Radio-Collège:
les premières heures de lenseignement à distance
Histoire
dun succès de la radio publique de langue française
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Dans
les années 50, Radio-Collège connaissait un
tel succès que la Société Radio-Canada
distribuait un programme des émissions au grand public.
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Dans un rapport
sur ses cinq premières années dexistence, au début
des années 40, la Société Radio-Canada signale
quun poste de radio, «cest aujourdhui le théâtre,
le concert, lopéra chez soi». Cest également,
un peu, luniversité à domicile puisque la société
dÉtat crée, dès 1941, Radio-Collège,
une série démissions éducatives qui marqueront
lépoque.
Fruit de deux artisans de la radio mais avant tout éducateurs
de profession, lingénieur Au-gustin Frigon, ancien directeur
de lÉcole Polytechnique, et Aurèle Séguin,
philosophe, professeur, annonceur et réalisateur radiophonique,
Radio-Collège est la première initiative denseignement
à distance par voie électronique.
Dès sa création, Radio-Collège spécifie
bien que son mandat nest pas de prendre la place de lécole
mais plutôt «de répondre avec sollicitude aux désirs
de ceux qui, parmi les élèves, ont le goût détendre
plus avant leur culture sans les obliger à de méticuleuses
et épuisantes recherches».
Dailleurs, le théâtre sera très populaire
à Radio-Collège. Lémission Sur toutes
les scènes du monde sera, dès 1939, lun des
symboles de Radio-Collège. Elle sera diffusée jusquen
1975.
Un des facteurs de la réussite de Radio-Collège est
sans aucun doute son comité pédagogique, créé
en 1941. Il sera présidé conjointement par un professeur
de lUniversité de Montréal, Georges Perras, et
par un professeur de lUniversité Laval, Émile
Beaudry. Dès ses débuts, Radio-Collège donne
la mesure de ses ambitions. Des conférenciers aguerris et des
universitaires réputés participent aux émissions.
Parmi eux, le frère Marie-Victorin, qui vient de créer
le Jardin botanique de Montréal. Son émission La
cité des plantes connaît un vif succès qui
ne se démentira pas après son tragique décès,
survenu en 1944, puisque son ancien élève Jules Brunel
prendra la relève.
Les créateurs de Radio-Collège souhaitaient que les
émissions soient un tremplin pour des carrières. Le
vulgarisateur scientifique bien connu Fernand Seguin y fera ses débuts.
Son leitmotiv: «Instruire en délassant.» Pour Léon
Lortie, professeur de chimie à lUniversité de
Montréal et conférencier apprécié à
Radio-Collège, lexpérience sera déterminante
puisquil deviendra le premier directeur du Service dextension
à lenseignement, créé en 1953.
Arts et sciences au menu
Tous les domaines du savoir sont au programme: les sciences pures,
les sciences humaines, le théâtre, les arts et les lettres
ainsi que la musique. Les causeries durent de 15 à 30 minutes.
Elles sont diffusées en semaine, doctobre à mars,
et entre 16 h 30 et 17 h 30.
En 1951, pour mesurer linfluence de Radio-Collège, les
responsables des émissions font le constat suivant: la série
atteint quelque 500 centres urbains et ruraux et le nombre dexemplaires
des annuaires de cours à lUniversité de Montréal
passe de 5000 en 1941 à plus de 20 000 en 1951.
Aujourdhui comédienne, Denise Gagnon raconte que, lorsque
ses parents lui annoncent leur déménagement à
Québec, la première question quelle pose est:
«Est-ce que je pourrai toujours écouter Radio-Collège?»
Avec ce succès sans précédent, Radio-Collège
entreprend la deuxième étape de sa croissance en ajoutant
une nouvelle dimension à sa mission éducative: atteindre
le grand public. En 1953, selon Raymond David, «il devient de
plus en plus difficile de circonscrire lauditoire... si bien
que Radio-Collège est devenu, aujourdhui, un instrument
de culture pour tous les publics, chacun choisissant sa nourriture
là où la curiosité et son intérêt
le portent».
Lors de la saison 1953, quelque 380 émissions sont diffusées
et en 1956 plus de dix heures et demie par semaine sont consacrées
aux émissions de Radio-Collège.
Devant le succès des émissions, le public veut pouvoir
consulter des ouvrages de référence. De concert avec
les Éditions Fides dabord et dautres maisons dédition
par la suite, Radio-Collège publie la transcription de certaines
conférences. Parmi les plus demandées, «La cité
des plantes». En 1956, la collection comprend plus de 22 volumes.
En 1955, Radio-Collège reçoit le prix Henry-Marshall-Tory,
«attribué par la Canadian Association for Adult Education
à linstitution qui sest le plus distinguée
dans le domaine de léducation populaire».
Après la Deuxième Guerre mondiale, le service de Radio-Canada
international propose de traduire et doffrir à lUNESCO
une série de disques destinés à lenseignement.
Cinq séries démissions de Radio-Collège
seront choisies et traduites en quatre langues. Le 1er avril 1947,
plus de 1014 disques sont expédiés dans cinq pays.
Quelques mois plus tard, le représentant de la Pologne à
lUNESCO, Stefan Drzewieski, adresse au directeur général
de Radio-Canada le propos suivant: «Ces disques que vous nous
avez envoyés sont dune aide énorme pour nos instituteurs.
La situation est compliquée parce que les Allemands ont confisqué
les récepteurs de radio. Nous avons entendu vos disques et
lopinion unanime des représentants et des éducateurs
est que ces disques sont dune valeur éducative énorme.»
Télévision contre radio
Cest un nouveau média, plus puissant et de plus en plus
accessible, qui vient mettre fin à Radio-Collège: la
télévision. Dès 1951, la venue de la télévision
inquiète les responsables de Radio-Collège. En 1956,
Raymond David déclare: «Nous commençons à
voir nos collaborateurs nous quitter au profit de la télévision.
Comment les blâmer? La télévision leur promet
un cachet plus élevé, leur assure un prestige accru
et leur offre un moyen dexpression qui leur permet, dans certains
cas, dexplorer beaucoup mieux la matière étudiée.»
Que faut-il retenir de Radio-Collège, qui fut pour des milliers
dauditeurs, de 1941 à 1956, une série démissions
de culture et de formation personnelle des plus importantes?
Certains intellectuels considèrent que Radio-Collège
fut une lumière qui a guidé de nombreux auditeurs dans
cette période que les historiens ont appelée la «grande
noirceur de Duplessis».
Denis
Plante
Archiviste
Division des archives
http://Archiv.umontreal.ca
Sincères remerciements à Louise Lamy, technicienne en
documentation à la bibliothèque EPC-biologie et au personnel
de référence de la bibliothèque Samuel-Bronfman.
Sources:
Radio-Collège: 1941-1956. Les textes des émissions
de cette série sont conservés sur microfilms à
Radio-Canada (environ 700 pages). Daprès Pierre Pagé
et coll., Répertoire des oeuvres de la littérature
radiophonique québécoise, 1930-1970, Montréal,
Fides, 1975, p. 204.
Fonds Léon-Lortie (P135).
Fonds Jean-Vallerand (P286).
Fonds Jules-Brunel (P149).
Léon Lortie, «Lextension de lenseignement»,
LAction universitaire, juin 1955, p. 6-10.
Pierre Pagé, Radiodiffusion et culture savante au
Québec, Maxime, 1993.
Société Radio-Canada, Radio-Collège, programmes
de 1946-1947 à 1955-1956.
Bernard Montigny, Les débuts de la radio à
Montréal et le poste C.K.A.C. Mémoire présenté
à la FAS en vue de lobtention du grade de maître
ès arts (histoire), janvier 1979.
Jean-Marc Carpentier et Danielle Ouellet, «Fernand Seguin,
le savant imaginaire: de Radio-Collège au Sel de la semaine»,
La Presse, 10 avril 1994, p. B7.
Jean Saint-Hilaire, «Denise Gagnon: la flamme de la radio»,
Le Soleil, 25 décembre 1999, p. D6.