Volume 35 numéro 18
29 janvier 2001


 


Radio-Collège: les premières heures de l’enseignement à distance
Histoire d’un succès de la radio publique de langue française

Dans les années 50, Radio-Collège connaissait un tel succès que la Société Radio-Canada distribuait un programme des émissions au grand public.

Dans un rapport sur ses cinq premières années d’existence, au début des années 40, la Société Radio-Canada signale qu’un poste de radio, «c’est aujourd’hui le théâtre, le concert, l’opéra chez soi». C’est également, un peu, l’université à domicile puisque la société d’État crée, dès 1941, Radio-Collège, une série d’émissions éducatives qui marqueront l’époque.

Fruit de deux artisans de la radio mais avant tout éducateurs de profession, l’ingénieur Au-gustin Frigon, ancien directeur de l’École Polytechnique, et Aurèle Séguin, philosophe, professeur, annonceur et réalisateur radiophonique, Radio-Collège est la première initiative d’enseignement à distance par voie électronique.

Dès sa création, Radio-Collège spécifie bien que son mandat n’est pas de prendre la place de l’école mais plutôt «de répondre avec sollicitude aux désirs de ceux qui, parmi les élèves, ont le goût d’étendre plus avant leur culture sans les obliger à de méticuleuses et épuisantes recherches».

D’ailleurs, le théâtre sera très populaire à Radio-Collège. L’émission Sur toutes les scènes du monde sera, dès 1939, l’un des symboles de Radio-Collège. Elle sera diffusée jusqu’en 1975.

Un des facteurs de la réussite de Radio-Collège est sans aucun doute son comité pédagogique, créé en 1941. Il sera présidé conjointement par un professeur de l’Université de Montréal, Georges Perras, et par un professeur de l’Université Laval, Émile Beaudry. Dès ses débuts, Radio-Collège donne la mesure de ses ambitions. Des conférenciers aguerris et des universitaires réputés participent aux émissions. Parmi eux, le frère Marie-Victorin, qui vient de créer le Jardin botanique de Montréal. Son émission La cité des plantes connaît un vif succès qui ne se démentira pas après son tragique décès, survenu en 1944, puisque son ancien élève Jules Brunel prendra la relève.

Les créateurs de Radio-Collège souhaitaient que les émissions soient un tremplin pour des carrières. Le vulgarisateur scientifique bien connu Fernand Seguin y fera ses débuts. Son leitmotiv: «Instruire en délassant.» Pour Léon Lortie, professeur de chimie à l’Université de Montréal et conférencier apprécié à Radio-Collège, l’expérience sera déterminante puisqu’il deviendra le premier directeur du Service d’extension à l’enseignement, créé en 1953.


Arts et sciences au menu

Tous les domaines du savoir sont au programme: les sciences pures, les sciences humaines, le théâtre, les arts et les lettres ainsi que la musique. Les causeries durent de 15 à 30 minutes. Elles sont diffusées en semaine, d’octobre à mars, et entre 16 h 30 et 17 h 30.

En 1951, pour mesurer l’influence de Radio-Collège, les responsables des émissions font le constat suivant: la série atteint quelque 500 centres urbains et ruraux et le nombre d’exemplaires des annuaires de cours à l’Université de Montréal passe de 5000 en 1941 à plus de 20 000 en 1951.

Aujourd’hui comédienne, Denise Gagnon raconte que, lorsque ses parents lui annoncent leur déménagement à Québec, la première question qu’elle pose est: «Est-ce que je pourrai toujours écouter Radio-Collège?»

Avec ce succès sans précédent, Radio-Collège entreprend la deuxième étape de sa croissance en ajoutant une nouvelle dimension à sa mission éducative: atteindre le grand public. En 1953, selon Raymond David, «il devient de plus en plus difficile de circonscrire l’auditoire... si bien que Radio-Collège est devenu, aujourd’hui, un instrument de culture pour tous les publics, chacun choisissant sa nourriture là où la curiosité et son intérêt le portent».

Lors de la saison 1953, quelque 380 émissions sont diffusées et en 1956 plus de dix heures et demie par semaine sont consacrées aux émissions de Radio-Collège.

Devant le succès des émissions, le public veut pouvoir consulter des ouvrages de référence. De concert avec les Éditions Fides d’abord et d’autres maisons d’édition par la suite, Radio-Collège publie la transcription de certaines conférences. Parmi les plus demandées, «La cité des plantes». En 1956, la collection comprend plus de 22 volumes.

En 1955, Radio-Collège reçoit le prix Henry-Marshall-Tory, «attribué par la Canadian Association for Adult Education à l’institution qui s’est le plus distinguée dans le domaine de l’éducation populaire».

Après la Deuxième Guerre mondiale, le service de Radio-Canada international propose de traduire et d’offrir à l’UNESCO une série de disques destinés à l’enseignement. Cinq séries d’émissions de Radio-Collège seront choisies et traduites en quatre langues. Le 1er avril 1947, plus de 1014 disques sont expédiés dans cinq pays.

Quelques mois plus tard, le représentant de la Pologne à l’UNESCO, Stefan Drzewieski, adresse au directeur général de Radio-Canada le propos suivant: «Ces disques que vous nous avez envoyés sont d’une aide énorme pour nos instituteurs. La situation est compliquée parce que les Allemands ont confisqué les récepteurs de radio. Nous avons entendu vos disques et l’opinion unanime des représentants et des éducateurs est que ces disques sont d’une valeur éducative énorme.»


Télévision contre radio

C’est un nouveau média, plus puissant et de plus en plus accessible, qui vient mettre fin à Radio-Collège: la télévision. Dès 1951, la venue de la télévision inquiète les responsables de Radio-Collège. En 1956, Raymond David déclare: «Nous commençons à voir nos collaborateurs nous quitter au profit de la télévision. Comment les blâmer? La télévision leur promet un cachet plus élevé, leur assure un prestige accru et leur offre un moyen d’expression qui leur permet, dans certains cas, d’explorer beaucoup mieux la matière étudiée.»

Que faut-il retenir de Radio-Collège, qui fut pour des milliers d’auditeurs, de 1941 à 1956, une série d’émissions de culture et de formation personnelle des plus importantes?

Certains intellectuels considèrent que Radio-Collège fut une lumière qui a guidé de nombreux auditeurs dans cette période que les historiens ont appelée la «grande noirceur de Duplessis».

Denis Plante
Archiviste
Division des archives
http://Archiv.umontreal.ca


Sincères remerciements à Louise Lamy, technicienne en documentation à la bibliothèque EPC-biologie et au personnel de référence de la bibliothèque Samuel-Bronfman.

Sources:
• Radio-Collège: 1941-1956. Les textes des émissions de cette série sont conservés sur microfilms à Radio-Canada (environ 700 pages). D’après Pierre Pagé et coll., Répertoire des oeuvres de la littérature radiophonique québécoise, 1930-1970, Montréal, Fides, 1975, p. 204.
• Fonds Léon-Lortie (P135).
• Fonds Jean-Vallerand (P286).
• Fonds Jules-Brunel (P149).
• Léon Lortie, «L’extension de l’enseignement», L’Action universitaire, juin 1955, p. 6-10.
• Pierre Pagé, Radiodiffusion et culture savante au Québec, Maxime, 1993.
• Société Radio-Canada, Radio-Collège, programmes de 1946-1947 à 1955-1956.
• Bernard Montigny, Les débuts de la radio à Montréal et le poste C.K.A.C. Mémoire présenté à la FAS en vue de l’obtention du grade de maître ès arts (histoire), janvier 1979.
• Jean-Marc Carpentier et Danielle Ouellet, «Fernand Seguin, le savant imaginaire: de Radio-Collège au Sel de la semaine», La Presse, 10 avril 1994, p. B7.
• Jean Saint-Hilaire, «Denise Gagnon: la flamme de la radio», Le Soleil, 25 décembre 1999, p. D6.