Volume 35 numéro 16
15 janvier 2001


 


Gestion des déchets: vivement le réveil collectif

Jean-Guy Vaillancourt

Forum présente aujourd’hui une version abrégée d’un texte retenu par le jury de l’Atelier de rédaction professionnelle (RED 3000), cours obligatoire à l’intérieur du Certificat de rédaction de la Faculté de l’éducation permanente (FEP). Marie-Hélène Turmel achève actuellement un certificat en journalisme à la FEP.

Le Canada arrive au deuxième rang mondial au chapitre de la production de déchets par habitant. Pour faire «disparaître» ces montagnes d’ordures, l’enfouissement reste la méthode privilégiée au Québec. Mais une fois les détritus compactés, enterrés et désagrégés par l’eau de pluie, leur décomposition produit des biogaz et d’autres substances toxiques qui peuvent provoquer le cancer chez l’humain en plus de contribuer à l’effet de serre et d’empoisonner animaux et poissons.

Le méthane (CH4) et le dioxyde de carbone (CO2) sont aux biogaz ce que la farine et l’eau sont au pain. Benzène, chlorure de vinyle ou toluène sont le «soupçon de sel». Quant aux eaux de lixiviation, elles résultent d’un procédé analogue à l’infusion d’une tisane. Mais si l’eau bouillante qu’on verse dans la théière prend de la camomille sa couleur et son goût, l’eau souterraine, elle, absorbe les propriétés toxiques des déchets.

Le simple fait de penser à certains composants de ce fluide donne des brûlures d’estomac. Le lixiviat comprend des métaux lourds (fer, plomb, mercure), des cendres d’incinération (dioxines et furanes) et des micro-organismes: salmonelles, par exemple, ou vibrion du choléra.

Préoccupé par ce problème, le ministère de l’Environnement du Québec prévoit réviser ses exigences relatives à l’enfouissement des déchets, qu’il n’a pas modifiées depuis 1978. Dans la nouvelle loi récemment adoptée, les propriétaires de sites seront tenus d’aménager des cellules étanches, de capter et de traiter les eaux de lixiviation et d’éliminer complètement les biogaz. La carrière Miron, notamment, en récupère une partie pour produire de l’électricité depuis 1994. Mais une gestion sécuritaire des dépotoirs suffira-t-elle à chasser les ordures de nos préoccupations?


Le poids de l’opinion

«Si la population est insensible à l’importance de la réglementation, le gouvernement cédera plus facilement aux pressions des entreprises», estime Jean-Guy Vaillancourt, professeur de sociologie de l’environnement à l’Université de Montréal. À son avis, la conscience environnementale des Québécois influera sur le respect de la nouvelle loi davantage que les sanctions. Le sociologue précise toutefois que «des amendes seront toujours nécessaires pour forcer l’action».

Quel impact exerce réellement l’opinion publique? En Allemagne, l’opposition populaire à l’aménagement de tout nouveau site d’enfouissement ou nouvel incinérateur a forcé le gouvernement à modifier sa politique de gestion des déchets.

Benoît Marin, coordonnateur de la coalition Action RE-buts, estime pour sa part qu’un seul facteur majeur amènera les gens à se mobiliser: la menace imminente pour leur santé.


Peu de recyclage
Sur les 8,3 millions de tonnes de déchets produits chaque année au Québec, 85% pourraient être récupérés. Or, seulement 35% le sont. Selon Gaétan Morin, de la Direction générale des politiques environnementales du ministère de l’Environnement, des amendes sont prévues pour les entreprises contrevenantes. Mais il ajoute que «la réglementation n’est pas un système pénal; c’est un système de collaboration».

En Allemagne, où l’on ne prend pas la chose à la légère, l’État a misé sur des outils économiques contraignants mais aussi sur des mesures incitatives. Subventions, prêts et allégements fiscaux sont accordés aux entreprises qui réduisent leur production de déchets. Certaines provinces allemandes ont même imposé une surtaxe sur les déchets industriels.

Il n’est pas encore question de surtaxe au Québec, mais l’industrie fourbit ses armes. Dans un mémoire adressé à l’Assemblée nationale lors de la Commission parlementaire de 1999 en vue de l’adoption de la loi, l’Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec (AMEQ) a soutenu que les frais de recyclage risquaient de nuire «au libre marché et à l’équité entre les entreprises». L’AMEQ a prétendu que la population doit assurer les coûts de la récupération et du recyclage de façon à «rendre les consommateurs responsables de leurs choix».

Plusieurs personnes contestent la nouvelle loi, mais leurs motifs sont tout autres. Le Front commun québécois pour la gestion écologique des déchets, un regroupement de résidants et d’écologistes, affirme que l’obligation de financer le recyclage n’est pas accompagnée d’une obligation de transparence publique.


L’environnement après la santé

Avec 39 projets d’enfouissement en attente d’autorisation, le problème d’espace ne semble pas encore préoccuper le Québec. Cependant, la concentration de la population, principalement dans la zone montréalaise, suscite des tensions régionales. Les communautés rurales doivent-elles accepter les montagnes de déchets dont les Montréalais sont obligés de se débarrasser?

En 1993, un mouvement d’opposition contre un projet d’incinérateur a pris forme à Montréal. Ce mouvement a bel et bien influé sur la prise de décision. Un signe que le réveil collectif est proche? Pour Jean-Guy Vaillancourt, le niveau de conscience d’une société s’évalue difficilement: «Il est certain que l’environnement vient derrière la santé dans les questions qui touchent directement la vie des gens. Mais lorsqu’il se produit des accidents comme à Tchernobyl ou des déversements de pétrole, la population réagit fortement.»

«La santé de la nature devient alors de façon plus frappante liée à la santé des gens», dit M. Vaillancourt. Lorsqu’il est question de biogaz et de lixiviat, les déchets ne sont-ils pas aussi dangereux pour notre santé que ces désastres?

Marie-Hélène Turmel


Le lixiviat dans la chaîne alimentaire

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement affirme, dans un rapport déposé en 1996, que «plusieurs sites [d’enfouissement] ne comportent ni membrane étanche ni système de traitement de lixiviat». Si le liquide qui s’échappe de ces sites atteint les cours d’eau à faible débit, les poissons et plantes aquatiques seront contaminés par l’«infusion» toxique. Cette eau infectera les animaux qui s’y abreuvent et, par bioaccumulation, la toxicité s’accentuera à chaque maillon de la chaîne alimentaire. L’être humain n’est donc pas épargné.

M.-H.T.