang, explique-t-elle.
À peine huit pour cent du principe actif est absorbé.
Actuellement, le médicament fait lobjet de plusieurs
études cliniques, mais je ne crois pas quil soit toujours
le meilleur choix.»
Dans un supplément de LActualité médicale
portant sur landropause paru en 1998, le Dr Roland Tremblay,
de lUniversité Laval, affirmait sa nette préférence
pour les androgènes oraux. Ceux-ci induisent un taux beaucoup
plus stable de testostérone, alors que les injections intramusculaires,
généralement toutes les deux semaines, créent
des variations notables de lhumeur, de la libido, etc.
Reste que pour lun ou pour lautre traitement, un certain
risque demeure: leffet sur la prostate. La Dre Lavoie répète
que les recherches sont nettement insuffisantes pour tirer des conclusions
définitives.
Une renaissance
Hélène Lavoie ne met pas en doute la réalité
clinique de landropause. Certains de ses patients, qui sinjectent
de la testostérone, ont vécu une véritable renaissance
grâce au traitement. «Ils sont méconnaissables.
Ils sont plus efficaces au travail, plus épanouis dans leurs
relations intimes, bref, plus heureux», relate-t-elle.
Le médecin signale cependant que la nature du vieillissement
diffère considérablement, sur le plan hormonal, entre
lhomme et la femme. «Vers lâge de 50 ans,
les ovaires cessent subitement de fonctionner, rappelle-t-elle. Le
cerveau gère ce changement en ordonnant la production massive
dhormones folliculo-stimulante (FSH) et lutéinisante
(LH), responsables respectivement du développement des oeufs
et de lovulation. Il est facile de trouver des indices de cette
abondance dans une prise de sang. La totalité des femmes qui
vivent assez longtemps se verront donc prescrire des oestrogènes
et, si besoin est, de la progestérone. Cest un consensus
bien admis.»
Par comparaison, chez lhomme, la production de testostérone
diminue graduellement à partir de lâge de 30 ans.
On na donc pas affaire, sauf exception, à un changement
hormonal soudain. La chose se complique du fait que la mesure de la
testostérone peut se faire de différentes manières
et quil ny a pas consensus sur le moyen le plus fiable
et le plus représentatif daborder le problème.
De plus, le seuil à partir duquel il est recommandé
de recourir aux médicaments est controversé. On situe
la normale entre 10 et 30 millimoles (mmol) de testostérone
par litre de sang. Mais avant de conclure à landropause
et doffrir un traitement à long terme, il faut tenir
compte de lensemble du tableau clinique et éliminer les
autres causes. Surtout quand la mesure se situe près de la
limite inférieure.
«Certains hommes ont un taux très bas de testostérone
toute leur vie, dautres un taux très élevé.
La baisse sera ressentie de façon très variée.
Chez certains individus, on ne note aucun symptôme et, chez
dautres, comment dire
mon Dieu que ça va mal!»
Les écarts semblent être déterminants. Si un homme
a un taux de 28 mmol par litre de sang à lâge de
30 ans et quil se situe à 10 à 75 ans, il notera
sans doute des changements physiologiques. Cependant, celui qui passe
de 14 à 10 en quelques semaines naura probablement aucun
symptôme.
Mathieu-Robert
Sauvé