Volume 35 numéro 17
22 janvier 2001


 


Plasticité locomotrice: la contribution de la moelle épinière est plus grande qu’on le croyait
Laurent Bouyer cherche à découvrir des parallèles entre les mécanismes de récupération de la marche chez le chat et chez l’humain.

Les chats ayant subi une spinalisation récupèrent une partie de leurs fonctions locomotrices grâce au contrôle exercé par la moelle épinière», explique Laurent Bouyer.

Une part importante des mécanismes de contrôle de la marche serait logée dans la moelle épinière plutôt que dans le cerveau. Il y a à peine quatre ans, seuls de faibles indices permettaient de penser qu’un tel centre pouvait exister. Mais des travaux comme ceux effectués au Centre de recherches en sciences neurologiques (CRSN) sous la direction du Dr Serge Rossignol ont permis d’établir que ceci est bien la réalité, du moins chez le chat.

Qu’en est-il chez l’être humain? Selon Laurent Bouyer, stagiaire postdoctoral au CRSN, des indices solides permettent de croire que là aussi deux centres nerveux sont mis à contribution, une donnée fondamentale dont il faudra tenir compte dans la recherche sur la réadaptation locomotrice.


Interaction cerveau-moelle épinière

Chez le chat, la zone de contrôle du système locomoteur, logée dans la moelle épinière, reçoit de l’information à la fois du cerveau et des organes sensoriels comme les muscles, les articulations et la peau; lorsque les nerfs rattachés à ces organes sont sectionnés et qu’on les empêche de se reformer, le système locomoteur parvient néanmoins à compenser ce handicap en quelques semaines, permettant au chat de retrouver une marche essentiellement normale.

Mais on ignorait si cette récupération était assurée par le cerveau ou par des circuits nerveux de la moelle épinière. En interrompant — par section de la moelle ou spinalisation — la communication entre le cerveau et la moelle épinière, les chercheurs ont pu constater que les chats ayant été privés de l’apport d’information provenant des organes sensoriels ont récupéré leurs fonctions locomotrices beaucoup moins bien que les chats n’ayant pas subi cette dénervation.

«Ceci nous montre que seulement une partie de la récupération provient du cerveau, souligne Laurent Bouyer. De plus, si la dénervation sensorielle est incomplète, les animaux récupèrent mieux, après spinalisation, que ceux qui ont subi une dénervation complète. La moelle épinière joue donc un rôle dans la récupération; elle est en mesure d’utiliser de l’information même réduite fournie par des organes sensoriels pour réorganiser la marche. Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, la moelle épinière n’est pas fixe; elle apparaît comme un environnement dynamique où se combinent adéquatement les renseignements du cerveau et ceux provenant directement des membres. Cette capacité plastique n’est toutefois pas illimitée.»


Résultats excitants

Laurent Bouyer cherche maintenant à établir si les circuits locomoteurs de la moelle épinière de l’être humain font preuve d’une aussi grande plasticité que ceux du chat, une tâche à laquelle il s’attaquera au cours des deux prochaines années.

Une expérience, à laquelle il a participé avec une équipe de l’Université Brandeis, à Waltham, près de Boston, lui a fourni des résultats «très excitants». «Si vous marchez sur un tapis roulant dans un laboratoire lui-même en rotation lente, il vous faudra faire au moins 250 pas avant que votre système sensorimoteur s’adapte à la rotation et que la marche se stabilise, fait-il observer. Mais si l’on vous demande de simplement pointer le pied dans une direction donnée, 15 essais suffiront pour réussir l’exercice.»

Pour le jeune chercheur, ceci démontre que deux systèmes neuronaux sont à l’oeuvre puisque la dynamique d’adaptation aux changements sensoriels est différente selon la tâche à accomplir. La plus ou moins grande complexité du geste ne serait pas en cause: «Il semble plutôt que les circuits exclusifs à la marche soient plus réfractaires aux changements et c’est une donnée dont il faudra tenir compte dans les programmes de réhabilitation», souligne-t-il.

Comme chez le chat, les réflexes locomoteurs permettant de corriger la marche de manière rapide et automatique à la suite de perturbations sensorielles seraient situés dans la moelle épinière. Chez des paraplégiques, par exemple, ces réflexes fonctionnent toujours et sont parfois même exacerbés malgré l’interruption des communications entre le cerveau et la moelle.

«L’expérience du laboratoire tournant est un bon modèle pour simuler un changement de rétroaction sensorielle causé par des maladies ou par des accidents touchant les récepteurs sensoriels, estime le chercheur. Elle ouvre la voie à des recherches qui devraient permettre de mieux comprendre les mécanismes de récupération fonctionnelle chez des personnes dont le système locomoteur est perturbé. L’avantage de ce modèle est qu’il permet d’abord d’étudier les mécanismes sous-jacents à la marche chez des sujets n’ayant pas souffert de complications ou n’étant pas sous médication.»

Dans ses prochains travaux, Laurent Bouyer tentera de modifier les réflexes locomoteurs de sujets normaux afin de déterminer si les réseaux neuronaux responsables de la marche peuvent subir une modification plastique pendant la marche. Ces expériences permettront en outre de tester une série de techniques de conditionnement afin de sélectionner les méthodes de réadaptation les plus adéquates pour les diverses populations de patients visées.

«Ultimement, on pourra en tirer des méthodes de réadaptation plus appropriées permettant d’optimiser l’entraînement de patients souffrant de troubles locomoteurs», espère Laurent Bouyer.

Daniel Baril