COURRIER
Évolutionnisme
contre créationnisme: le combat contre lignorance
Jai assisté
au pseudo-débat, orchestré par le Groupe biblique «universitaire»
de lUniversité de Montréal (nullement affilié
à notre établissement...), qui sest déroulé
le 23 novembre dernier dans le plus grand amphithéâtre
de notre université et dont votre journaliste a rendu compte
dans le numéro de Forum du 4 décembre, en page
7. Cette salle, dans laquelle jai enseigné à des
groupes de quelque 250 étudiants en biologie jusquau
trimestre de lhiver dernier, ma paru contenir davantage
de personnes que dans chacune de ces grandes classes de première
année du premier cycle des dernières années.
À en juger par mon applaudimètre et par celui de votre
journaliste, les «arguments» du créationniste Laurence
Tisdall ont semblé plus convaincants pour lauditoire
que ceux de mon collègue évolutionniste David Morse.
Est-ce à dire que cet auditoire navait pas le niveau
dinstruction quon attendrait duniversitaires? Que
le Groupe biblique universitaire, avec sa trentaine de membres de
croyance créationniste, avait réussi à «paqueter»
lauditoire de partisans venus dun peu partout à
Montréal pour faire grimper lapplaudimètre et
influencer les naïfs ou les ignorants venus là par curiosité?
Étions-nous dans une vulgaire assemblée électorale
partisane dans laquelle les vérités et les doutes sont
enterrés sous les formules-chocs lapidaires qui nont
pour but que de «gagner à tout prix»?
En tant que coresponsable dans mon département dun cours
sur lévolution, que jai donné pour la dernière
fois de ma carrière cet automne, javais été
invité par ce groupe biblique à défendre le «point
de vue» évolutionniste. Comme jadore les débats
didées, javais dabord été tenté
par lexpérience. Après discussion avec dautres
collègues qui sétaient déjà frottés
à ces manipulateurs de vérités, de demi-vérités
et dignorance, javais fini par décliner linvitation.
Ce M. Blais, animateur du «débat», avait alors
insinué que «javais peur»... Jai communiqué
les raisons de mon refus à David Morse, dont je salue tout
de même le courage de sêtre ainsi exposé
à cette manipulation.
Mon refus tenait à deux raisons principales, auxquelles dautres
motifs se sont ajoutés après le «débat».
La première, je lai résumée par une caricature:
quel physicien serait assez naïf pour accepter un «débat»
de deux heures sur la théorie de la relativité contre
un animiste, devant un auditoire sans instruction, mais par ailleurs
plein de bons et joyeux sentiments de fraternité humaine, de
générosité et de «gros bon sens»
devant les multiples problèmes de la vie quotidienne? Le hasard
des recherches de mes collègues me fournit lexplication
de cet aberrant niveau dignorance qui afflige encore un auditoire
majoritairement (?) universitaire au 21e siècle. Dans le numéro
du 23 octobre dernier de Forum, Serge Larivée, professeur
à lÉcole de psychoéducation, révèle
que «40% de la population ne posséderait pas les préalables
pour maîtriser la pensée scientifique» en grande
partie à cause de lignorance des instituteurs eux-mêmes.
Ma seconde raison pour refuser le piège tendu par les créationnistes,
cétait mon désir de leur enlever une tribune pour
véhiculer leur désinformation. Leur objectif prosélytique
est apparu clairement à la fin du «débat»:
dans les 15 minutes de «conclusion» accordées à
chaque protagoniste, M. Tisdall a répété et projeté
sur ses diapositives soigneusement élaborées ladresse
du site Web de son groupe créationniste; et après, les
porte-parole du Groupe biblique si gentil ont aussi fourni ladresse
de leur site Web, avec tout le baratin approprié pour séduire
les hésitants. Jai alors demandé à David
Morse, assis près de moi: «As-tu aussi un site Web?»
Au cours des dernières décennies, les groupes créationnistes
américains ont mené leurs batailles en présentant
leurs croyances comme une science, à mettre sur un pied dégalité
avec les autres sciences. Ma surprise, au «débat»
du 23 novembre, a été de constater que M. Tisdall renverse
maintenant complètement largumentation, en présentant
cette fois lévolutionnisme et le créationnisme
comme deux questions relevant de la foi. Est-ce la nouvelle et inattendue
tactique paramilitaire de cette armée de «vire-capots»
prête à toutes les malhonnêtetés intellectuelles
pour «gagner à tout prix»? En tout cas, durant
les 15 minutes de «conclusions» créationnistes
de M. Tisdall, cette malhonnêteté est apparue dans la
succession de citations hors contexte de grands évolutionnistes
(F.J. Ayala, S.J. Gould, etc.) exprimant des doutes sur certains aspects
particuliers de la théorie actuelle de lévolution,
quils ne remettent nullement en doute de façon générale.
Je retiens de ce pseudo-débat que lesprit humain a un
besoin viscéral (je devrais dire «cérébral»...)
de certitudes, ce que la science ne peut lui offrir malgré
toutes les preuves éclatantes de ses succès à
améliorer le sort des humains lorsquelle est bien appliquée.
Ce goût pour les certitudes qui caractérise lesprit
humain, les religions le satisfont par les «arguments»
dautorité. Cest ce type d«arguments»
que M. Tisdall a malhonnêtement servi à cet auditoire
réceptif en lui assénant cette succession de citations
hors contexte de grands évolutionnistes. La science ne peut
que réduire graduellement les incertitudes qui hantent tous
les esprits humains. Elle ne pourra jamais éliminer instantatément
toutes ces incertitudes. Et ce que la formation scientifique peut
apprendre aux esprits inquiets, cest de vivre assez confortablement
avec une certaine proportion dincertitudes. Quant à ceux
qui cherchent naïvement mais de bonne foi les certitudes dans
linterprétation littérale de la Bible, je conseille
la voie quont empruntée de grands croyants qui, comme
Teilhard de Chardin, étaient en même temps de grands
scientifiques: interpréter la Bible de facon symbolique, ce
quadmet même la papauté actuelle...
Pierre
Brunel
Professeur titulaire
Département de sciences biologiques
N.
D. L. R.: Le Groupe biblique universitaire relève du Centre
étudiant Benoît-Lacroix, un centre de pastorale affilié
aux Services aux étudiants de lUniversité de Montréal.
Au secours Teilhard !
Dans son numéro du 4 décembre dernier (vol. 35, no 14),
Forum publiait en page 7 un article signé par Daniel Baril
dans lequel ce dernier présentait quelques grandes lignes des
propos qui ont été tenus le 23 novembre 2000 au cours
du débat entre un créationniste (Laurence Tisdall) et
un évolutionniste (David Morse). Pour lessentiel, larticle
rendait bien compte des écarts irréconciliables observés
entre les deux thèses (qui ne sont pas deux religions, quoi
quen pense et en dise M. Tisdall). Je men voudrais de
ne pas féliciter le professeur Morse pour le respect dont il
a fait preuve vis-à-vis de son « adversaire » tout
au long du débat (je ne suis pas certain que jaurais
été aussi patient !). Quil me soit permis cependant
de soulever quelques points irritants suscités par cet article.
La dernière partie de larticle (groupe créationniste)
signale le nom de deux personnes associées au Groupe biblique
universitaire (GBU) et indique leur affiliation à la Faculté
de théologie. Précisons dabord que la Faculté
de théologie na aucun lien avec le GBU. Ensuite, telles
quelles sont formulées, ces quelques lignes laissent
entendre que la Faculté de théologie enseigne les thèses
créationnistes ou forme des créationnistes, ce qui nest
absolument pas le cas. Aucun de mes collègues, dans quelque
cours que ce soit, ne soutient de telles thèses, au contraire.
Nous sommes plutôt engagés, chacun dans notre domaine,
dans le difficile mais fructueux dialogue entre science et foi tel
quil se présente en ce début de 21e siècle.
Nous cherchons à partager les fruits de ce dialogue avec nos
étudiants, mais force est de constater que certaines personnes
persistent à soutenir des thèses héritées
à lextérieur de la Faculté. La formation
intellectuelle, même universitaire, ne vient pas à bout
de toutes les naïvetés (M. Tisdall, même avec une
maîtrise en micropropagation, en est un bel exemple).
Il aurait été instructif que M. Baril indique la formation
universitaire de quelques-unes des 150 personnes qui applaudissaient
aux thèses créationnistes: futurs informaticiens? biologistes?
ingénieurs? psychologues? médecins? Plusieurs étudiants
âgés de 20 à 35 ans, à la fine pointe de
linformation dans leurs domaines respectifs, mais restés
au Moyen Âge en ce qui a trait au discours théologique.
En entendant ces applaudissements, je nai pu mempêcher
de penser que la Faculté de théologie a raison de continuer
de proposer une formation théologique universitaire et critique
minimale aux divers secteurs du savoir universitaire (par le biais,
entre autres, de cours offerts dans le certificat en sciences des
religions mis sur pied en collaboration avec la FAS). Sans être
une panacée, un contact avec le discours théologique
et religieux contemporain pourrait permettre à certaines personnes
de découvrir que Teilhard de Chardin a succédé
aux détracteurs de Darwin.
Devant les arguments «biblicistes» non explicités
mais implicites de son vis-à-vis, on peut comprendre que le
professeur Morse ait conclu sa présentation en insistant sur
la séparation qui doit prévaloir entre science et religion.
Le discours religieux obscurantiste ne laisse pas dautre choix.
Mais différentes avenues, celles de louverture, de lécoute,
de la réévaluation et de la créativité
entre science et théologie, permettent déviter
ce type de schizophrénie. Il nous appartient de continuer de
les proposer en milieu universitaire.
Robert
David
Bibliste
Faculté de théologie
N.
D. L. R.: Le texte na nullement mis en cause la Faculté
de théologie ni lié le Groupe biblique universitaire
à cette faculté. Il a tout simplement mentionné
le domaine détudes des étudiants concernés
ce qui est une politique de Forum qui vaut également
pour les professeurs sans même les associer directement
à la Faculté de théologie de lUdeM.