2200
ans de pots cassés
Jacques
Perreault rapporte de Syrie 5000 tessons de poterie dune grande
valeur pédagogique.
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Les
étudiants Normand Labelle (au centre) et Marc Invernizzi
(à droite) auront une vingtaine de pièces
authentiques provenant de Syrie à analyser durant
leur cours «Aspects de larchéologie classique»,
donné par Jacques Perreault (à gauche). |
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Quelque 22 siècles
de vaisselle brisée sur une table. Cest ce quon
peut voir dans la salle de conférences du Centre détudes
classiques tous les lundis matin depuis le début de janvier.
Les tessons de poterie en provenance dun site de fouilles en
Syrie sont examinés, un à un, par les étudiants
du cours «Aspects de larchéologie classique».
Le professeur, Jacques Perreault, qui a dirigé les fouilles
de Ras el-Bassît de 1971 à 1987, circule entre les étudiants
et répond à leurs questions avec précision. Ici,
le goulot dune flasque datant de lâge du bronze,
là un segment de marmite du début de lâge
du fer
«Il ny a aucun vase complet, mais on peut facilement déduire
lorigine des artéfacts selon les motifs dessinés
ou gravés, la composition de largile ou la forme de la
poterie», signale Jacques Perreault.
Le directeur du Centre détudes classiques ne cache pas
son enthousiasme. Cest que Ras el-Bassît, située
sur la côte méditerranéenne, à mi-chemin
entre le Liban et la Turquie, est lun des sites les plus riches
au monde pour les amateurs de tessons. «Les fouilles ont révélé
une présence ininterrompue des hommes entre 1600 avant notre
ère et le 7e siècle après. Cela signifie une
variété inouïe de céramiques», explique
larchéologue.
Successivement, la Syrie a été occupée par les
Égyptiens, les Hébreux, les Hittites, les Philistins
et les Assyriens entre les 16e et 12e siècles avant Jésus-Christ.
Puis, elle est passée sous domination perse jusquà
la victoire dAlexandre le Grand (-333) avant de tomber aux mains
des Arabes. Sous Alexandre le Grand, Ras el-Bassît se développe;
on y construit une acropole, un port, alors que le commerce se tourne
vers lOrient.
Elle néchappe pas à lEmpire romain jusquà
ce que Byzance la conquière en 330. Pour les spécialistes,
Ras el-Bassît révèle des trésors, notamment
des traditions mycénienne, phénicienne et levantine.
Par exemple, le commerce et la mobilité des peuples étaient
déjà florissants vers la fin du 4e siècle avant
notre ère, alors que les marchands suivaient des armées
qui comptaient jusquà 40 000 hommes. Un tel groupe de
militaires, ça vous casse de la vaisselle
Le long de cette fascinante ligne du temps, Jacques Perreault ne cache
pas son penchant pour la céramique dite géométrique
archaïque (-900 à -700), caractérisée par
diverses formes dessinées ou gravées sur les poteries.
«Cest à mon avis lapogée de la période
archaïque, dit-il. Cest lâge de lexpérimentation.»
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Les
étudiants du cours «Aspects de larchéologie
classique» devront analyser une vingtaine de pièces
comme celles-ci, provenant du site de Ras el-Bassît, en
Syrie. |
Une
autorisation de la Syrie
Lan dernier, larchéologue a obtenu du gouvernement
syrien lautorisation de transporter au Canada une partie des
témoins de lhistoire exhumés par son équipe.
Une première livraison de 400 kg dans des dizaines de sacs
de plastique (de type Ziploc) est arrivée au début du
mois de janvier et dautres suivront.
Cette autorisation est en soi exceptionnelle compte tenu du fait que
les pièces mises au jour par les archéologues sont considérées
comme faisant partie du patrimoine national. Apparemment, les Syriens
ont considéré que le compromis proposé par Jacques
Perreault en valait la peine.
«Ras el-Bassît est une ville côtière très
prisée des Syriens, explique-t-il. La ville subit une forte
urbanisation et les responsables gouvernementaux mont demandé
de reprendre les fouilles avant que le développement immobilier
soit trop intense. Je leur ai répondu que nous navions
plus de place pour entreposer les objets en Syrie et que ce serait
plus simple danalyser les tessons dans nos laboratoires à
Montréal. Ils ont accepté.»
Bien quil ne sagisse pas de pièces de musée,
car la probabilité de reconstituer des vases entiers est pratiquement
nulle, les artéfacts sont dune grande valeur pédagogique.
Dans deux sites de fouilles dune dimension de quatre mètres
carrés, les archéologues ont exhumé plusieurs
milliers de fragments. «Durant les fouilles, nous nous sommes
amusés à qui trouverait le plus de morceaux de murs
différents. Le gagnant en a répertorié 26. Cela
signifie que, durant les 2200 ans doccupation du territoire,
au moins 26 habitations ont été construites, puis se
sont effondrées dans ce même rayon.»
Du travail en vue
La première livraison dartéfacts sera classée
dici la fin du trimestre afin que les fragments soient photographiés,
examinés, analysés et intégrés dans une
base de données. Les 20 étudiants du cours «Aspects
de larchéologie classique» procéderont eux-mêmes
à lanalyse dune vingtaine de pièces chacun.
«Cest une chance unique pour des étudiants de premier
cycle de pouvoir travailler avec des pièces comme celles-là»,
dit Normand Labelle, étudiant en études classiques.
«Nous travaillons avec de véritables morceaux dhistoire,
reprend Marc Invernizzi, étudiant en anthropologie. Nous avons
tellement de théorie pendant nos études; voici enfin
du travail pratique!»
Et ce nest pas louvrage qui manque, dautant plus
que les fouilles ont déjà repris en Syrie. Un des étudiants
de Jacques Perreault, Nicolas Beaudry, mène actuellement des
travaux sur lune des premières églises chrétiennes
du pays, datant du 5e siècle. La basilique de Bassît
est dans un bon état de conservation puisquelle sest
effondrée sur elle-même. Cela a permis aux archéologues
de retrouver facilement la porte dentrée, la nef centrale
et labside.
Mathieu-Robert
Sauvé