Des
jeunes chercheurs sous le seuil de la pauvreté
Joël
Monzée et Charlène Bélanger signent une étude
révélatrice.
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Joël
Monzée et Charlène Bélanger sont les
auteurs du rapport Recherche en santé: enjeux et
perspectives, auquel ont collaboré une dizaine de
coauteurs et qui a nécessité trois ans de
travail; il fait 195 pages. |
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«Tu pars
déjà?» demande le directeur du laboratoire. «Ben
quoi, réplique le jeune chercheur arrivé une dizaine
dheures auparavant; il est 5 h et je nai même pas
pris le temps de dîner.»
Cette situation, Joël Monzée la maintes fois observée.
Pour le président de lAssociation des étudiants
aux grades supérieurs de la Faculté de médecine
de lUniversité de Montréal (AEGSFM), elle illustre
bien la réalité dune catégorie de jeunes
très scolarisés et pourtant enlisés dans la pauvreté.
Salaire annuel de 10,000$, semaine de 60 heures, aucune protection
en matière dassurance-emploi ou dassurance parentale,
précarité «permanente» sont le lot des 4000
à 5000 jeunes Québécois qui se consacrent à
la recherche en santé en milieu universitaire.
«Jai connu une jeune boursière dexcellence
qui, après un congé de maternité de 15 jours
seulement était de retour dans son laboratoire. Elle ne pouvait
se permettre davantage. On ne doit pas sétonner que les
chercheurs décrochent, particulièrement les femmes»,
dit M. Monzée, qui vient de rendre publique une étude
sur les conditions de vie des jeunes chercheurs en santé.
Coauteure de létude intitulée Recherche en
santé: enjeux et perspectives, Charlène Bélanger,
déléguée aux cycles supérieurs à
lAssociation des étudiants aux grades supérieurs
du Département de biochimie, a affirmé en conférence
de presse, le 27 janvier dernier, que les femmes forment la majorité
des étudiants à la maîtrise, mais que cette proportion
baisse à mesure quon monte dans les cycles supérieurs.
«Elles sont 60% à la maîtrise, 40% au doctorat
et 30% au postdoctorat. Seulement 15% des professeurs engagés
sont des femmes.»
Sous le seuil de la pauvreté
Joël Monzée hésite à qualifier le phénomène
de discriminatoire, mais signale que 75% des jeunes chercheurs vivent
sous le seuil de la pauvreté sans susciter beaucoup de sympathie
autour deux. «Je crois quon nous associe aux jeunes
médecins, alors que la réalité des chercheurs
en santé nest pas du tout comparable à celle des
résidents ou des médecins en début de carrière»,
dit-il.
De toute évidence, il existe une période de flottement
durant laquelle le chercheur étudiant nest manifestement
plus un enfant mais où il nest pas encore considéré
comme autonome. En raison des longues études exigées,
la carrière est rarement entamée avant 32 ans, voire
35 ans. Sur le plan fiscal, il est donc nettement désavantagé,
même si certaines de ses dépenses sont déductibles
dimpôt. «Jai connu des gens qui vivaient avec
un revenu de 15,000$
imposable», signale le porte-parole.
Étudiant au doctorat et chercheur au Groupe de recherche en
sciences neurologiques, Joël Monzée ne se plaint pas de
sa situation. Lauréat pendant plusieurs années dune
bourse dexcellence annuelle de 20,000$ non imposable, il a eu
la chance de pouvoir compter sur les fonds de recherche obtenus par
le directeur de son laboratoire. Cela permet de rétribuer les
chercheurs étudiants.
Selon M. Monzée, le creux de la vague au chapitre du financement
de la recherche est derrière nous. Les choses vont mieux depuis
quelques mois. Mais le milieu universitaire se compare mal au secteur
privé, qui exerce une force dattraction sur les jeunes.
«Dans le privé, on offre jusquà 47,000$
pour un diplômé à la maîtrise en pharmacologie»,
explique-t-il.
De Liège à Montréal
Joël Monzée prend à coeur son rôle de porte-parole
étudiant. Il a été de tous les combats depuis
quil préside lAEGSFM: il a défendu un mémoire
à la consultation sur la politique des universités lan
dernier, puis a participé au sommet du Québec et de
la jeunesse, durant lequel il a rencontré les ministres Jean
Rochon et François Legault. Plus récemment, il a assisté
de façon assidue aux audiences publiques sur la Politique québécoise
de la science et de linnovation, mieux connue sous le nom de
«politique scientifique».
Joël Monzée a dailleurs reçu sous embargo
ce rapport afin de pouvoir prendre rapidement position. «Je
lai lu de la première à la dernière ligne
au cours de la nuit précédant son annonce officielle,
dit-il. Je voulais être prêt à réagir.»
Il accueille favorablement cette politique, particulièrement
la volonté affirmée de donner une meilleure stabilité
aux jeunes chercheurs. «Jean Rochon a montré quil
était sensible à nos préoccupations. Reste à
savoir si le ministre des Finances, Bernard Landry, se montrera aussi
compréhensif. Baisser les impôts, cest bien, mais
si lon précarise léducation et la santé,
ça va coûter très cher.»
Arrivé en terre québécoise en 1993 après
un baccalauréat en éducation primaire, puis une maîtrise
professionnelle en thérapie psychomotrice, ce Liégeois
dorigine a fait une maîtrise en kinésiologie à
lUniversité de Sherbrooke avant de venir à lUniversité
de Montréal, où il terminera sous peu son doctorat en
sciences neurologiques. «Jadore le Québec, dit-il.
Je naurais jamais pu faire tout ce que jai fait en Europe,
où les choses bougent moins vite. Et mon cheminement multidisciplinaire
naurait certainement pas été aussi bien perçu.»
Une part de son engagement trouve son origine dans des discussions
à bâtons rompus tenues dans le laboratoire de Vincent
Castellucci à son arrivée à lUniversité
de Montréal. «Je trouvais incroyable de voir que personne
ne se souciait de la réalité socioéconomique
des jeunes chercheurs. Je suis un pragmatique. Je ne voulais pas que
nos conversations demeurent à huis clos. Je me suis donc graduellement
engagé.»
Mathieu-Robert
Sauvé
