Volume 35 numéro 17
22 janvier 2001


 


Un «jeune de la rue» qui s’en sort
Alain Nelson livre un témoignage aux étudiants en psychoéducation.

Après avoir galéré pendant 10 ans, Alain Nelson est aujourd’hui un conférencier recherché. Il a fait une vingtaine de présentations du film Toujours à part des autres, de Marcel Simard, auquel il a contribué.

Avec sa coupe mohawk et son blouson de cuir, Alain Nelson faisait peur au monde. Il était défoncé en permanence; «Fuck the world» était sa devise. Un jour, pour en finir, il a avalé une poignée de comprimés avec une grosse bière. Le lendemain, il s’est réveillé frustré d’être en vie, mais surtout de s’être fait passer de la mauvaise marchandise. Il s’est acheté une arme et a décidé de faire payer ceux qui l’avaient fait souffrir.

«Soudainement, les héros de mon enfance me sont apparus, a-t-il raconté à un groupe d’étudiants en psychoéducation le 5 janvier dernier. Luke Skywalker [prince blanc du film Star Wars] m’a prévenu que, si je mettais mon plan à exécution, je passerais du côté sombre de la force.»

Adieu PCP, coupe mohawk et blouson de cuir. Alain Nelson a décidé de changer de peau. Il s’est joint à l’équipe de Pops, qui vient en aide aux jeunes de la rue dans le centre-ville de Montréal. De là, il a entendu parler d’entreprises québécoises consacrées à la réinsertion sociale. Il a trouvé un travail dans une manufacture de métal. Aujourd’hui âgé de 28 ans, le jeune homme a vaincu sa toxicomanie, même si chaque jour demeure un combat. Il est aujourd’hui un employé permanent de La Réplique, un organisme qui vise à contrer l’exclusion socioprofessionnelle et financé par Emploi Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et Ressources humaines Canada. Son travail consiste à animer la présentation du film Toujours à part des autres, de Marcel Simard, auquel il a contribué à titre de scénariste.

«Nous donnons habituellement cette conférence devant des jeunes en difficulté et vous ne correspondez pas exactement à ce profil, a-t-il dit, à la blague, à l’auditoire composé de quelque 120 étudiants des cinq universités québécoises qui offrent la formation en psychoéducation. Mais j’ai accepté de venir parce que j’aurais bien aimé, moi-même, devenir psychoéducateur.»

Aujourd’hui, quand il voit un punk lui tendre la main, Alain Nelson a un pincement au coeur. S’il peut lui parler, il lui conseille d’entretenir la flamme de créativité en lui. «S’il aime dessiner, qu’il se trouve un bloc à croquis; s’il aime écrire, qu’il écrive; s’il aime faire de la musique, qu’il se trouve une guitare et qu’il joue. Sinon, quand le party sera fini, il n’y aura rien pour lui.»

Le jeune homme a reçu une longue ovation pour son témoignage.


Première partie
«Le film est le premier segment d’un long métrage qui sera écrit et réalisé en collaboration avec des jeunes en processus de réinsertion», explique Élyse Benoît, psychoéducatrice à l’origine de ce projet.

Fondatrice d’une des premières entreprises de réinsertion en 1980, Boulot vers, Élyse Benoît a constaté qu’un bon nombre de jeunes traversaient une période difficile après la fin de leur contrat de travail dans ce type d’entreprises. Fiers d’avoir conservé un emploi stable pendant plusieurs mois, les jeunes se retrouvent dans le vrai monde, où l’on ne veut pas nécessairement d’eux. Cette dure réalité en amène plusieurs à effectuer des tentatives de suicide ou à retourner dans la rue. Plus de 20% d’entre eux auraient éprouvé de tels problèmes d’adaptation.

«Il était essentiel de trouver une façon de joindre les jeunes en processus de réinsertion pour leur donner des raisons d’espérer», explique Mme Benoît.

Avec le sociologue et cinéaste Marcel Simard (Love-moi, Les pas perdus, Le grand monde), Mme Benoît a eu l’idée de réaliser un film. Neuf jeunes de la rue sélectionnés pour leur «fort potentiel artistique» ont témoigné de leur expérience respective avant de participer aux différentes étapes de la réalisation. À partir des neuf histoires, le cinéaste a créé trois personnages qu’on voit évoluer dans Toujours à part des autres. Il s’agit d’un film très noir où les protagonistes se retrouvent trahis autant par leurs amis que par leurs parents. Abandonnés à leur sort, ils finissent dans la rue.

Une deuxième équipe réalise actuellement la seconde partie du film. Celle-ci mettra l’accent sur les solutions, promet-on. En attendant, l’équipe de La Réplique présente le court métrage et deux conférenciers, Guillaume Quéruel et Alain Nelson, assurent l’animation. «C’est important de permettre un échange avec les spectateurs, précise ce dernier. Sinon, les gens penseront qu’il n’y a pas de solutions aux drames que vivent des jeunes comme ceux qu’on voit dans le film.»

Une cinquantaine de présentations publiques du film ont eu lieu à ce jour dans les carrefours Jeunesse emploi et dans différentes entreprises de réinsertion sociale. Quant au film, il est produit par les productions Virage.

Élyse Benoît dirige La Réplique, un organisme formé de jeunes qui prépare la sortie de la deuxième partie du film Toujours à part des autres.

Maîtrise en psychoéducation
Élyse Benoît, qui est psychoéducatrice professionnelle depuis 20 ans, croit qu’il était urgent d’enrayer le problème de l’exclusion socioprofessionnelle. La multiplication des entreprises de réinsertion sociale est une bonne chose, mais il faut maintenant aller plus loin et offrir de l’espoir aux jeunes qui s’en sortent. «Après leur stage, bien souvent, rien ne leur est offert et ils sombrent bien souvent dans une dépression, quand ils n’entretiennent pas d’idées suicidaires.»

La mise sur pied de La Réplique et le projet en cours sont, pour Élyse Benoît, le sujet d’une maîtrise en psychoéducation. Le projet de long métrage devrait prendre fin en 2003, alors que se tiendra un colloque universitaire sur la réinsertion sociale.

Selon Mme Benoît, peu de psychoéducateurs se consacrent à ces jeunes de la rue, alors que les besoins sont criants.

Mathieu-Robert Sauvé