Preuve
par ADN: le Canada possède lune des meilleures lois
La
banque de données génétiques sert la justice
tout en préservant la dignité humaine, estime Marie
Angèle Grimaud.
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Selon
Marie Angèle Grimaud, le gouvernement canadien se
serait évité des déboires en 1995 sil
avait davantage tenu compte des avis juridiques et du droit
comparé. |
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Aux États-Unis,
pas moins de 76 personnes condamnées à mort ont été
innocentées depuis 1987 grâce à leur empreinte
génétique. Plusieurs dentre elles avaient passé
plus de 15 ans dans le couloir de la mort.
La prise de conscience du fait quon exécute peut-être
des innocents est en train de créer une véritable psychose
chez nos voisins, au point où lIllinois, responsable
de 13 des 76 erreurs judiciaires, a décrété un
moratoire sur les exécutions afin de recourir systématiquement,
dans tous les cas où cest possible, à la preuve
par lidentification génétique.
Au Canada, la cause la plus tristement célèbre est celle
de David Milgaard, de la Saskatchewan, qui a purgé 25 ans de
prison pour viol et meurtre avant dêtre disculpé
grâce à son ADN. Mais ce qui retient surtout lattention
présentement, cest lentrée en vigueur, en
juin dernier, de la banque de données constituée des
empreintes génétiques des personnes reconnues coupables
dun crime grave.
«Avec celles de lAngleterre et de quelques États
américains, cette banque est parmi les premières au
monde, signale Marie Angèle Grimaud, agente de recherche au
Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit.
Le Canada possède lune des lois les plus complètes
sur la preuve par ADN et il est en avance sur des pays européens
comme la France et la Belgique.» Mme Grimaud a consacré
son doctorat à cette question en sintéressant
notamment au problème de la légitimité des prélèvements
corporels.
Dignité de la personne
À son avis, létablissement dune banque de
données génétiques est tout à fait pertinent
et «de nature à servir les intérêts de la
justice». Mais la situation na pas toujours été
aussi reluisante à ses yeux. Au moment où elle a entrepris
sa recherche (sous la direction des professeurs Bartha Maria Knoppers
et Pierre Béliveau), il nexistait aucune loi sur la preuve
par ADN au Canada.
«La première cause où une preuve par ADN a été
présentée devant les tribunaux remonte à 1988,
mais à ce moment rien nencadrait le prélèvement
des échantillons corporels. Plusieurs autres causes ont suivi
et lempreinte génétique était acceptée
comme élément de preuve sur la seule base de sa pertinence.»
En 1994, la Cour suprême a statué quen labsence
dune loi les prélèvements devaient être
librement consentis. «Le consentement libre et éclairé
était nécessaire puisque lempreinte génétique
livre beaucoup plus dinformation, et de linformation beaucoup
plus intime, que les empreintes digitales; on peut connaître
la filiation dune personne ou ses susceptibilités à
certaines maladies. Avec ce type de renseignements, cest lintégrité
de la vie privée plutôt que lintégrité
physique qui est menacée et, en labsence dune loi,
la dignité de la personne nétait pas assurée.»
La publication du premier article de la thèse de Marie Angèle
Grimaud a mis ce risque en lumière et, dès 1995, le
gouvernement fédéral a adopté une première
loi autorisant les prélèvements corporels si un mandat
est délivré à cette fin. Aux yeux de la chercheuse,
le gouvernement a procédé un peu trop rapidement
en lespace de moins dun mois! et ses articles subséquents
ont relevé plusieurs lacunes qui ont dû être corrigées
par la suite.
Assurer la justice
Selon la loi actuelle, les prélèvements corporels ne
sont autorisés que pour une série dinfractions
désignées dans la loi, par exemple les crimes sexuels,
les meurtres, les enlèvements, les voies de fait, les vols
avec violence ou encore la conduite avec capacités affaiblies
causant des blessures ou la mort. Toute personne reconnue coupable
de lune des infractions désignées doit soumettre
un échantillon corporel pour établissement de lempreinte
génétique dans la mesure où leffet sur
sa vie privée nest pas «nettement démesuré
par rapport à lintérêt public».
Quelque 2000 personnes condamnées avant lentrée
en vigueur de la loi et reconnues criminels dangereux devront aussi
livrer leur empreinte génétique. Le tribunal peut également
autoriser un prélèvement sur un accusé si une
substance corporelle a été trouvée sur les lieux
du crime et que le prélèvement est de nature à
servir la preuve. La loi précise même quels types de
prélèvements sont permis (cheveux, cellules épithéliales,
sang) et par quels moyens ils doivent être recueillis. Ces données
doivent être détruites si laccusé est déclaré
non coupable. Toute autre utilisation de ces données est bannie
par la loi.
«La légitimité de cette loi repose sur la protection
de la société, qui accepte cette pratique parce quelle
est de nature à servir ladministration de la justice,
affirme Mme Grimaud. En plus daider à déterminer
si laccusé est coupable ou non, la banque de données
génétiques devrait avoir un effet dissuasif sur les
récidivistes potentiels, qui savent quils pourront être
identifiés plus facilement.»
Selon la chercheuse, la loi aurait pu être encore plus restrictive
en ne permettant de conserver que les résultats des analyses
génétiques et non les prélèvements eux-mêmes;
ceci aurait limité davantage les risques dutilisation
frauduleuse des échantillons.
Par ailleurs, Marie Angèle Grimaud rappelle que la preuve par
ADN nest quun élément circonstanciel de
preuve. «Lempreinte génétique est très
fiable et doit être admise comme élément de preuve,
mais ce nest quun élément parmi dautres.
Ce nest pas parce quon prouve quune personne était
sur les lieux dun crime quon a prouvé quelle
est lauteure du crime.» O.J. Simpson en sait quelque chose!
Daniel
Baril