Volume 35 numéro 19
5 février 2001


 


Le Québec, une meilleure terre d’accueil
L’étude de Jean Renaud et de son équipe du CEETUM bouscule beaucoup d’idées reçues sur les immigrants.

«Même si le Québec n’est pas encore une société parfaite en matière d’intégration des immigrants, notre façon de les accueillir s’est grandement améliorée si l’on compare la situation avec ce qui se passait il y a 25 ou 30 ans, indique Jean Renaud.

Le français est prédominant, comme langue d’usage public, pour une forte proportion de néo-Québécois, qui se rendent majoritairement aux urnes pour exercer leur droit de vote, révèle l’étude de Jean Renaud sur les 10 premières années de vie au Québec des immigrants admis en 1989.

Le titre qu’a choisi le directeur du Centre d’études ethniques de l’Université de Montréal (CEETUM) pour cet ouvrage dont il est le coauteur, Ils sont maintenant d’ici!, traduit bien les conclusions qu’il tire des résultats obtenus. «Après 10 années de vie au Québec, les répondants de l’étude se sont très bien intégrés à la société québécoise. Ils connaissent essentiellement les mêmes misères et les mêmes grandeurs que nous: ils travaillent, ont établi des réseaux sociaux, participent activement à la vie civique et subissent les effets de la conjoncture économique. Bref, ils sont d’ici, au même titre que les Québécois d’origine.»

Pour Jean Renaud, qui présentait son étude aux médias le 23 janvier, il s’agit là d’une surprise agréable. Il reconnaît cependant que l’interprétation de certains résultats demeure une opération pour le moins complexe. Selon le sociologue, cette étude ébranle plusieurs mythes relatifs aux immigrants. D’abord, l’idée qu’ils utilisent habituellement le Québec, au début de leur processus migratoire, uniquement comme un tremplin vers d’autres destinations est fortement démentie par les résultats: 99,3% des immigrants interrogés n’ont jamais fait de demande pour émigrer dans un deuxième pays. Après 10 ans d’établissement au Québec, plus de 9 immigrants sur 10 ont acquis la citoyenneté canadienne. La croyance également qu’ils aient plutôt tendance à s’installer uniquement sur l’île de Montréal ne correspond plus à la réalité. Les données recueillies démontrent que les immigrants se répartissent dorénavant sur un territoire beaucoup plus vaste qui comprend la Montérégie, Laval et même les Basses-Laurentides.


Le français gagne du terrain

De toutes les idées renversées par cette étude unique au monde —la première à suivre une cohorte d’immigrants sur une période de 10 ans —, c’est sans contredit celle en lien avec la langue qui est la plus mise à mal. Même si les immigrants continuent majoritairement à parler leur langue maternelle à la maison, après 10 ans ils utilisent quand même deux fois plus le français dans la sphère privée. Ils s’expriment uniquement en français à l’extérieur du foyer dans une proportion de 61%.

La cohorte d’immigrants admis en 1989 provenaient de 78 pays. Seulement 9,8% d’entre eux avaient le français comme langue maternelle. «Au Québec, commente Jean Renaud, la réalité politique est intimement liée à la langue et cela constitue une contrainte, dans une certaine mesure, pour ce genre d’étude. On ne devrait pas évaluer la capacité d’intégration des immigrants selon ce seul critère. Il fait partie d’un ensemble d’autres facteurs, comme le fait de travailler, d’établir des liens avec son voisinage ou de participer à la vie associative.»


L’emploi, facteur d’intégration

Autre fait surprenant, les données recueillies indiquent que l’accès à l’emploi se fait assez rapidement et qu’une bonne part des répondants connaissent, au fil du temps, une augmentation de leur stabilité et de leur statut socioéconomiques. Après seulement 15 semaines de séjour au pays, plus de la moitié des répondants avaient déjà trouvé du travail et, à mesure que le temps de séjour augmente, ils sont de plus en plus nombreux à occuper des emplois qualifiés (41% en 1999 contre 22% en 1989). Après un séjour de 10 ans, ils sont moins de 14% à n’avoir jamais occupé un emploi.

«Il subsiste encore de sérieux problèmes dans certains ordres professionnels, qui acceptent difficilement de reconnaître les compétences des gens venus d’ailleurs, nuance cependant le chercheur. Il reste encore de nombreux efforts à fournir pour assouplir les exigences auxquelles doivent se plier certains professionnels et qui leur font vivre une importante déqualification en arrivant ici.»

Les nouveaux arrivants investissent également de façon importante dans leur éducation, et ce, dès leur arrivée au pays. Après la première année, 53% ont déjà participé à une activité de formation alors que cette proportion passe à 70% après 10 ans. Plus de 36% des répondants sont devenus propriétaires de leur logement après 10 années de séjour.


Participation à la société

«Même si le Québec n’est pas encore une société parfaite en matière d’intégration des immigrants, notre façon de les accueillir s’est grandement améliorée si l’on compare la situation avec ce qui se passait il y a 25 ou 30 ans, ajoute M. Renaud. À cette époque, on ne savait pas quoi faire avec les nouveaux arrivants alors que, maintenant, ils s’intègrent plus facilement et ont véritablement le goût de contribuer à la société québécoise.»

En 1998, 85% des répondants ont voté aux élections provinciales. Ils étaient 87% à se rendre aux urnes lors du référendum de 1995. De plus, les néo-Québécois qui ont des enfants d’âge scolaire assistent majoritairement aux réunions de parents d’élèves (trois répondants sur quatre), alors que 10% d’entre eux sont encore ou ont été membres d’un conseil d’établissement ou d’un comité d’école.

L’étude de Jean Renaud a été menée auprès de 1000 immigrants admis au Québec en 1989 et par le biais de quatre enquêtes sur le terrain effectuées respectivement en 1990, 1991, 1992 et 1999. Cette recherche a été rendue possible grâce à la collaboration d’une équipe de chercheurs du CEETUM composée de Lucie Gingras, Sébastien Vachon, Christine Blaser, Jean-François Godin et Benoît Gagné.


Histoires d’amour?

Comment se sent-on après l’aboutissement d’une recherche à laquelle on a consacré plus de 10 années de sa vie? avons-nous demandé au chercheur. «Le plus difficile pour moi a été d’avoir à détruire l’ensemble des données nominatives qui avaient servi à l’étude, éliminant ainsi la possibilité de tout nouveau contact avec les répondants. En revanche, on est loin d’avoir épuisé toutes les possibilités d’analyse des données quantitatives. Elles sont d’autant plus précieuses que, nulle part ailleurs dans le monde, on ne dispose de telles données.»

Parmi les sujets d’analyse sur lesquels Jean Renaud promet de se pencher prochainement, celui des histoires d’amour est l’un de ses préférés. Il faudra cependant que les données concernant cet aspect du vécu des répondants soient disponibles en quantité suffisante. «Au fond, ce à quoi on aspire dans la vie se résume à bien peu de choses, ajoute M. Renaud, et les histoires d’amour en font certainement partie. C’est d’ailleurs fondamental et déterminant en tant que facteur d’intégration. J’ai de vieux oncles d’origines polonaise et ukrainienne qui se sont mariés avec deux de mes tantes. Même s’ils ont conservé leur accent, ils sont tout à fait semblables aux autres membres de la famille.»

Lorraine Desjardins
Collaboration spéciale


Ils sont maintenant d’ici!
Les dix premières années au Québec des immigrants admis en 1989 est publiée par la Direction de la planification stratégique du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration.