Le
français, entre lusage public et privé
Les
démographes remettent en question la «langue dusage
public» comme indicateur de francisation.

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Les spécialistes
des questions démographiques et linguistiques ne pèchent
pas par excès de pensée unique. Les points de vue divergents
constituaient plutôt la règle à la première
des deux journées consacrées aux enjeux démographiques
et à lintégration des immigrants organisées
dans le cadre des états généraux sur la situation
du français les 25 et 26 janvier dernier.
Lun des thèmes qui soulèvent le plus de controverses
est celui de la langue dusage public, un indicateur retenu par
le Conseil de la langue française en 1997 pour mesurer le taux
dusage du français. Cet indicateur désigne la
langue employée à lextérieur du foyer,
notamment au travail et dans les communications sociales. Selon cet
indice, 83% de lensemble de la population du Québec et
70% de celle de lîle de Montréal parleraient principalement
français pour communiquer en public.
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Marc
Termotte |
La réceptivité sociale
Pour Victor Piché, directeur du Département de démographie,
la langue dusage public est un indicateur incontournable mais
insuffisant. «Il faut un minimum de mise en contexte»,
fait-il valoir. Les éléments du contexte à considérer
pour un allophone sont notamment la durée de résidence,
son âge à larrivée au Québec, lavant
et laprès-loi 101 ainsi que la mondialisation des marchés
du travail.
«Certains de ces facteurs constituent des contraintes objectives
qui limitent la francisation au-delà de la volonté non
seulement des immigrants, mais de lensemble de la population,
en particulier celle de Montréal», a-t-il souligné.
Lensemble de ces éléments lincite à
croire que le français comme langue publique pourrait avoir
fait le plein dusagers avec 70% de locuteurs sur lîle
de Montréal. «Viser 100% serait tout à fait irréaliste.»
Le chercheur, membre du Centre interuniversitaire détudes
démographiques (CIED), sest par ailleurs inquiété
du taux de réceptivité de la population québécoise
quant à limmigration. «On peut faire le pari que
le degré douverture de la société daccueil
pourrait avoir un impact significatif sur ladoption du français
non seulement comme langue fonctionnelle ou de communication publique,
mais aussi comme langue identitaire», dit-il.
Or, certaines données de sondages lui paraissent à ce
propos inquiétantes: 22% des Québécois trouveraient
dérangeant de voir un membre de leur famille avoir un conjoint
issu dune minorité visible, et 34% estiment quil
y a trop dimmigrants au Québec.
Langue dusage à la maison
Marc Termotte, également du Département de démographie
et membre du CIED, met en doute la pertinence de lindice de
la langue dusage public pour mesurer la vitalité du français
sur lîle de Montréal. À son avis, la langue
dusage à la maison demeure un meilleur indicateur que
«la langue parlée chez lépicier».
«La langue parlée à la maison devient normalement
la langue maternelle des enfants et elle revêt une importance
considérable pour la transmission générationnelle
dune langue et dune culture», souligne-t-il.
Ce sont surtout les considérations sociopolitiques à
moyen terme qui inquiètent le chercheur. À laide
des chiffres mêmes du Conseil de la langue française,
il a souligné que le pouvoir dattraction du français
comme langue publique sur lîle de Montréal est,
pour les immigrants, plus faible que celui de langlais compte
tenu de limportance relative des deux groupes linguistiques.
Selon ses prévisions, le nombre de francophones sur lîle
de Montréal passerait sous la barre des 50% en 2016. Dans ce
contexte, si lon ne se préoccupe que de la langue dusage
public, on pourrait en arriver à une situation «où
la langue nationale serait nettement minoritaire dans la sphère
privée et largement majoritaire dans la sphère publique.»
La cohésion sociale serait alors en péril et, surtout,
la langue publique ne serait plus le prolongement de la langue parlée
à la maison.
«Que penseraient les Anglais, les Allemands, les Italiens, les
Français si, demain, la moitié des habitants du centre
de leur métropole principale ou de leur capitale ne parlait
plus langlais, lallemand, litalien ou le français
à la maison?» Dans ces pays, a mentionné Marc
Termotte, la «loi du sol» fixe de facto la langue
publique, qui nest que le prolongement de la langue dusage
privé.
Il serait encore temps dagir pour redresser la situation à
condition, selon le chercheur, dadopter une véritable
politique des populations par laquelle le Québec redéfinirait
ses objectifs démographiques et linguistiques.
Daniel
Baril
