Volume 35 numéro 17
22 janvier 200
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Enquête sur la police
«Il existe deux types de corruption policière», selon Frédéric Lemieux.

Adolescent turbulent — «ma mère a gagné son ciel» —, Frédéric Lemieux aimait se bagarrer et aurait pu mal tourner, comme on dit. Mais le destin en a décidé autrement. Après un mémoire de maîtrise sur la corruption policière au Québec, il poursuit des études doctorales à l’École de criminologie.

En 1987, un policier de l’escouade des stupéfiants de la Gendarmerie royale du Canada, Jorge Leite, vend des renseignements au cartel de la Colombie. Pour ses bons services, il reçoit une somme estimée à 350 000 $. Son rôle fait échouer une saisie canadienne de 240 kg de cocaïne valant une fortune sur le marché noir.

Jorge Leite n’est pas le seul policier québécois corrompu. Frédéric Lemieux, étudiant à l’École de criminologie, a consacré son mémoire de maîtrise à l’analyse de 12 cas de corruption policière. Nos corps policiers ne sont pas tout entier rongés par le crime, indique-t-il, mais les forces de l’ordre ne sont pas à l’abri de tout soupçon.

«Qu’est-ce qui pousse les agents à commettre des actes illégaux? Leur personnalité, bien sûr. Mais l’exercice de la fonction de policier offre des occasions tentantes, monnayables sur le marché criminel, que d’autres professions n’ont pas, affirme l’étudiant. Voilà ce qui en partie explique pourquoi même les meilleurs agents peuvent se laisser tenter.»

L’affaire Louis Sansfaçon en est un bel exemple. Qualifié de super-enquêteur — il a mis sous les verrous plus de 200 criminels au cours de sa carrière —, l’agent Sansfaçon a plaidé coupable à plusieurs accusations de vol et de trafic de stupéfiants. «Une bonne partie de la plaidoirie de l’avocat de l’accusé (Me Poupart) a consisté à jeter le blâme sur la Sûreté du Québec, qui, selon lui, a laissé Louis Sansfaçon croupir trop longtemps dans un milieu malsain. M. Sansfaçon a purgé sa peine à la prison provinciale de Québec et il tente présentement de se réinsérer dans la société.»


Des intouchables?

Au Québec, on est loin de la corruption de subsistance qu’on retrouve dans les pays en voie de développement. Par exemple, au Mexique les policiers demandent aux automobilistes une somme d’argent pour leur éviter des contraventions. Selon le rapport de la commission Codère, ce type de corruption sévissait ici aussi dans les années 40. Mais les avantages sociaux et l’augmentation des salaires des agents de police ont changé la donne.

«Aujourd’hui, le crime organisé est dans la majorité des cas à l’origine de la corruption policière, signale Frédéric Lemieux. La vente de renseignements et le trafic de stupéfiants sont les deux principaux services policiers retenus par le milieu interlope.»

Autre problème. Selon lui, la proximité professionnelle ou personnelle entre la police et les médias engendre une réaction médiatique mitigée. «Les policiers corrompus mais reconnus pour leur “professionnalisme” et qui ont été en contact avec les médias semblent être présentés au public d’une façon plus sympathique que ceux dont la carrière était plus rangée et moins retentissante.»

En matière d’abus de force, les médias ont beaucoup insisté sur l’inaction de nos gouvernements. Mais les histoires de corruption éclatent rarement au grand jour. Pourquoi? «Les syndicats défendent farouchement leurs membres, signale l’étudiant. Dans certains cas, ils ont même tenté de faire avorter les commissions d’enquête chargées de faire la lumière sur un corps de police.»

Cette influence syndicale engendre divers problèmes, dont une sorte de mutisme chez les policiers. Ces derniers refusent ainsi de témoigner contre leurs collègues, qui deviennent alors presque intouchables. Cette loi du silence, réelle ou mythique, n’est pas l’apanage des agents de la paix. «On la retrouve aussi chez les politiciens, les médecins et les avocats, soutient M. Lemieux. Ce qui est grave, c’est que l’organisation peut servir d’abri à des individus corrompus.» Pire encore: le syndicat essaie parfois de les protéger, comme le dévoile le rapport de la commission Poitras.


Le baccalauréat offre de l’espoir

La gestion de la direction policière est aussi montrée du doigt. «Le manque d’encadrement, une mauvaise définition des tâches et des objectifs, l’absence de leadership et de contrôle sur les policiers sont autant de motivations ou de raisons qui semblent également pousser les agents à commettre des actes illégaux», note M. Lemieux.

Dans l’affaire Denis Leclerc, un ancien sergent-détective du corps de police de Trois-Rivières, il y avait de la part du poste de police un net laisser-aller. «La drogue, les armes et autres pièces à conviction traînaient partout dans les bureaux sans qu’il y ait un endroit réservé aux objets saisis. La police payait même ses informateurs et collaborateurs en… marijuana!»

Ce cas, souligne Frédéric Lemieux, démontre que la déviance n’est pas toujours l’affaire d’un seul individu. «On parle alors de corruption systémique. C’est-à-dire qu’elle s’étend à l’ensemble d’une brigade dont les membres acceptent les comportements frauduleux et criminels qui prévalent. Ce type de corruption est difficilement décelable en raison du mutisme qui règne au sein des brigades.»

La délation est-elle une solution? À court terme oui, estime l’étudiant. Mais il faudrait plutôt parler de «témoins», car le terme «délateur» est péjoratif et n’encourage pas les policiers à briser le silence. «Le nouveau baccalauréat en technique policière de l’École de criminologie formera des policiers avec un plus grand esprit critique, fait-il valoir. Cela amène à croire, ou du moins à espérer, que les agents de demain pourraient être moins enclins à la déviance.»

Dominique Nancy