Volume 35 numéro 16
15 janvier 2001




COURRIER

Évolutionnisme contre créationnisme: le combat contre l’ignorance

J’ai assisté au pseudo-débat, orchestré par le Groupe biblique «universitaire» de l’Université de Montréal (nullement affilié à notre établissement...), qui s’est déroulé le 23 novembre dernier dans le plus grand amphithéâtre de notre université et dont votre journaliste a rendu compte dans le numéro de Forum du 4 décembre, en page 7. Cette salle, dans laquelle j’ai enseigné à des groupes de quelque 250 étudiants en biologie jusqu’au trimestre de l’hiver dernier, m’a paru contenir davantage de personnes que dans chacune de ces grandes classes de première année du premier cycle des dernières années. À en juger par mon applaudimètre et par celui de votre journaliste, les «arguments» du créationniste Laurence Tisdall ont semblé plus convaincants pour l’auditoire que ceux de mon collègue évolutionniste David Morse. Est-ce à dire que cet auditoire n’avait pas le niveau d’instruction qu’on attendrait d’universitaires? Que le Groupe biblique universitaire, avec sa trentaine de membres de croyance créationniste, avait réussi à «paqueter» l’auditoire de partisans venus d’un peu partout à Montréal pour faire grimper l’applaudimètre et influencer les naïfs ou les ignorants venus là par curiosité? Étions-nous dans une vulgaire assemblée électorale partisane dans laquelle les vérités et les doutes sont enterrés sous les formules-chocs lapidaires qui n’ont pour but que de «gagner à tout prix»?

En tant que coresponsable dans mon département d’un cours sur l’évolution, que j’ai donné pour la dernière fois de ma carrière cet automne, j’avais été invité par ce groupe biblique à défendre le «point de vue» évolutionniste. Comme j’adore les débats d’idées, j’avais d’abord été tenté par l’expérience. Après discussion avec d’autres collègues qui s’étaient déjà frottés à ces manipulateurs de vérités, de demi-vérités et d’ignorance, j’avais fini par décliner l’invitation. Ce M. Blais, animateur du «débat», avait alors insinué que «j’avais peur»... J’ai communiqué les raisons de mon refus à David Morse, dont je salue tout de même le courage de s’être ainsi exposé à cette manipulation.

Mon refus tenait à deux raisons principales, auxquelles d’autres motifs se sont ajoutés après le «débat». La première, je l’ai résumée par une caricature: quel physicien serait assez naïf pour accepter un «débat» de deux heures sur la théorie de la relativité contre un animiste, devant un auditoire sans instruction, mais par ailleurs plein de bons et joyeux sentiments de fraternité humaine, de générosité et de «gros bon sens» devant les multiples problèmes de la vie quotidienne? Le hasard des recherches de mes collègues me fournit l’explication de cet aberrant niveau d’ignorance qui afflige encore un auditoire majoritairement (?) universitaire au 21e siècle. Dans le numéro du 23 octobre dernier de Forum, Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation, révèle que «40% de la population ne posséderait pas les préalables pour maîtriser la pensée scientifique» en grande partie à cause de l’ignorance des instituteurs eux-mêmes.

Ma seconde raison pour refuser le piège tendu par les créationnistes, c’était mon désir de leur enlever une tribune pour véhiculer leur désinformation. Leur objectif prosélytique est apparu clairement à la fin du «débat»: dans les 15 minutes de «conclusion» accordées à chaque protagoniste, M. Tisdall a répété et projeté sur ses diapositives soigneusement élaborées l’adresse du site Web de son groupe créationniste; et après, les porte-parole du Groupe biblique si gentil ont aussi fourni l’adresse de leur site Web, avec tout le baratin approprié pour séduire les hésitants. J’ai alors demandé à David Morse, assis près de moi: «As-tu aussi un site Web?»

Au cours des dernières décennies, les groupes créationnistes américains ont mené leurs batailles en présentant leurs croyances comme une science, à mettre sur un pied d’égalité avec les autres sciences. Ma surprise, au «débat» du 23 novembre, a été de constater que M. Tisdall renverse maintenant complètement l’argumentation, en présentant cette fois l’évolutionnisme et le créationnisme comme deux questions relevant de la foi. Est-ce la nouvelle et inattendue tactique paramilitaire de cette armée de «vire-capots» prête à toutes les malhonnêtetés intellectuelles pour «gagner à tout prix»? En tout cas, durant les 15 minutes de «conclusions» créationnistes de M. Tisdall, cette malhonnêteté est apparue dans la succession de citations hors contexte de grands évolutionnistes (F.J. Ayala, S.J. Gould, etc.) exprimant des doutes sur certains aspects particuliers de la théorie actuelle de l’évolution, qu’ils ne remettent nullement en doute de façon générale.

Je retiens de ce pseudo-débat que l’esprit humain a un besoin viscéral (je devrais dire «cérébral»...) de certitudes, ce que la science ne peut lui offrir malgré toutes les preuves éclatantes de ses succès à améliorer le sort des humains lorsqu’elle est bien appliquée. Ce goût pour les certitudes qui caractérise l’esprit humain, les religions le satisfont par les «arguments» d’autorité. C’est ce type d’«arguments» que M. Tisdall a malhonnêtement servi à cet auditoire réceptif en lui assénant cette succession de citations hors contexte de grands évolutionnistes. La science ne peut que réduire graduellement les incertitudes qui hantent tous les esprits humains. Elle ne pourra jamais éliminer instantatément toutes ces incertitudes. Et ce que la formation scientifique peut apprendre aux esprits inquiets, c’est de vivre assez confortablement avec une certaine proportion d’incertitudes. Quant à ceux qui cherchent naïvement mais de bonne foi les certitudes dans l’interprétation littérale de la Bible, je conseille la voie qu’ont empruntée de grands croyants qui, comme Teilhard de Chardin, étaient en même temps de grands scientifiques: interpréter la Bible de facon symbolique, ce qu’admet même la papauté actuelle...

Pierre Brunel
Professeur titulaire
Département de sciences biologiques

N. D. L. R.: Le Groupe biblique universitaire relève du Centre étudiant Benoît-Lacroix, un centre de pastorale affilié aux Services aux étudiants de l’Université de Montréal.



Au secours Teilhard !


Dans son numéro du 4 décembre dernier (vol. 35, no 14), Forum publiait en page 7 un article signé par Daniel Baril dans lequel ce dernier présentait quelques grandes lignes des propos qui ont été tenus le 23 novembre 2000 au cours du débat entre un créationniste (Laurence Tisdall) et un évolutionniste (David Morse). Pour l’essentiel, l’article rendait bien compte des écarts irréconciliables observés entre les deux thèses (qui ne sont pas deux religions, quoi qu’en pense et en dise M. Tisdall). Je m’en voudrais de ne pas féliciter le professeur Morse pour le respect dont il a fait preuve vis-à-vis de son « adversaire » tout au long du débat (je ne suis pas certain que j’aurais été aussi patient !). Qu’il me soit permis cependant de soulever quelques points irritants suscités par cet article.

La dernière partie de l’article (groupe créationniste) signale le nom de deux personnes associées au Groupe biblique universitaire (GBU) et indique leur affiliation à la Faculté de théologie. Précisons d’abord que la Faculté de théologie n’a aucun lien avec le GBU. Ensuite, telles qu’elles sont formulées, ces quelques lignes laissent entendre que la Faculté de théologie enseigne les thèses créationnistes ou forme des créationnistes, ce qui n’est absolument pas le cas. Aucun de mes collègues, dans quelque cours que ce soit, ne soutient de telles thèses, au contraire. Nous sommes plutôt engagés, chacun dans notre domaine, dans le difficile mais fructueux dialogue entre science et foi tel qu’il se présente en ce début de 21e siècle. Nous cherchons à partager les fruits de ce dialogue avec nos étudiants, mais force est de constater que certaines personnes persistent à soutenir des thèses héritées à l’extérieur de la Faculté. La formation intellectuelle, même universitaire, ne vient pas à bout de toutes les naïvetés (M. Tisdall, même avec une maîtrise en micropropagation, en est un bel exemple).

Il aurait été instructif que M. Baril indique la formation universitaire de quelques-unes des 150 personnes qui applaudissaient aux thèses créationnistes: futurs informaticiens? biologistes? ingénieurs? psychologues? médecins? Plusieurs étudiants âgés de 20 à 35 ans, à la fine pointe de l’information dans leurs domaines respectifs, mais restés au Moyen Âge en ce qui a trait au discours théologique. En entendant ces applaudissements, je n’ai pu m’empêcher de penser que la Faculté de théologie a raison de continuer de proposer une formation théologique universitaire et critique minimale aux divers secteurs du savoir universitaire (par le biais, entre autres, de cours offerts dans le certificat en sciences des religions mis sur pied en collaboration avec la FAS). Sans être une panacée, un contact avec le discours théologique et religieux contemporain pourrait permettre à certaines personnes de découvrir que Teilhard de Chardin a succédé aux détracteurs de Darwin.

Devant les arguments «biblicistes» non explicités mais implicites de son vis-à-vis, on peut comprendre que le professeur Morse ait conclu sa présentation en insistant sur la séparation qui doit prévaloir entre science et religion. Le discours religieux obscurantiste ne laisse pas d’autre choix. Mais différentes avenues, celles de l’ouverture, de l’écoute, de la réévaluation et de la créativité entre science et théologie, permettent d’éviter ce type de schizophrénie. Il nous appartient de continuer de les proposer en milieu universitaire.

Robert David
Bibliste
Faculté de théologie

N. D. L. R.: Le texte n’a nullement mis en cause la Faculté de théologie ni lié le Groupe biblique universitaire à cette faculté. Il a tout simplement mentionné le domaine d’études des étudiants concernés — ce qui est une politique de Forum qui vaut également pour les professeurs — sans même les associer directement à la Faculté de théologie de l’UdeM.