61%
des clients cachent des choses à leur psy
Personne
néchappe à la honte, explique Conrad Lecomte.
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«Ni
lexpérience ni la formation du thérapeute
ne le mettent à labri derreurs notables
dans la prise de décisions cliniques, affirme Conrad
Lecomte, professeur au Département de psychologie.
Le psychologue expert et sans faille est un mythe.» |
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Allongée
sur le divan, Lucienne expose ses humeurs à son psychothérapeute.
Mais elle ne lui révèle pas ses plus lourds secrets.
Pourquoi? Elle a honte.
«Cette situation est plus fréquente quon le pense,
affirme Conrad Lecomte, professeur au Département de psychologie.
Selon un sondage, 61% des gens qui consultent un psychologue lui cachent
des choses. Le professionnel doit donc apprendre à accepter
la complexité de lexpérience émotive dans
le cadre du processus thérapeutique. Sinon, il risque lui-même
déprouver de la culpabilité, voire de la honte,
à légard dune possible impression dinefficacité.»
En plus de son activité de pédagogue, quil exerce
à lUniversité de Montréal depuis 1975,
M. Lecomte est un psychothérapeute renommé. Il a participé,
lautomne dernier, à un congrès parrainé
par lOrdre des psychologues du Québec. Dans le cadre
de sa conférence (un atelier dune durée de six
heures donné en collaboration avec la chargée de cours
Annette Richard), le professeur Lecomte a fait le point sur la question
de la honte en psychothérapie. Pour lui, la capacité
du professionnel de sautoévaluer est essentielle, et
tout psychologue doit acquérir cette compétence.
La honte peut tuer
«Tu devrais avoir honte!» sexclament certains parents
quand leur enfant fait pipi au lit ou chaque fois quil na
pas un comportement adéquat. «Rien de tel pour instaurer
en lui un sentiment dinfériorité, souligne M.
Lecomte. Lenfant risque, plus tard, davoir de la difficulté
à se défaire de cette mauvaise estime de soi.»
Le Robert définit la honte comme un «sentiment
pénible de son infériorité, de son indignité
ou de son abaissement dans lopinion des autres». La honte
nest donc pas seulement une sensation par rapport à soi-même.
Elle peut aussi être la conscience de soi face aux autres, comme
disait Sartre. Nous avons tous connu ces instants de gêne intense
pendant lesquels les rires ou les regards réprobateurs se focalisent
sur nos erreurs ou comportements. Par exemple, être pris en
flagrant délit de mensonge ou de méchanceté.
Cette dimension sociale de la honte peut également être
provoquée par des conditions de vie perçues comme dégradantes:
pauvreté, chômage et mendicité, notamment.
En réalité, personne néchappe à
la honte, relève Conrad Lecomte. Cest une émotion
apprise dès lenfance. Il est normal de douter à
loccasion de ses capacités, dit-il. Ressentie de façon
insistante et non avouée, la honte peut cependant devenir destructrice.
Un cas extrême raconté par le professeur: celui de cet
imposteur français, Jean-Claude Romand. «Étudiant
en médecine qui échoue à son examen de 2e année,
il sinvente une vie professionnelle comme chercheur à
lOrganisation mondiale de la santé. Pendant près
de 10 ans, il renvoie avec brio limage dune réussite
sociale à sa femme, ses enfants et ses beaux-parents quil
vole pour maintenir son train de vie. Lorsque ceux-ci découvrent
la supercherie, Romand tue toute sa famille.»
La honte a aussi un côté positif: elle est parfois source
de motivation, poursuit M. Lecomte. Confronté à cette
impression, lindividu adopte divers comportements, explique-t-il.
Ainsi certaines personnes essaient de la conjurer en devenant perfectionnistes
ou ambitieuses. Lorgueil entraîne alors une obsession
de la réussite et la revendication de la compétence
se substitue à langoisse de navoir aucune valeur.
«Ces personnalités débordent dénergie
et font généralement de très bons professeurs
duniversité!» lance avec humour le psychologue.
Les aveux dun psy
Cinquième dune famille de 13 enfants, Conrad Lecomte
a grandi à Malartic, en Abitibi. Dans cette région de
mines et dépinettes, il fait ses études chez les
Oblats de Marie-Immaculée. Grâce à laide
financière des missionnaires, il entreprend une maîtrise
en psychologie clinique à lUniversité dOttawa.
Après six années de pratique, il poursuit des études
doctorales à lUniversité de Californie, à
Santa Barbara, où il mène des recherches sur linfluence
interpersonnelle en situation de formation et de supervision du psychothérapeute.
«Un psychologue compétent est-il réellement un
expert invisible qui observe et analyse de manière objective
le patient?» se demande alors M. Lecomte. Il consacrera plusieurs
années à tenter de répondre à cette question.
Plus tard, il articulera un modèle quil nomme «conscience
réflexive de soi en action». Cette approche est basée
sur le savoir, le savoir-faire et le savoir-être en psychothérapie.
«Certains cherchent refuge derrière une façade
de savoir, dautorité ou de pseudo-expertise. Dautres
tentent désespérément de maîtriser la complexité
par lapplication dun savoir technique vérifiable
et mesurable. Pour dautres encore, la quête dun
maître semble être la seule voie pour affronter cette
réalité complexe, écrit le professeur Lecomte
dans un article publié en 1999 dans la Revue québécoise
de psychologie. [
] Dune manière ou dune
autre, tout psychothérapeute est appelé à se
situer, à se définir et à composer avec la complexité
humaine. Chacun, à sa manière et selon son histoire
de vie, négocie sa relation à la complexité et
à lincertitude.»
Lécoute empathique, le respect et la valorisation inconditionnelle
sont des conditions indispensables à toute situation clinique,
ajoute-t-il, mais la véritable empathie ne consiste pas à
disparaître au profit de lautre. Cest être
capable de raisonner tout en maintenant sa perspective. «Malgré
sa subjectivité, le psychothérapeute demeure un professionnel
qui réfléchit et invite lautre à réfléchir
à son tour.»
Pour compliquer les choses, linteraction entre le patient et
le thérapeute, tout en étant authentique, ne doit pas
être symétrique, selon lui. Le spécialiste se
dévoile aussi. Il puise dailleurs une partie de ses compétences
dans lexpérience de sa propre vulnérabilité,
admet-il. Second aveu. Malgré les grilles dobservation
quil a élaborées, cette approche peut jouer des
tours.
«Il est parfois difficile davoir une conscience réflexive
de soi en action tout en ayant une attitude empathique introspective
et en régulant sa relation avec lautre. Aucune règle
ou technique précise ne peuvent répondre aux exigences
de chaque situation. Lêtre humain est complexe»,
conclut M. Lecomte.
Dominique
Nancy