Volume 35 numéro 18
29 janvier 2001


 


La géomorphologie au service des truites mouchetées
Olivier Champoux analyse l’impact des structures de restauration d’une rivière dans le Wisconsin.

«Plusieurs projets de restauration de rivières ne sont pas efficaces à long terme à cause du manque de connaissances sur les principes hydrauliques du cours d’eau et les processus d’écoulement», selon Olivier Champoux, étudiant au Département de géographie.

Quels sont les effets à long terme de l’aménagement des rivières sur la restauration de l’habitat des poissons? Olivier Champoux, étudiant au Département de géographie, s’est posé la question et en a fait l’objet de son mémoire de maîtrise. «On n’en connaît pas bien les impacts, dit-il, car la majorité des études ne sont pas menées sur une longue période.»

Autre lacune: les projets sont généralement axés sur la biologie plutôt que sur la géomorphologie fluviale et ils ne tiennent pas compte de la dynamique de l’écoulement près des structures. «Une des conditions primordiales du succès d’un programme de restauration est pourtant la connaissance du comportement hydraulique des rivières, de leur morphologie et de leur sédimentation», affirme le chercheur.

L’originalité de sa recherche sur la portée des aménagements de la rivière Lawrence, dans l’État du Wisconsin, ne tient pas simplement au fait que M. Champoux prend en considération la dimension temporelle. Il intègre aussi dans son analyse diverses données géomorphologiques et hydrologiques, par exemple la vitesse de l’écoulement, la force de cisaillement du lit de la rivière et sa turbulence.

«Les conditions hydrauliques sont très importantes pour la survie de la truite mouchetée, qui fraie dans ce plan d’eau d’une longueur de 12 km, signale-t-il. Ce salmonidé, aussi appelé omble de fontaine, a besoin de zones où les vitesses d’écoulement sont modérées afin de pouvoir se nourrir et se protéger. Dans le jargon des spécialistes, ces lieux se nomment des ‘‘mouilles’’. Des endroits moins profonds au débit plus élevé, qu’on appelle des ‘‘seuils’’, sont aussi nécessaires au frai et à l’oxygénation des oeufs.»


Le cas de la rivière Lawrence

En 1963, le service des ressources naturelles du Wisconsin fait installer des déflecteurs sur les berges de la Lawrence Creek afin de rétablir les conditions propices au développement de la truite mouchetée. Ce type de structure qui ressemble à des quais de bois sert à créer des «mouilles», explique Olivier Champoux, c’est-à-dire à réduire artificiellement la largeur de la rivière dans le but d’augmenter la vitesse du courant et d’entraîner un cisaillement du lit.

«Mais les niveaux d’eau d’une rivière peuvent changer d’une saison à l’autre et dans le temps, souligne le géographe. Durant une période de crue, les déflecteurs peuvent alors être submergés et l’écoulement dirigé vers les berges, créant ainsi une érosion assez sévère. Cela survient très rarement à la Lawrence Creek, car son débit est relativement stable.»

Une étude effectuée par le biologiste responsable du projet de la rivière Lawrence, Robert L. Hunt, montre, trois ans après les travaux, une amélioration de la qualité de l’habitat physique du poisson. Au cours de cette période, la largeur et la profondeur moyennes de la rivière, qui étaient de 7 m et de 0,12 m avant les travaux, sont passées à 4,3 m et à 0,21 m. Cela a contribué à une augmentation de 17% de la population de truites.

M. Champoux émet toutefois un doute: «Les résultats sont presque toujours très bons quelques années après l’implantation, puisque les processus d’ajustement des cours d’eau se font sur une longue période et que l’évolution des populations de poissons est beaucoup plus rapide. Nos résultats indiquent d’ailleurs une dégradation de l’habitat. Par exemple, la superficie des fosses a diminué de 22% entre 1966 et 1999.»

C’est grâce aux cartes morphologiques et sédimentologiques dessinées par le biologiste américain que M. Champoux a pu comparer, 33 ans plus tard, les données avec une nouvelle carte qu’il a produite en avril 1999. Pour ce faire, il s’est rendu dans le Midwest américain en compagnie de deux assistants de terrain, Andrea Bell et Gino Beauchamp. «On a fait un relevé topographique électronique à partir des mêmes points de référence utilisés par Robert L. Hunt et son équipe dans deux sections distinctes de la rivière: une zone coulant sur des dépôts morainiques et une autre, en aval, sur des dépôts d’épandage glaciaire.»

Cela a notamment permis de repérer les zones de «mouilles» et d’observer que les structures installées dans la section morainique n’étaient pas adaptées aux conditions de la Lawrence Creek, fait valoir Olivier Champoux. Mais de manière générale, les concepteurs du projet d’aménagement ont bien intégré les variables physiques et biologiques de l’habitat du poisson.

Pourquoi avoir choisi cette rivière? Parce que la documentation disponible permettait de mener une recherche à long terme et que le Wisconsin est un État pionnier dans la conception de techniques d’aménagement, répond le chercheur. Au Québec, la majorité des programmes de restauration des rivières ont été instaurés seulement vers le milieu des années 90.


Adepte de plein air

âgé de 25 ans, Olivier Champoux apprécie les randonnées en forêt, les promenades en canot et, bien sûr, la pêche à l’omble de fontaine. La truite d’élevage qu’on retrouve à l’épicerie n’est pas une mouchetée, précise le jeune homme. Il s’agit presque toujours d’une arc-en-ciel. Mais la mouchetée, dont la chair est succulente, est le poisson le plus recherché par la majorité des pêcheurs québécois. Un festival de la truite mouchetée a d’ailleurs lieu chaque année, au mois de juin, à Saint-Alexis-des-Monts.

Depuis qu’il travaille pour le centre Saint-Laurent d’Environnement Canada, les expéditions sur le terrain sont moins fréquentes. Mais l’expérience en laboratoire a aussi ses charmes, selon M. Champoux. «J’aime analyser les données et voir les résultats, confie-t-il. Et puis, on n’a pas à subir les marécages et les mouches noires!»

Dominique Nancy