Prescription
par compassion et banalisation des psychotropes
Au-delà
de laspect thérapeutique, Johanne Collin étudie
le médicament comme phénomène social et culturel.
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«On
aura beau multiplier les interventions en santé publique
et les actes professionnels, on ne peut pas agir sur les
comportements si lon nen comprend pas les valeurs
et la logique sous-jacentes», observe la chercheuse. |
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Beaucoup dasthmatiques
ont des animaux de compagnie dont ils ne veulent pas se départir
même sils savent que pitou, minou ou pinson peuvent être
responsables de leur condition.
Malgré toute linformation disponible sur les médicaments
contre lhypertension, la façon de les prendre et leurs
effets, il y a encore au-delà de 40% dinobservance des
prescriptions.
Il faut cependant y regarder à deux fois avant de conclure
quil sagit là de comportements irrationnels, estime
Johanne Collin. Mme Collin, qui enseigne depuis cinq ans lhistoire
et la sociologie du médicament à la Faculté de
pharmacie, est également membre du Groupe de recherche sur
les aspects sociaux de la santé et de la prévention;
elle y mène des recherches sur le médicament comme phénomène
social et culturel avec une équipe financée par le fonds
FCAR et composée du sociologue David Cohen et de la psychosociologue
Guylaine Perrodeau (UQAH).
«Il y a beaucoup de recherches pharmacologiques et épidémiologiques
sur lutilisation adéquate et rationnelle du médicament,
constate la chercheuse. Nous disposons de nombreuses statistiques
sur les pratiques de prescription et de consommation. Mais nous avons
très peu de données pour comprendre la signification
de ces pratiques de santé et leur observance.»
Dans deux recherches qualitatives, la première auprès
de personnes âgées consommatrices de psychotropes et
la seconde auprès de médecins qui prescrivent ces médicaments
aux plus de 65 ans, Johanne Collin a voulu aller un peu plus loin
que la simple collecte de données factuelles.
«En réalité, signale-t-elle, les patients prennent
leurs médicaments en fonction de toutes sortes de facteurs:
lexpérience quils ont de leur maladie, leurs connaissances,
leur compréhension de linformation donnée par
les professionnels, leurs valeurs, leur perception de leur état
de santé, lexpérience de leurs proches, etc.»
Un outil de médiation
Ainsi lasthmatique qui décide de conserver son animal
de compagnie estime probablement quil se porterait encore plus
mal sil devait sen défaire. Ou encore, il a vraiment
fait lexpérience de sen passer pour réaliser
que cela ne règle en rien son problème.
«On aura beau multiplier les interventions en santé publique
et les actes professionnels, on ne peut pas agir sur ces comportements
si lon nen comprend pas les valeurs et la logique sous-jacentes»,
observe la chercheuse. Dans sa recherche sur les attitudes des médecins
qui prescrivent des psychotropes aux personnes âgées,
Johanne Collin a découvert chez ces praticiens une tendance
à la prescription par compassion.
«Dune part, ces médecins sont très sensibles
à la situation des personnes âgées, mais, dautre
part, ils ont une conception très sombre et négative
de la vieillesse. Si la recherche navait pas été
poussée un peu plus loin, on aurait été tentés
de conclure quils connaissent mal les conséquences dune
prescription inadéquate, quils sont mal informés
des problèmes des personnes âgées ou quils
nont pas vu le dossier complet de ces patients. Au contraire,
ces médecins estiment que cest là leur façon
de venir en aide aux personnes âgées. Ils croient que,
pour conserver la confiance de ces patients, ils doivent, dans une
certaine mesure, acquiescer à leurs demandes de psychotropes.
Des médecins tiennent aussi compte du fait que ces gens ne
peuvent généralement pas suivre de psychothérapie.
La prescription de psychotropes aux personnes âgées est
donc un acte beaucoup plus complexe quil ny paraît
de lextérieur. Les propos recueillis par ces médecins
montrent aussi quil y a beaucoup plus de compassion dans notre
système de santé quon peut se limaginer.
Le médicament est un outil de médiation entre le médecin
et son patient. Pour le patient, le médicament est donc le
signe que le médecin agit, quil se préoccupe de
sa condition.»
«Moi, cest pas pareil!»
Mme Collin a aussi étudié la consommation de médicaments
chez 42 personnes âgées des deux sexes vivant en résidence
et de milieux socioéconomiques variés. Elle a toutefois
été étonnée de constater que plus de 40%
de ces personnes consommaient des psychotropes régulièrement
depuis plusieurs années. Les études statistiques sur
la question révèlent quenviron le tiers des 65
ans et plus consomment des psychotropes (surtout des somnifères
et des tranquillisants mineurs), pas nécessairement sur une
base régulière.
Dans cette deuxième recherche, lhistorienne a constaté
chez les personnes interrogées une banalisation des psychotropes.
«Elles sont craintives quant à ces médicaments
parce quelles connaissent le discours sur les dangers dune
telle consommation. Mais comme ces psychotropes sont souvent prescrits
avec la mention PNR, cest-à-dire renouvelables
au besoin, la personne peut sapproprier le médicament
et avoir le sentiment quelle a un certain contrôle. Elle
se dit que si le médecin lui laisse cette latitude, cest
quil y a moins de conséquences quon le prétend.
Même si elles sont conscientes des problèmes de consommation
à long terme, ces personnes se disent: Moi, cest
pas pareil!»
La recherche met aussi en évidence que ces gens considèrent
leurs médicaments selon un ordre de priorité, de même
quils hiérarchisent leurs problèmes de santé.
«Pour le coeur, cest sacré», disent-ils,
parce quils ont eu un infarctus ou une opération à
coeur ouvert.
Deux discours
«Nous sommes donc en présence de deux discours qui se
répondent, note Johanne Collin. Dune part, celui des
médecins, qui perçoivent plus davantages que dinconvénients
à prescrire des psychotropes dans la mesure où les dosages
sont faibles et quils gardent le contrôle sur cette consommation.
Dautre part, celui des personnes âgées, qui tentent
de banaliser le phénomène. Pourtant, les résultats
des études statistiques sont tels quon devrait sen
préoccuper plus sérieusement.»
On sait que la consommation de psychotropes et les dangers dinteractions
médicamenteuses qui en découlent sont une cause majeure
de chutes, de pertes dautonomie et de mémoire ainsi que
dhospitalisation des personnes âgées, sans parler
des risques de toxicomanie.
«On remarque cependant que, chez les gens âgés,
la consommation de psychotropes est très stable contrairement
à lescalade qui caractérise les toxicomanes en
général», indique Mme Collin. Néanmoins,
certaines personnes âgées disent quelles aimeraient
arrêter den prendre, mais elles sont aux prises avec une
situation difficile, nont pas vraiment de soutien et, par conséquent,
ne sont pas vraiment motivées à cesser la prise de ces
médicaments. Sans compter lâgisme qui sen
mêle: «Vous savez, à mon âge!» et qui
contribue à la démission thérapeutique.
Même si certains médecins de famille font un peu de «counselling»,
ils ne peuvent quand même pas changer le monde, reconnaît
la chercheuse. «Il sagit en somme de problèmes
de nature psychosociale quon traite avec des moyens médicaux.
On oriente tout vers le médical alors que le médecin
ne peut résoudre avec des médicaments des problèmes
liés à une situation de vie qui na pas de sens.»
Johanne Collin entreprend maintenant un autre volet de sa recherche
qui portera sur les produits naturels. Ces produits, qui font de plus
en plus dadeptes chez les gens âgés, peuvent produirent
des interactions néfastes avec certains médicaments.
Dailleurs, une nouvelle loi visant à assurer un meilleur
contrôle sur ces produits est à létude au
gouvernement fédéral.
Françoise
Lachance