Les
nouveaux templiers de Karnak
Unique
au monde, le système de modélisation du Groupe de recherche
en CAO de lÉcole darchitecture permet de reconstituer
lévolution de sites historiques et archéologiques.
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«Notre
système permet autant de façons dobserver
un site quil y a de découpages logiques de
linformation», affirme Temy Tidafi, directeur
du GRCAO. |
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Les temples de
Karnak, en Haute-Égypte, réputés pour leur célèbre
allée de sphinx menant au temple de Louksor, constituent lun
des principaux sites archéologiques de la planète. Mais
naccède pas qui veut à ce site qui fait rêver
les chercheurs du monde entier.
Lexclusivité des recherches a été accordée
à la mission permanente française du CNRS à Karnak.
En revanche, le Groupe de recherche en conception assistée
par ordinateur (GRCAO) de lÉcole darchitecture
peut aussi se vanter dêtre parmi les rares privilégiés
à disposer des données archéologiques les plus
récentes du site; léquipe du CNRS lui a en effet
confié le mandat de modéliser la reconstitution dune
des parties dun temple et dune chapelle en ruine.
«Après avoir vu nos réalisations, léquipe
française nous a sollicités pour voir ce que nous pouvions
faire afin de faciliter le travail complexe de reconstitution architecturale
à la lumière des diverses hypothèses formulées
par les archéologues», explique Temy Tidafi, directeur
du GRCAO et responsable du projet.
Le projet ne vise pas quà modéliser les formes
et les espaces connus, mais à intégrer, grâce
à un système intelligent et flexible de CAO, lensemble
des données disponibles afin de permettre une manipulation
rapide et logique de linformation. Des modélisations
du site ont déjà été réalisées
par les entreprises IBM et Électricité de France, mais
elles ont laissé les archéologues sur leur faim parce
quelles nétaient que de simples maquettes statiques
de ce qui existe actuellement.
«Nous modélisons non seulement les formes mais aussi
les processus de construction, contrairement aux autres systèmes,
qui ne modélisent que les résultats. Nous procédons
comme si nous bâtissions lédifice, en tenant compte
des étapes, des dates, des contraintes, des matériaux,
des procédés de construction ou de toute autre information
pertinente. Notre système unique au monde offre alors toute
lhistoire du bâtiment et permet autant de façons
dobserver un site quil y a de découpages logiques
de linformation.»
Du jamais vu
Mais la tâche de léquipe nest pas mince puisque
les édifices de Karnak, construits pour la plupart entre le
16e et le 13e siècle avant notre ère, ont connu pas
moins de 25 modifications majeures au fil des époques. «Chaque
pharaon détruisait une partie des constructions pour les transformer
et laisser sa marque, souligne Temy Tidafi. Des têtes de statues
ont été remplacées par dautres et lon
retrouve même des murs dont le remblai provient de temples détruits.»
Lun des aspects les plus incroyables du projet est quune
équipe darchéologues ait consenti à révéler
ses données exclusives à une autre équipe de
chercheurs étrangers. «Cest du jamais vu, affirme
le chercheur. Les données sont habituellement gardées
secrètes et la compétition entre les équipes
darchéologues est si forte quelles se livrent même
à de lespionnage industriel.»
La mission française a accepté de communiquer ses données
même si elle nest pas véritablement le client de
ce projet subventionné par le CRSH. Son intérêt
dans lentente avec le GRCAO réside dans lutilisation
quelle pourra faire dun outil informatique unique qui
fera lenvie des autres équipes.
Pour le GRCAO, il sagit en fait dun projet pilote qui
lui permettra de faire sa marque dans les milieux internationaux de
larchéologie, espère le directeur. «Ceci
devrait nous ouvrir des portes dans la signature de contrats avec
diverses équipes de chercheurs à Rome, à Vienne,
à Liège ainsi quen Allemagne.»
Présentement, léquipe du professeur Tidafi travaille
avec le Centre détudes classiques de lUdeM afin
de cerner les besoins des archéologues, de comprendre le type
dhypothèses quils formulent et de saisir les problèmes
auxquels ils ont à faire face sur un site comme Karnak; la
modélisation devra tenir compte de lensemble des problématiques.
Aux yeux du chercheur, une nouvelle approche multidisciplinaire en
archéologie est ainsi en train de voir le jour.
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Une
partie des colonnes du temple de Karnak sur lequel travaille léquipe
du GRCAO. |
Des réalisations remarquables
Les réalisations qui ont valu au GRCAO une rapide renommée
internationale ont porté sur des sites historiques québécois
comme la colline parlementaire à Québec et la Maison
de la douane dans le Vieux-Montréal, et comportaient aussi
une maquette du centre-ville de Montréal ou encore les transformations
de lédifice de désinfection du parc national de
Grosse-Île.
Pour le centre-ville de Montréal, le GRCAO est parvenu en un
mois à concevoir une maquette virtuelle permettant dobserver
les transformations que pourrait entraîner pour la ville toute
réglementation urbaine, ce que dautres entreprises nétaient
pas parvenues à faire avec des fonds de deux millions de dollars.
«Comme nous tenons compte à la fois des dimensions des
bâtiments, des matériaux, des couleurs, de leur emplacement,
de leur hauteur, de leur coût, de leur usage et même de
lombre projetée à toute heure du jour, nous pouvons
voir par exemple si lespace réglementaire entre limmeuble
et la rue est respecté ou encore observer lévolution
de létablissement des commerces de sport rue Sainte-Catherine»,
indique Temy Tidafi.
Pour un projet daménagement en face du parlement de Québec,
la modélisation réalisée permettait de tirer
des graphiques des inclinaisons de rues ou même dexaminer
leffet de léclairage des lampadaires en pleine
nuit.
Le système de modélisation mis au point par le GRCAO
porte le nom de SGDL, pour «sieur Girard Desargues Lionois»,
un ingénieur et mathématicien français du 17e
siècle qui a établi les lois de la géométrie
projective. Plus prosaïquement, SGDL signifie également
«Solid Geometry Design Logic», un produit aujourdhui
commercialisé par une entreprise montréalaise du même
nom.
Daniel
Baril