Une
biologiste à la rescousse des tortues
Nathalie
Tessier étudie la génétique des tortues des bois
du Québec.
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Sous
la direction du professeur François-Joseph Lapointe,
Nathalie Tessier effectue un postdoctorat sur la génétique
des tortues des bois au Département de sciences biologiques.
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Il faut chercher
une roche qui bouge», lance très sérieusement
un spécialiste de la Société de la faune et des
parcs du Québec (FAPAQ) à Nathalie Tessier. Létudiante
du Département de sciences biologiques effectue un postdoctorat
sur la génétique des tortues des bois, une des sept
espèces de tortues de la province vulnérables ou menacées
dextinction.
Il est six heures
du matin. Mme Tessier a les deux pieds dans la vase et elle marche
depuis plusieurs kilomètres. Une lampe fixée sur le
front, la jeune chercheuse scrute la berge de la rivière Duchêne,
sur la rive sud de Québec. Elle lance un juron. Toutes les
m... roches sont immobiles! «Cest un peu comme chercher
une aiguille dans une botte de foin, raconte la biologiste. On peut
passer à côté delles sans les voir tellement
elles ressemblent à des cailloux.»
De plus, on en dénombre très peu: à la rivière
Shawinigan, où se trouve la plus grosse concentration de tortues
des bois recensée au Québec, on en compte seulement
250. Cette tortue au cou et aux pattes orange, de son nom latin Clemmys
insculpta, habite divers lieux dont les rivières Kazabazua
et Yamaska, dans les régions de lOutaouais et de la Montérégie.
En 1990, ces colonies ne comptaient respectivement que 120 et 50 individus.
Ces reptiles sont-ils en déclin? À lheure actuelle,
on ne possède pas de données chiffrées qui permettent
de savoir si les populations diminuent de manière inquiétante,
répond la chercheuse de 31 ans. «Cest avec des
analyses génétiques et des observations sur le terrain
quon va vraiment pouvoir répondre à cette question.»
En tout cas, il sagit dune espèce «vulnérable»,
selon la Fondation de la faune du Québec. Cest dailleurs
dans le but de découvrir des moyens de conservation et daménagement
de sites de nidification que cet organisme, en collaboration avec
Parcs Canada, le programme faune-nature de la FAPAQ et la Corporation
de gestion de la forêt de laigle, finance le projet de
recherche de Nathalie Tessier.
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Vers
la fin doctobre, la tortue des bois, un reptile qui a reçu
le statut despèce vulnérable, senfouit
au fond dun lac pour hiberner. Lété,
cet omnivore recherche les coins ensoleillés et se nourrit
principalement de larves, dinsectes et de fruits sauvages. |
La génétique au service de la
faune
En avril dernier, la Fondation de la faune du Québec émettait
un timbre spécial sur la préservation des habitats fauniques
de la province. Lemblème: la tortue des bois. La perte
et la dégradation de son habitat représentent une grande
menace pour cette tortue dont le mode de vie plutôt terrestre
durant lété la distingue de ses semblables qui
préfèrent leau. À la fin de lautomne,
Clemmys insculpta retourne au fond de sa rivière sinueuse pour
hiberner. «Lassèchement des terres humides, le
réaménagement des rives et la pollution des eaux contribuent
à la raréfaction de cette espèce, rapporte la
biologiste. La capture de ces tortues pour la revente à des
commerces danimaux de compagnie accentue aussi leur vulnérabilité.»
Autre problème: les populations connues vivent en petit nombre
et leur répartition périphérique est restreinte.
«Lisolement de la tortue des bois risque dentraîner
une consanguinité qui pourrait mener à lextinction
de lespèce», explique François-Joseph Lapointe,
professeur au Département de sciences biologiques et directeur
des travaux de Nathalie Tessier. En plus de vérifier létat
de santé de différentes populations de tortues des bois
du Québec, létudiante examinera leurs déplacements.
Pour linstant, on possède peu dinformation sur
ce reptile en matière dhabitats privilégiés,
de reproduction et dhibernation. Sans compter le mystère
qui entoure son origine. Mais les travaux de Mme Tessier permettront
dapporter des réponses à ces questions. Des résultats
préliminaires révèlent déjà que
trois populations de tortues des bois du Québec sont génétiquement
distinctes.
«Cela confirme ce quon soupçonnait: chaque population
sest adaptée localement afin de mieux exploiter les ressources
de son milieu. Les tortues sont génétiquement imprégnées
de leur environnement. Si on les déplace, leurs chances de
survie pourraient être diminuées.»
Pour arriver à différencier génétiquement
les populations de tortues des bois, Nathalie Tessier compare et analyse
lADN de plusieurs spécimens. Elle doit dabord extraire
lADN des échantillons, puis en faire des copies à
laide dune machine particulière qui a révolutionné
la biologie moléculaire. La chercheuse incorpore ensuite à
lADN des marqueurs fluorescents qui, avec un séquenceur
automatique, permettent de visualiser la chaîne de molécules.
Les données sont alors analysées de façon à
repérer les différents patrons génétiques.
Une technique non invasive
Originaire de Sept-Îles, Mme Tes-sier a toujours aimé
la nature et les animaux, qui sont à la source de son intérêt
pour la biologie. Après un baccalauréat dans cette discipline
à lUniversité du Québec à Rimouski,
elle obtient coup sur coup une maîtrise et un doctorat à
lUniversité Laval. Dans le cadre de ses études
doctorales, elle sintéresse à la génétique
de la ouananiche. Ses recherches sur ce saumon deau douce du
lac Saint-Jean lui permettront plus tard de mettre au point une technique
non invasive pour la collecte déchantillons dADN.
Dans le cas des espèces en danger, les scientifiques sinterdisent
de sacrifier lanimal. Ils ont plutôt recours à
des échantillons de sang. Cette technique est cependant peu
efficace auprès des tortues, dont la vasoconstriction empêche
la prise de sang, affirme Mme Tessier. Et puis, cette méthode
comporte aussi des risques de blessures.
«Je me suis dis que, si je pouvais extraire lADN décailles
de saumons, je pourrais sans doute faire de même avec des échantillons
de peaux mortes. Jai alors eu lidée de simplement
gratter un peu de vieille peau sur les pattes des tortues.»
La collecte de cellules mortes, courante dans la police judiciaire
sur les scènes de crimes mais jamais utilisée auprès
des animaux, a fait lobjet dune évaluation comparative
avec dautres approches employées par les biologistes.
Stress en moins, le taux de succès est exactement le même.
La candidate au posdoctorat fait état de sa découverte
dans un article soumis à la prestigieuse revue Molecular Ecology.
Dominique
Nancy
Une
lettre de mécontentement
Plus scientifique quactiviste, Nathalie Tessier sait néanmoins
défendre les causes qui lui tiennent à coeur. Ainsi,
lautomne dernier, elle a pris la plume dans lespoir de
faire modifier une condition dadmissibilité aux bourses
postdoctorales du fonds FCAR (Formation de chercheurs et aide à
la recherche).
«Le point 14 du formulaire de demande stipule que les
candidats qui ont fait leurs études de doctorat au Québec
doivent effectuer leur stage de recherche posdoctorale à lextérieur
du Québec, écrit-elle dans une lettre publiée
dans Le Devoir. [...] Cest la notion dexcellence elle-même,
sur laquelle repose tout concours de bourses, qui se trouve ainsi
biaisée. Limposition dune condition dadmissibilité
reliée au lieu de validité repousse au second rang tous
les autres critères normalement utilisés pour le classement
des candidats, critères tels que loriginalité,
le jugement et les aptitudes à la recherche. Combien de chercheurs
exceptionnels seront-ils privés de bourse sur la base dun
critère dexclusion purement géographique?»
se demande cette jeune maman.
D.N.
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