Volume 35 numéro 20
12 février 2001


 


Comment faire du neuf avec du vieux…
Pour Pierre de Coninck, le réemploi des objets usés est devenu une stratégie de conception pertinente en design industriel.

Ce support mural de caoutchouc non recyclable, conçu par Amiel Lapalme, étudiant de troisième année en design industriel, permet le rangement de balais, d’outils et de guitares, fait valoir le professeur Pierre de Coninck sur la table, la ceinture de caoutchouc fabriquée à partir d’un pneu de vélo par les étudiants Tobiaz Filipowicz, Isabelle Gagnon, Sithiriscient Khay et Julie Kassabian.

Un chandelier conçu à partir d’un siphon et d’un bouchon d’évier, une ceinture de caoutchouc provenant d’un pneu de vélo et une pendule dont la base était initialement la platine d’un tourne-disque… Invraisemblable? Eh bien non! Pour Pierre de Coninck, professeur à l’École de design industriel, le réemploi de rebuts est de nos jours une nécessité.

«Nous ne pouvons plus considérer toutes les matières résiduelles comme des déchets, car 80% d’entre elles sont récupérables, affirme le designer. Une nouvelle attitude se dessine donc à l’égard de l’objet industriel: sa conception, sa fabrication, sa consommation et sa destruction sont remises en question.»

Les étudiants inscrits aux ateliers de design I et IV n’ont pas le choix: ils doivent «réemployer» des pièces provenant de produits de consommation usagés. Il ne s’agit pas de recyclage, précise M. de Coninck. Le réemploi est le R qui se situe entre la réduction à la source et le recyclage dans la hiérarchie de gestion environnementale des déchets et des résidus. Cette stratégie, promue par le ministère de l’Environnement, «consiste à remettre en usage, sans transformation, ce qui est considéré comme un déchet».

Cette pendule, dont la base était initialement la platine d’un tourne-disque et les aiguilles, des leviers de commande du même appareil, n’est pas seulement jolie. Elle fonctionne vraiment. Elle a été conçue par Simon Lemèle, étudiant
de troisième année en design industriel.


«On n’a pas de déchets»

Il n’est cependant pas facile de concevoir un nouveau produit fonctionnel, sécuritaire et esthétique avec du vieux. Comme le signale dans son rapport de trimestre Amiel Lapalme, «plus la pièce a une forme complexe, plus elle est restreinte à son utilité première et sa juxtaposition avec d’autres pièces est difficile. La création est alors moins libre.»

L’étudiant de troisième année en design industriel peut être satisfait de son projet. Le support mural Éco-caoutchouc permet le rangement de balais, d’outils ou de guitares. Il est pratique et représente une façon originale de réutiliser le caoutchouc non recyclable, fait valoir Pierre de Coninck. Résistant aux intempéries, ce produit peut être installé à l’extérieur comme à l’intérieur.

Pour réaliser ce travail, l’étudiant a communiqué avec une soixantaine d’entreprises afin de connaître les matériaux réutilisables dans leurs rebuts. La réponse des trois quarts de ces sociétés le laisse perplexe: «Aucun. Nos déchets sont des ordures!» Cela est tout à fait absurde, signale M. Lapalme. «Certaines entreprises n’ont pas conscience de la valeur de leurs rebuts. À cause de la philosophie de la qualité totale, elles croient notamment que seules les pièces parfaites se vendent. Pourtant, les objets altérés et jetés à la poubelle sont la source première de l’éco-designer.»

La ceinture de caoutchouc fabriquée à partir d’un pneu de vélo est un autre exemple de nouvelle utilisation originale. Pour concevoir cette ceinture, les étudiants Tobiaz Filipowicz, Isabelle Gagnon, Sithiriscient Khay et Julie Kassabian ont pensé aux jeunes âgés entre 15 et 20 ans sensibles à l’aspect environnemental et à l’originalité vestimentaire. «Ce produit contient un message social et culturel très fort, si l’on en juge par la réaction des adolescents qui ont vu les ceintures exposées cet hiver, commente M. de Coninck. L’image que projette un produit est importante pour sa vente.»

Bien qu’aucun projet, à ce jour, n’ait encore été commercialisé, les travaux sont effectués dans cette optique. C’est ainsi que M. de Coninck a incité certains étudiants à soumettre pour évaluation leur projet (la ceinture de caoutchouc et le support mural) au Centre d’entrepreneurship HEC-Poly-UdeM. Rien ne dit qu’ils ne parviendront pas à conquérir le marché nord-américain, mais qui sait…

Un chandelier, fabriqué à partir d’un siphon et d’un bouchon d’évier. Les goulots de deux bouteilles de verre ont été coupés et poncés par souci de sécurité, et d’esthétique, pour empêcher la cire de couler. Cette pièce a été conçue par Marie-Pierre Di Donato, Adrienne Dominguez, Minh-Tu Le Nguyen et Isabelle Leblanc, étudiantes de première année à l’École de design industriel.


L’éco-design à la rescousse

Au Québec, chaque personne produit annuellement une tonne de déchets, dont 14% seulement sont recyclés. On fait enfouir le reste, déplore M. de Coninck. «Ces chiffres nous placent parmi les plus grands producteurs de déchets au monde, dit-il. Leur nombre est de deux à trois fois plus élevé qu’au Japon ou en Europe, où l’on projette, d’ici 5 à 10 ans, d’interdire l’enfouissement des appareils électroménagers par exemple.»

Conscient du gaspillage de ressources, de l’impact environnemental et de l’importance du développement durable, le professeur de Coninck a mis sur pied un atelier dont l’objectif principal est de sensibiliser les futurs designers au rôle qu’ils auront à jouer. «Ce sont des acteurs importants dans la conception de produits, affirme-t-il. Les concepteurs sont de plus en plus appelés à maîtriser non seulement les contraintes de la “vie” d’un produit et de son usage mais aussi celles liées à sa “mort” et à ses conditions de recyclage.»

Mais dans son esprit, le concept du cours ne devait pas être restreint à la notion écologique. Les aspects social et économique occupent également une place essentielle. «Je voulais une adéquation entre la société, le réemploi d’objets usés et la production à petite ou moyenne échelle de nouveaux produits qui soient viables», explique-t-il.

Grâce à la collaboration du Réseau des ressourceries du Québec et de deux éco-centres de Montréal, le cours imaginé par le professeur de Coninck a été offert pour la première fois à l’École de design industriel l’automne dernier. Près d’une centaine d’étudiants de première et de troisième année s’y sont inscrits, et autant de projets ont été proposés. La qualité des prototypes réalisés témoigne de leur motivation et de leur intérêt. Ils ne sont pas les seuls. Recyc-Québec, un organisme para-gouvernemental voué à la promotion du recyclage, s’est montré fort enthousiaste pour le concept de l’atelier. Il a décidé d’offrir, pour les deux prochaines années, des prix d’une valeur totale de 2500$ aux deux meilleurs projets de chacun des ateliers. Les gagnants seront connus à la fin mars.

Dominique Nancy