Volume 35 numéro 18
29 janvier 2001


 


Les nouveaux templiers de Karnak
Unique au monde, le système de modélisation du Groupe de recherche en CAO de l’École d’architecture permet de reconstituer l’évolution de sites historiques et archéologiques.

«Notre système permet autant de façons d’observer un site qu’il y a de découpages logiques de l’information», affirme Temy Tidafi, directeur du GRCAO.

Les temples de Karnak, en Haute-Égypte, réputés pour leur célèbre allée de sphinx menant au temple de Louksor, constituent l’un des principaux sites archéologiques de la planète. Mais n’accède pas qui veut à ce site qui fait rêver les chercheurs du monde entier.

L’exclusivité des recherches a été accordée à la mission permanente française du CNRS à Karnak. En revanche, le Groupe de recherche en conception assistée par ordinateur (GRCAO) de l’École d’architecture peut aussi se vanter d’être parmi les rares privilégiés à disposer des données archéologiques les plus récentes du site; l’équipe du CNRS lui a en effet confié le mandat de modéliser la reconstitution d’une des parties d’un temple et d’une chapelle en ruine.

«Après avoir vu nos réalisations, l’équipe française nous a sollicités pour voir ce que nous pouvions faire afin de faciliter le travail complexe de reconstitution architecturale à la lumière des diverses hypothèses formulées par les archéologues», explique Temy Tidafi, directeur du GRCAO et responsable du projet.

Le projet ne vise pas qu’à modéliser les formes et les espaces connus, mais à intégrer, grâce à un système intelligent et flexible de CAO, l’ensemble des données disponibles afin de permettre une manipulation rapide et logique de l’information. Des modélisations du site ont déjà été réalisées par les entreprises IBM et Électricité de France, mais elles ont laissé les archéologues sur leur faim parce qu’elles n’étaient que de simples maquettes statiques de ce qui existe actuellement.

«Nous modélisons non seulement les formes mais aussi les processus de construction, contrairement aux autres systèmes, qui ne modélisent que les résultats. Nous procédons comme si nous bâtissions l’édifice, en tenant compte des étapes, des dates, des contraintes, des matériaux, des procédés de construction ou de toute autre information pertinente. Notre système unique au monde offre alors toute l’histoire du bâtiment et permet autant de façons d’observer un site qu’il y a de découpages logiques de l’information.»


Du jamais vu

Mais la tâche de l’équipe n’est pas mince puisque les édifices de Karnak, construits pour la plupart entre le 16e et le 13e siècle avant notre ère, ont connu pas moins de 25 modifications majeures au fil des époques. «Chaque pharaon détruisait une partie des constructions pour les transformer et laisser sa marque, souligne Temy Tidafi. Des têtes de statues ont été remplacées par d’autres et l’on retrouve même des murs dont le remblai provient de temples détruits.»

L’un des aspects les plus incroyables du projet est qu’une équipe d’archéologues ait consenti à révéler ses données exclusives à une autre équipe de chercheurs étrangers. «C’est du jamais vu, affirme le chercheur. Les données sont habituellement gardées secrètes et la compétition entre les équipes d’archéologues est si forte qu’elles se livrent même à de l’espionnage industriel.»

La mission française a accepté de communiquer ses données même si elle n’est pas véritablement le client de ce projet subventionné par le CRSH. Son intérêt dans l’entente avec le GRCAO réside dans l’utilisation qu’elle pourra faire d’un outil informatique unique qui fera l’envie des autres équipes.

Pour le GRCAO, il s’agit en fait d’un projet pilote qui lui permettra de faire sa marque dans les milieux internationaux de l’archéologie, espère le directeur. «Ceci devrait nous ouvrir des portes dans la signature de contrats avec diverses équipes de chercheurs à Rome, à Vienne, à Liège ainsi qu’en Allemagne.»

Présentement, l’équipe du professeur Tidafi travaille avec le Centre d’études classiques de l’UdeM afin de cerner les besoins des archéologues, de comprendre le type d’hypothèses qu’ils formulent et de saisir les problèmes auxquels ils ont à faire face sur un site comme Karnak; la modélisation devra tenir compte de l’ensemble des problématiques.

Aux yeux du chercheur, une nouvelle approche multidisciplinaire en archéologie est ainsi en train de voir le jour.

Une partie des colonnes du temple de Karnak sur lequel travaille l’équipe du GRCAO.


Des réalisations remarquables

Les réalisations qui ont valu au GRCAO une rapide renommée internationale ont porté sur des sites historiques québécois comme la colline parlementaire à Québec et la Maison de la douane dans le Vieux-Montréal, et comportaient aussi une maquette du centre-ville de Montréal ou encore les transformations de l’édifice de désinfection du parc national de Grosse-Île.

Pour le centre-ville de Montréal, le GRCAO est parvenu en un mois à concevoir une maquette virtuelle permettant d’observer les transformations que pourrait entraîner pour la ville toute réglementation urbaine, ce que d’autres entreprises n’étaient pas parvenues à faire avec des fonds de deux millions de dollars.

«Comme nous tenons compte à la fois des dimensions des bâtiments, des matériaux, des couleurs, de leur emplacement, de leur hauteur, de leur coût, de leur usage et même de l’ombre projetée à toute heure du jour, nous pouvons voir par exemple si l’espace réglementaire entre l’immeuble et la rue est respecté ou encore observer l’évolution de l’établissement des commerces de sport rue Sainte-Catherine», indique Temy Tidafi.

Pour un projet d’aménagement en face du parlement de Québec, la modélisation réalisée permettait de tirer des graphiques des inclinaisons de rues ou même d’examiner l’effet de l’éclairage des lampadaires en pleine nuit.

Le système de modélisation mis au point par le GRCAO porte le nom de SGDL, pour «sieur Girard Desargues Lionois», un ingénieur et mathématicien français du 17e siècle qui a établi les lois de la géométrie projective. Plus prosaïquement, SGDL signifie également «Solid Geometry Design Logic», un produit aujourd’hui commercialisé par une entreprise montréalaise du même nom.

Daniel Baril