Volume 35 numéro 17
22 janvier 2001


 


Le capital social pour contrer la pauvreté
Pour Marcellin Ayé, la pauvreté n’est pas qu’économique.

L’excellence de la thèse de Marcellin Ayé lui a valu le Prix pour la recherche sur les politiques au Canada.

‹La pauvreté n’est pas qu’économique; le capital social joue un rôle tout aussi important que le capital économique pour déterminer la richesse d’un individu.»

C’est guidé par ce principe que Marcellin Ayé a entrepris ses travaux de doctorat au Département d’administration de la santé; ceux-ci visaient à mesurer comment le capital social pouvait être intégré à la dynamique économique des pays pauvres.

«Le capital social désigne les avantages découlant des interrelations qu’une personne établit autour d’elle et qui sont basées sur la confiance, explique l’étudiant. Si des difficultés surviennent, cette confiance se transforme en solidarité et en entraide, des valeurs fondamentales pour tout être humain. Le capital social joue ainsi un rôle de régulation sociale et peut même avoir un impact sur l’économie.»


Solidarité et santé

Les travaux de Marcellin Ayé sont parmi les premiers à tenter de mesurer empiriquement la place de cette dimension dans l’accessibilité aux soins de santé pour une population pauvre, plus précisément celle de la région de Thoyasso, près d’Abidjan, en Côte-d’Ivoire.

«Dans les pays pauvres, l’économie de marché est peu développée et l’État ne remplit pas les fonctions qu’il assume dans les pays riches. Les soins de santé sont payants et le seul capital économique d’un individu est insuffisant pour que celui-ci y ait accès; il doit compter sur l’aide de ses proches, soit sur son capital social.»

Ce capital se prêtant moins au calcul qu’un compte en banque, il a été mesuré à la lumière de la qualité et de l’intensité des relations sociales telles qu’évaluées par les 1758 participants à l’enquête, dont 745 chefs de famille et 1013 patients. «Plus les relations sociales sont jugées intenses et de qualité, plus les gens ont accès aux soins de santé, a observé M. Ayé. Il y a donc une corrélation entre capital social élevé et accès aux services de santé payants, la solidarité jouant un rôle majeur dans cet accès.»

En clair, cela signifie que les parents et amis soutiennent financièrement leurs proches pour leur faciliter l’accès aux soins de santé dans la mesure où chacun maintient des relations empreintes de confiance et de respect.

Pour le chercheur, ces données indiquent une troisième voie pour le développement socioéconomique des pays pauvres, entre l’économie libérale et l’économie communiste. «Les pays pauvres n’ont pas les moyens de faire face à la mondialisation et l’économie communiste a été un échec. Ces pays auraient plutôt intérêt à développer le capital social de la société civile plutôt que de miser uniquement sur le capital économique. Il est possible de développer ce capital, notamment en misant sur les groupes communautaires, qui peuvent aider les gens à mieux s’intégrer dans leur communauté et à vivre en santé.»

Cette approche lui paraît plus particulièrement prometteuse pour ceux qui interviennent auprès des groupes de femmes, chez qui le capital social apparaît très élevé, et pour les organismes venant en aide aux personnes âgées.

Mais pour Marcellin Ayé, cela ne vaut pas uniquement pour les pays pauvres; le Canada retirerait lui aussi des avantages à développer ce capital alors que l’accès aux soins de santé devient de plus en plus difficile et qu’une frange importante de la population s’appauvrit sans cesse. «Le déficit en capital social empêche l’intégration à la société et, si un individu n’est pas intégré, il sera exclu du système économique et sa santé va s’en ressentir», rappelle-t-il.

Dans les conclusions de sa thèse, dirigée par le professeur François Champagne, Marcellin Ayé recommande aux chercheurs et aux décideurs canadiens d’encourager cette troisième voie dans les interventions internationales auprès des pays en développement. La pertinence et l’aspect novateur de sa recherche lui ont valu le Prix pour la recherche sur les politiques au Canada, prix décerné par le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et les Instituts de recherche en santé du Canada. Cette récompense incluait une invitation à présenter sa thèse à la Conférence nationale annuelle de la recherche sur les politiques, tenue à Ottawa en décembre dernier.

Daniel Baril