Volume 35 numéro 19
5 février 2001


 


Une lettre de Papineau et son mandat d’arrêt exposés à la bibliothèque
Le Service des livres rares et des collections spéciales met en valeur quelques-uns de ses trésors.

Historienne et bibliothécaire, Hélène Simoneau a préparé trois expositions pour mettre en valeur les livres rares et les collections spéciales..

Depuis qu’on a lancé un mandat d’arrêt contre Louis-Joseph Papineau et qu’il s’est enfui aux États-Unis, il s’ennuie de ses compagnons d’armes et de sa chère patrie. Amer, il se plaint du peu de lettres qu’il reçoit de ses proches. «Je me suis consolé par la supposition que, de jour en jour, vous pouviez arriver, écrit-il à son père le 18 août 1838 […], que c’était parce que vous étiez en route que vous ne m’écriviez pas. Je ne dis pas “vous” en particulier. Je dis “vous” pour quelques-uns des amis du Canada.»

En réalité, ni le père du leader des rebelles de 1837 ni ses amis ne sont en route pour Saratoga Springs, et les admirateurs de Papineau mourront avec un sentiment ambigu à l’égard de leur chef: a-t-il trahi ses compatriotes en choisissant l’exil ou les a-t-il protégés?

Cette question demeure irrésolue un siècle et demi plus tard, alors que le film de Pierre Falardeau, 15 février 1839, relatant les derniers jours d’un héros de la Rébellion, attire l’attention. «Les documents sur les événements de 1837 et 1838 conservés au Service des livres rares et des collections spéciales de l’Université de Montréal suscitent un engouement constant chez les chercheurs», explique la bibliothécaire Hélène Simoneau. Jean-Pierre Leclerc, technicien en documentation, confirme ces dires. Il se souvient, par exemple, d’avoir accueilli pendant plusieurs semaines des recherchistes de la série Le Canada, Une histoire populaire, diffusée à Radio-Canada. La documentation sur les Patriotes et les rébellions est parmi le matériel le plus consulté du Service.


Exposition en deux temps

Elle-même historienne, Mme Simoneau a décidé d’organiser une exposition sur les rébellions de 1837 et 1838 afin de mettre en valeur certains documents pertinents des collections spéciales de l’Université. On peut voir cette exposition, gratuitement, au quatrième étage du Pavillon Samuel-Bronfman, en tout temps durant les heures d’ouverture de la Bibliothèque des lettres et des sciences humaines.

La première partie de l’exposition, achevée récemment, portait sur les événements qui ont précédé l’émergence du mouvement patriote, de la Conquête à 1837. La seconde partie, en cours, comprenant une quarantaine de documents, aborde les événements eux-mêmes et s’étend jusqu’en 1850, alors que les autorités offrent une indemnité aux victimes. On y retrouve des pièces uniques comme la lettre manuscrite de Louis-Joseph Papineau à son père, citée plus haut, et le mandat d’arrêt contre lui signé par les autorités anglaises. Des pages du Vindicator et de La Minerve, deux journaux d’époque, sont également présentées.

On peut aussi y admirer des reproductions de lithographies réalisées par Charles Beauclerk (1818-1861), un militaire anglais qui a immortalisé plusieurs scènes de l’insurrection grâce à ses talents de dessinateur. Le paradoxe pourrait choquer Papineau lui-même: c’est à un soldat anglais qu’on doit les illustrations les plus remarquables des batailles de Saint-Charles et de Saint-Eustache.

Les documents les plus intéressants de l’exposition viennent des collections Melzack et Baby, léguées à l’Université de Montréal. Collectionneurs avertis de «canadiana», ouvrages et manuscrits sur le Canada datant d’avant 1880, George Baby (aujourd’hui décédé) et Louis Melzack, qui vit à Toronto, ont permis à un grand nombre de chercheurs d’accéder à des documents historiques précieux. Deux salles du Pavillon principal (Z-205 et Z-209) sont mises à leur disposition pour consulter les documents. La collection Melzack compte à elle seule 3000 ouvrages et un millier de manuscrits, sans compter les journaux d’époque. La collection Baby est encore plus imposante.


La colonie de la rivière Rouge

Deux autres expositions organisées par le Service des livres rares et des collections spéciales sont en cours. Lord Selkirk et la colonie de la rivière Rouge, à la galerie Melzack (salle Z-1 du Pavillon principal), relate l’établissement d’une colonie éphémère (1811-1818) mais déterminante pour le développement de l’Ouest canadien. Thomas Douglas (1771-1820), qui deviendra lord Selkirk, obtient pour la somme symbolique de 10 shillings une terre de 116 000 milles carrés, soit l’équivalent d’une bonne partie du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Ontario actuels, en plus d’une partie du Dakota et du Minnesota. Actionnaire de la Compagnie de la baie d’Hudson, lord Selkirk a l’intention de faire de bonnes affaires sous le prétexte d’étendre l’Empire britannique.


Malheureusement pour lui, la colonie est détruite par les Métis en 1816 avec la collaboration d’une société rivale, la North West Company, faisant 21 morts chez les colons. Lord Selkirk est en colère et occupera tout l’hiver le fort William, où il retient des fourrures d’une grande valeur. Mis en état d’arrestation, il refuse de se rendre. Il n’acceptera jamais de vendre ses actions de la Hudson Bay, ce qui aurait eu pour effet de faciliter une fusion avec la North West. C’est pourtant ce qui arrivera deux ans après sa mort.

Pour des raisons de sécurité, l’exposition à l’aile Z du Pavillon principal ne présente que des copies d’originaux. Mais toute personne désireuse de consulter ces derniers peut faire appel au Service des livres rares et des collections spéciales.

Enfin, l’exposition La reliure à travers les siècles présente quelques volumes remarquables qui témoignent de l’art de la reliure depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. Elle est présentée au rez-de-chaussée de la Bibliothèque des lettres et des sciences humaines.

Mathieu-Robert Sauvé