Quand
Olivier devient Olivia
Josée
Harrisson étudie lintégration sociale des transsexuels.
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«Plusieurs
transsexuels estiment que le statut de transsexuel renvoie
à lidée de processus de changement de
sexe; lorsque la conversion est terminée, lidentité
sexuelle nest pas transsexuelle mais féminine
ou masculine», explique Josée Harrisson, étudiante
au Département de sociologie. |
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Il sappelait
Olivier Johnson. Il était marié et père de deux
enfants. Ce professeur duniversité, fortement charpenté
et mesurant près de 1,80 m, décide à 45 ans de
prendre sa vie en main. Et de sassumer. Aujourdhui, Olivier
sappelle Olivia et compte au nombre des quelque 815 femmes qui
enseignent à lUniversité McGill.
Contrairement à Olivia, la majorité des personnes qui
ont subi une chirurgie de changement de sexe, soit près de
1000 individus à Montréal, vivent sous le couvert de
lanonymat, soutient Josée Harrisson, étudiante
au Département de sociologie. «Elles se disent bien intégrées
dans leur milieu. Mais comment affirmer une telle chose si elles refusent
de divulguer leur transsexualité?» Mme Harrisson a consacré
son mémoire de maîtrise à la question des mécanismes
dintégration et dexclusion sociales liés
au phénomène. Pour elle, la médecine et le droit
ne garantissent pas lintégration sociale mais la facilite.
«À la suite de la chirurgie et de la modification de
létat civil, on observe chez le transsexuel la volonté
dune vie nouvelle. Celle-ci ne sera toutefois pas facile, constate
la chercheuse. Les transsexuels sont victimes de discrimination
perte demploi, rejet, mépris, violence parce quils
ne se conforment pas aux standards de la normalité. Cela les
conduit souvent à lexclusion, voire au suicide.»
Une maladie?
«Depuis lAntiquité, on retrouve des cas dindividus
avec des problèmes didentité de genre, cest-à-dire
quils ont la conviction de ne pas être nés avec
le bon sexe, explique Josée Harrisson. Ce nest quen
1952 que trois médecins allemands ont lancé le traitement
hormonal complété par une castration chirurgicale. Les
opérations de ce type nont toutefois été
légalisées que dans les années 70.»
Au Québec, larticle 71 du nouveau Code civil a donné
un caractère légal à la transsexualité.
Les transsexuels ont pu dès lors procéder à un
changement de prénom et à la modification de la mention
du sexe figurant sur leur acte de naissance. Mais certaines normes
sociales, en particulier religieuses, continuent de nuire au processus
dintégration, selon Josée Harrisson. «Permettre
quun individu change de sexe a des répercussions dans
nos institutions sociales et par le fait même dans nos valeurs,
dit-elle. Car pour lÉglise et le commun des mortels,
il faut vivre avec le corps que le Créateur nous a donné.»
Le problème, cest que les transsexuels sont persuadés
de ne pouvoir vivre en contradiction avec ce quils sont réellement.
Pour eux, la modification de lanatomie leur semble le seul moyen
dintégration sociale. «La vie ne vaut plus la peine
dêtre vécue si une intervention chirurgicale de
conversion ne peut être pratiquée», indique la
sociologue.
Le transsexualisme est-il une maladie? Oui, répond-elle. Cependant,
on nen connaît pas encore les causes. Daprès
le Diagnostic Statistics Manual, la bible des spécialistes
en santé mentale, il sagit dun trouble lié
notamment à un sentiment dinconfort et dinadéquation
quant à ses organes génitaux biologiques.
Le transsexualisme nest pas quun problème strictement
sexuel, cest aussi une question didentité au
sens dêtre un homme ou une femme et qui touche
la manifestation sociale de cet état, signale Josée
Harrisson.
«Lambivalence sexuelle apparaît dès lâge
de quatre ans, ajoute-t-elle. Les individus éprouvent entre
autres des difficultés dinteraction avec les enfants
du même sexe. Il ne sagit pas seulement dun refus
de comportement stéréotypé comme une fille
quon qualifie de vrai garçon manqué , mais
dune perturbation profonde et dun désir prégnant
dappartenir à lautre sexe.»
Daprès les personnes que la chercheuse a rencontrées
en entrevue (une centaine, dont quatre ont fait lobjet de létude
de cas), le transsexualisme est dû à une erreur de la
nature qui na rien de commun avec lhomosexualité.
«Lhomosexuel na pas de problèmes didentité
de genre et na aucun désir de se départir de ses
organes génitaux», déclare Mme Harrisson.
Les limites de la chirurgie
Pour faciliter leur intégration sociale, le premier traitement
proposé aux transsexuels est la psychothérapie. Elle
dure un minimum de deux ans. Si le psychiatre le juge approprié,
ladministration dhormones, dont la prise sera indispensable
toute la vie, est alors amorcée. «Cest un pas vers
la transformation morphologique désirée, souligne Josée
Harrisson. Elle produit au bout de quelques mois lapparition
très progressive des caractères sexuels secondaires
opposés par exemple une plus grande pilosité
et une altération de la voix et précède
de 12 à 18 mois la phase irréversible de lopération
chirurgicale.»
Malgré les miracles de la chirurgie plastique, la transformation,
qui condamne la personne à la stérilité, nest
jamais complète. Ainsi la transsexuelle (lhomme devenu
femme) na pas dovaires et son clitoris nest pas
conforme en tout point à celui dune «vraie»
femme. De plus, des rejets dimplants mammaires ou péniens
et des infections peuvent survenir. Lorifice vaginal peut se
refermer sil y a une nécrose (gangrène).
Au-delà dune chirurgie des organes génitaux, rappelle
Mme Harrisson, il y a aussi une composante incontournable de la réussite
dun tel changement: le squelette ou lossature du sujet.
«À lévidence, un homme mesurant 1,80 m et
pourvu dune charpente imposante fera une femme qui ne passera
pas inaperçue», dit la sociologue. Pour la transsexuelle
Olivia Johnson, qui est passée à travers toutes ces
étapes, «le doute est toujours présent, quelle
que soit la physionomie. Car la gestuelle féminine est très
importante lorsquil est question de sintégrer en
tant que femme.»
À son avis, on ne simprovise pas femme du jour au lendemain.
«Cest le processus de toute une vie.» Voilà
pourquoi une transsexuelle doit saccepter telle quelle
est: une «réplique féminine», et ne pas
chercher à se leurrer.
Dominique
Nancy
La
stratégie du secret
«La majorité des transsexuels cachent le fait quils
ont subi une opération», selon Josée Harrisson.
Létudiante au Département de sociologie a mené
une recherche sur les problèmes dintégration sociale
que vivent ces individus marginaux.
Plus le sujet est jeune lorsquil se fait opérer, dit
la chercheuse, plus il a tendance à cacher quil a changé
de sexe. En dehors de leur famille, lintégration sociale
leur paraît impossible si leur état est révélé.
Ceux qui subissent la transformation dans la trentaine ou la quarantaine
peuvent difficilement vivre sous le couvert de lanonymat. Ces
derniers semblent avoir un meilleur rapport avec leur environnement.
Ils acceptent davantage leur transsexualité. «De plus
en plus de transsexuels révèlent leur véritable
identité, affirme Olivia Johnson, une transsexuelle. Car la
stratégie du secret les condamne à vivre dans lisolement
et la peur dêtre reconnus.»
Paradoxalement, tous les individus de létude de cas de
Mme Harrisson affirment ne pas vouloir de relations sexuelles avec
un autre transsexuel. Pourtant, une relation amoureuse à très
long terme entre un transsexuel et un partenaire straight, comme on
dit dans le milieu, est difficilement réalisable.
«La stratégie du secret peut faciliter lintégration,
mais elle comporte aussi ses limites, estime Josée Harrisson.
Il est très contraignant de jouer constamment à faire
semblant.»
D.N.
