Plasticité
locomotrice: la contribution de la moelle épinière est
plus grande quon le croyait
Laurent
Bouyer cherche à découvrir des parallèles entre
les mécanismes de récupération de la marche chez
le chat et chez lhumain.
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Les
chats ayant subi une spinalisation récupèrent
une partie de leurs fonctions locomotrices grâce au
contrôle exercé par la moelle épinière»,
explique Laurent Bouyer. |
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Une part importante
des mécanismes de contrôle de la marche serait logée
dans la moelle épinière plutôt que dans le cerveau.
Il y a à peine quatre ans, seuls de faibles indices permettaient
de penser quun tel centre pouvait exister. Mais des travaux
comme ceux effectués au Centre de recherches en sciences neurologiques
(CRSN) sous la direction du Dr Serge Rossignol ont permis détablir
que ceci est bien la réalité, du moins chez le chat.
Quen est-il chez lêtre humain? Selon Laurent Bouyer,
stagiaire postdoctoral au CRSN, des indices solides permettent de
croire que là aussi deux centres nerveux sont mis à
contribution, une donnée fondamentale dont il faudra tenir
compte dans la recherche sur la réadaptation locomotrice.
Interaction cerveau-moelle épinière
Chez le chat, la zone de contrôle du système locomoteur,
logée dans la moelle épinière, reçoit
de linformation à la fois du cerveau et des organes sensoriels
comme les muscles, les articulations et la peau; lorsque les nerfs
rattachés à ces organes sont sectionnés et quon
les empêche de se reformer, le système locomoteur parvient
néanmoins à compenser ce handicap en quelques semaines,
permettant au chat de retrouver une marche essentiellement normale.
Mais on ignorait si cette récupération était
assurée par le cerveau ou par des circuits nerveux de la moelle
épinière. En interrompant par section de la moelle
ou spinalisation la communication entre le cerveau et
la moelle épinière, les chercheurs ont pu constater
que les chats ayant été privés de lapport
dinformation provenant des organes sensoriels ont récupéré
leurs fonctions locomotrices beaucoup moins bien que les chats nayant
pas subi cette dénervation.
«Ceci nous montre que seulement une partie de la récupération
provient du cerveau, souligne Laurent Bouyer. De plus, si la dénervation
sensorielle est incomplète, les animaux récupèrent
mieux, après spinalisation, que ceux qui ont subi une dénervation
complète. La moelle épinière joue donc un rôle
dans la récupération; elle est en mesure dutiliser
de linformation même réduite fournie par des organes
sensoriels pour réorganiser la marche. Contrairement à
ce quon a longtemps cru, la moelle épinière nest
pas fixe; elle apparaît comme un environnement dynamique où
se combinent adéquatement les renseignements du cerveau et
ceux provenant directement des membres. Cette capacité plastique
nest toutefois pas illimitée.»
Résultats excitants
Laurent Bouyer cherche maintenant à établir si les circuits
locomoteurs de la moelle épinière de lêtre
humain font preuve dune aussi grande plasticité que ceux
du chat, une tâche à laquelle il sattaquera au
cours des deux prochaines années.
Une expérience, à laquelle il a participé avec
une équipe de lUniversité Brandeis, à Waltham,
près de Boston, lui a fourni des résultats «très
excitants». «Si vous marchez sur un tapis roulant dans
un laboratoire lui-même en rotation lente, il vous faudra faire
au moins 250 pas avant que votre système sensorimoteur sadapte
à la rotation et que la marche se stabilise, fait-il observer.
Mais si lon vous demande de simplement pointer le pied dans
une direction donnée, 15 essais suffiront pour réussir
lexercice.»
Pour le jeune chercheur, ceci démontre que deux systèmes
neuronaux sont à loeuvre puisque la dynamique dadaptation
aux changements sensoriels est différente selon la tâche
à accomplir. La plus ou moins grande complexité du geste
ne serait pas en cause: «Il semble plutôt que les circuits
exclusifs à la marche soient plus réfractaires aux changements
et cest une donnée dont il faudra tenir compte dans les
programmes de réhabilitation», souligne-t-il.
Comme chez le chat, les réflexes locomoteurs permettant de
corriger la marche de manière rapide et automatique à
la suite de perturbations sensorielles seraient situés dans
la moelle épinière. Chez des paraplégiques, par
exemple, ces réflexes fonctionnent toujours et sont parfois
même exacerbés malgré linterruption des
communications entre le cerveau et la moelle.
«Lexpérience du laboratoire tournant est un bon
modèle pour simuler un changement de rétroaction sensorielle
causé par des maladies ou par des accidents touchant les récepteurs
sensoriels, estime le chercheur. Elle ouvre la voie à des recherches
qui devraient permettre de mieux comprendre les mécanismes
de récupération fonctionnelle chez des personnes dont
le système locomoteur est perturbé. Lavantage
de ce modèle est quil permet dabord détudier
les mécanismes sous-jacents à la marche chez des sujets
nayant pas souffert de complications ou nétant
pas sous médication.»
Dans ses prochains travaux, Laurent Bouyer tentera de modifier les
réflexes locomoteurs de sujets normaux afin de déterminer
si les réseaux neuronaux responsables de la marche peuvent
subir une modification plastique pendant la marche. Ces expériences
permettront en outre de tester une série de techniques de conditionnement
afin de sélectionner les méthodes de réadaptation
les plus adéquates pour les diverses populations de patients
visées.
«Ultimement, on pourra en tirer des méthodes de réadaptation
plus appropriées permettant doptimiser lentraînement
de patients souffrant de troubles locomoteurs», espère
Laurent Bouyer.
Daniel
Baril