Volume 35 numéro 18
29 janvier 2001


 


L’art sous la république de Weimar
Le Centre d’exposition présente 146 gravures et dessins.

De gauche à droite, Andrée Lemieux, directrice du Centre d’exposition de l’Université de Montréal, Constance Naubert-Riser, directrice du Département d’histoire de l’art, et Jürgen Heinzmann, professeur à la Section d’études allemandes du Département de littératures et de langues modernes.

LAu sortir de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne vaincue vit pendant 15 ans un chaos économique et social qui favorisera la diffusion des idées d’extrême droite et la prise du pouvoir par le parti national-socialiste d’Adolf Hitler en 1933. «Paradoxalement, les artistes traversent à cette époque une période remarquablement faste; ils veulent prendre position et leur production est riche de sens», signale Constance Naubert-Riser, directrice du Département d’histoire de l’art et responsable d’une importante exposition qui vient de prendre l’affiche au Centre d’exposition de l’Université de Montréal: Gravures et dessins au temps de la république de Weimar.

Une tendance se dégage nettement chez les artistes de cette époque: leur engagement politique. «Voici le cul de la République», lance un des artistes à l’ouverture d’une exposition marquante à Berlin, en 1925, qui fera connaître la Nouvelle Objectivité.

Otto Dix, Max Beckmann, George Grosz, Conrad Felix Müller et Käthe Kollwitz sont parmi les artistes les plus remarquables du nouveau courant, qui se caractérise par une critique acerbe de la société. Plusieurs caricatures, banales au premier coup d’oeil, révèlent leur sens à mesure qu’on les regarde. On aperçoit par exemple un homme pendu à l’échafaud dans le coin d’un dessin montrant des danseuses de cabaret ou encore quelques cadavres sous les pas des nouveaux riches. Le tout en noir et blanc sur du papier, seul support qui soit encore à la portée des artistes.

«Durant cette période d’inflation galopante, un nouveau marché se développe pour les oeuvres sur papier, explique Mme Naubert-Riser. Rassembler dans un portfolio des gravures et des lithographies s’avère pour les artistes un moyen de diffusion rapide qui leur permet de joindre la classe moyenne. La classe aisée, de droite, est trop liée à la guerre et jugée comme une ennemie pour être une clientèle potentielle.»

On ne peut préciser la naissance de la Nouvelle Objectivité. Mais on connaît bien la date de sa disparition: le 30 janvier 1933. Quand Hitler prend le pouvoir, il ne veut plus voir ces artistes dégénérés. Les académiciens seront limogés, les autres s’exileront ou trouveront le moyen de disparaître. Il semble que la Nouvelle Objectivité fasse actuellement un retour chez les artistes allemands de la Nouvelle Vague.

On ne reste pas insensible devant Brot! (Du pain !), une lithographie de Käthe Kollwitz, qu’on peut voir dans le cadre de l’exposition Gravures et dessins au temps de la république de Weimar. Dans le regard désespéré de l’enfant vers sa mère voûtée, découragée, il y a mille mots, mille maux.


Sombres impressions

En tout cas, les gravures et dessins présentés au Centre d’exposition communiquent au spectateur un sentiment de détresse, de cynisme et d’anarchie qui semblait courant chez les créateurs picturaux de l’époque. La plupart des 146 oeuvres sont de violentes dénonciations des inégalités sociales et économiques au sein de la population allemande de l’entre-deux-guerres. La déchéance des moeurs est également dénoncée, comme en témoignent les gravures et dessins regroupés sur le thème «Sexe et vie nocturne». On y voit des hommes gras à demi nus fumer des cigares en compagnie de prostituées peu attirantes.

«Sous la république de Weimar, il y a un grand nombre de pauvres, mais une certaine partie de la population vit très confortablement. Ces gens-là, fortunés, ne se rendent pas compte qu’ils dansent sur un volcan», explique Jürgen Heinzmann, professeur à la Section d’études allemandes du Département de littératures et de langues modernes de la Faculté des arts et des sciences.

Spécialiste de la Nouvelle Objectivité et de l’expressionnisme allemand, M. Heinzmann est à l’origine de la venue en sol québécois de ces oeuvres qui font actuellement le tour du monde. Il n’a pas tardé à inviter Mme Naubert-Riser à se joindre à lui pour préparer l’événement.

Selon cette dernière, l’exposition a fait dès le départ une large place aux étudiants. «J’en ai fait le thème de mon séminaire de maîtrise sur la théorie de l’art. Les huit étudiants du séminaire ont participé étroitement à la préparation de l’exposition.»

Mélanie Aubin, Marie-Pierre Boucher, Stéphanie Danaux, Nathalie Garneau, Benoît Latour, Julie Lussier, Samuel Monsiège et Johanne Picard ont appris, en se présentant à leur premier cours du trimestre, qu’ils travailleraient à ce projet. Ils ont apprécié l’expérience, même si elle leur a occasionné un important surcroît de travail.

Du côté de la Section d’études allemandes, une dizaine d’étudiants ont été mis à contribution afin de traduire les textes préparés par l’Institut des études culturelles et littéraires d’Allemagne. Un groupe d’étudiants présentera un spectacle d’authentique cabaret au hall d’entrée du Centre d’exposition le 11 février prochain.

Une série de conférences et d’activités culturelles se tiendra en marge de l’exposition, du 25 janvier au 18 mars, au Goethe Institut de Montréal. On y présentera notamment des films de Fritz Lang. À noter également les conférences de Mme Naubert-Riser le 28 janvier, de Jürgen Heinzmann le 11 février et de deux autres spécialistes de l’Université de Montréal: Marc Gaudry (25 février) et Philippe Despoix (18 mars).

Mathieu-Robert Sauvé


Gravures et dessins au temps de la république de Weimar,
jusqu’au 18 mars au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, 2940, chemin de la Côte-Sainte-Catherine; entrée libre; information: www.expo.umontreal.ca/.