Parlez-moi
damour
Myriam
Spielvogel étudie le discours de femmes hétérosexuelles,
lesbiennes et religieuses sur les rapports amoureux.
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«Lexpression
de lindividualisme, de lautonomie et de lépanouissement
personnel ne conduit pas nécessairement à
plus de pouvoir et de liberté pour les femmes»,
selon Myriam Spielvogel. La sociologue fait présentement
un stage postdoctoral au Centre de recherche en droit public. |
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Quest-ce
que lamour? «Cest une émotion, une chimie,
une source de plaisir, de bien-être et daccomplissement.»
«Pour moi, cest une sorte dénergie positive
quon recherche quand on ne la pas et dans laquelle on
investit beaucoup.» «Cest quelque chose qui nest
pas palpable, mais quon ressent dans nos tripes.»
Ces propos tenus par des femmes âgées de 33 à
45 ans témoignent que lamour est un état difficilement
descriptible dont la quintessence nous échappe, dit Myriam
Spielvogel, chercheuse au Département de sociologie.
«Ses joies sont évoquées à travers les
doux souvenirs du passé ou dans lespoir dun avenir
plus heureux, mais lamour, le vrai, semble toujours
ailleurs ou encombré dartifices qui entravent sa pleine
réalisation, souligne-t-elle. Les gens continuent néanmoins
à tenter laventure amoureuse, car ils y voient un enjeu
déterminant par rapport au sens de leur vie ou à la
possibilité datteindre un jour le bonheur. Lexistence
des femmes se trouve ainsi jalonnée par diverses expériences
humaines, heureuses ou malheureuses, qui viennent modifier leur vision
de lamour et leur manière de le vivre. Ces changements
sont parfois provoqués par des événements-chocs,
des coups durs de la vie, souvent des ruptures amoureuses.»
La question «Quest-ce que lamour?» a été
posée à une vingtaine de Québécoises hétérosexuelles,
lesbiennes et religieuses par la sociologue, qui a consacré
sa thèse de doctorat à deux phénomènes
très actuels: lamour et les rapports entre les sexes.
Trop de gens semblent oublier, selon elle, que, au-delà de
lexpression de lindividualisme, de lautonomie et
de lépanouissement personnel, les femmes subissent encore
aujourdhui, dans la sphère tant publique que privée,
la dissymétrie des rôles et des statuts sociaux. «Et
pourtant, affirme Mme Spielvogel, la référence à
ces rapports de pouvoir entre les sexes est pratiquement absente du
discours des femmes sur les relations amoureuses, qui met précisément
laccent sur lindividualité des partenaires plutôt
que sur leur appartenance à des groupes sociaux.»
Voilà bien le genre de paradoxe qui étonne la chercheuse
âgée de 39 ans. Elle en discute dailleurs dans
un article paru récemment dans la revue littéraire de
création et de critique Liberté, qui rassemble une quinzaine
de textes axés sur les différences entre les hommes
et les femmes.
Un nouveau modèle de lamour
«On observe, écrit Myriam Spielvogel, que lévolution
sociohistorique des rapports amoureux souvent présentés
par les théoriciennes féministes comme lun des
enjeux fondamentaux des rapports entre les sexes adopte aujourdhui
des formes inédites, dans lesquelles des modèles anciens
et nouveaux se côtoient, provoquant des tensions et des contradictions.
Celles-ci sont à mettre en relation avec lintensification
du pluralisme et la volonté daffirmation des différences
qui caractérisent lévolution sociale. Tous ces
facteurs modifient assurément la relation de couple, qui nest
plus définie exclusivement par la norme hétérosexuelle.»
Cest dailleurs la perspective originale quadopte
Mme Spielvogel dans ses recherches. Elle prend en compte des lesbiennes
et des religieuses en tant que femmes et non comme des objets détude
«à part», comme on le fait habituellement en sociologie.
À son avis, lamour voué à Dieu par les
religieuses sapparente entre autres par ses dimensions fusionnelle
et inconditionnelle à une relation de couple. «Ne parle-t-on
pas dépousailles mystiques?» Quon donne son
coeur à Dieu, à une femme ou à un homme, lamour
exige entretien, vigilance et communication.
Par ailleurs, en dépit de certaines particularités,
le discours des religieuses sur lamour rejoint sensiblement
celui des hétérosexuelles et des lesbiennes. Il est
notamment teinté dun souci de soi et dun besoin
daccomplissement personnel, soutient la sociologue. «Les
attentes que les femmes entretiennent à légard
de lamour et les qualités recherchées chez lêtre
aimé capacité découte, dialogue,
complicité, tendresse, soutien, respect, etc. sont orientées
vers la satisfaction de leurs propres besoins plutôt que de
les amener à soublier elles-mêmes au profit de
la réalisation du bonheur de lautre.»
Cet individualisme nest-il pas narcissique? Oui, répond
la chercheuse, mais laccomplissement de soi dont le discours
féministe sest aussi fait le promoteur combiné
à la recherche de lidéal amoureux romantique donne
lieu à un nouveau modèle de relations amoureuses. Ce
modèle, nommé par Mme Spielvogel «romantico-pragmatique»,
repose sur un fragile équilibre entre les notions dunion
et de respect de lindividualité.
Gérer sa relation amoureuse
Selon la sociologue, lidée de gestion se retrouve également
au coeur des conceptions de ce quest lamour pour les individus.
«Les rapports amoureux constituent de nos jours un domaine de
la vie quil convient de gérer comme une entreprise»,
observe-t-elle.
On parle notamment de «cultiver» et d«entretenir»
lamour ou encore d«investir dans la relation»
et d«y travailler». Mais paradoxalement, souligne
la chercheuse, les petites attentions que les amoureux se prodiguent
nécessitent une certaine planification qui, elle, contraste
avec lidéal amoureux, quon souhaite empreint de
spontanéité.
«Malgré le fait quen théorie un minimum
dorganisation nexclue pas la possibilité de vivre
des moments de spontanéité, une contradic-tion subsiste
néanmoins entre ces termes opposés, indique Mme Spielvogel.
Lun sapparente davantage à la mentalité
gestionnaire qui traverse le discours sur les rapports amoureux depuis
ces dernières années, lautre aux exigences du
romantisme.»
Dominique
Nancy
«Amouritié»
«Lamour, cest de lamitié plus le sexe»,
selon lensemble des femmes hétérosexuelles et
des lesbiennes interviewées par Myriam Spielvogel, chercheuse
au Département de sociologie. Mais pour les répondantes,
lamour voué à une personne ne dépend pas
principalement de la satisfaction des besoins sexuels.
«La relation amoureuse se démarque de lamitié
notamment par le type démotion ressentie, la profondeur
de lengagement, de léchange, de la connaissance
de lautre et les attentes entretenues par les partenaires à
légard lun de lautre, affirme la sociologue.
Par ailleurs, lamour se distingue aussi du coup de foudre qui,
passager, naîtrait spontanément en dehors de notre volonté.
Ces distinctions servent à attribuer une dimension de profondeur
à lamour. Car en lui opposant la passion, on met en valeur
le caractère sérieux, durable, voire sacré, quon
accole au véritable amour. Il est toutefois admis
que la passion puisse mener à une relation durable et enrichissante,
mais lamour avec le temps devient plus tempéré.»
Lamitié, contrairement aux histoires de coeur, est perçue
comme un type de relation plus stable, mais que les femmes ont souvent
le sentiment de négliger lorsquelles sont amoureuses.
En considérant que près dun mariage sur deux se
termine par un divorce dans nos sociétés occidentales
contemporaines, les femmes auraient avantage à entretenir leurs
amitiés. À supposer que ce soit bien la stabilité
quelles recherchent...
D.N.