Croissance
et excroissances des Laurentides
Trois
chercheurs signent un ouvrage unique sur lurbanisation du Nord.
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Martin
Joly et Gérald Domon ont étudié pendant
deux ans et demi lévolution des Laurentides
et viennent de publier le fruit de leur travail. Lautre
coauteur, Gérard Beaudet, actuellement en congé
sabbatique, est en Angleterre. |
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Quand on circule
sur lartère principale de Sainte-Agathe-des-Monts, jalonnée
de Home Depot, McDonalds, Canadian Tire, Nickels et Harveys,
on est frappé par la ressemblance avec le boulevard Taschereau
de Greenfield Park. Là où devrait sexprimer lâme
des Laurentides, loeil perçoit une profusion de bitume
et de béton. Pour voir les couleurs de lautomne, le promeneur
doit porter le regard loin à lhorizon.
Cette «boulevardtaschereaudisation» des agglomérations
rurales nest pas propre aux Laurentides; La Tuque, Chicoutimi,
Jonquière et dautres villes québécoises
ont été contaminées par ce virus typiquement
nord-américain. Mais le développement fulgurant des
Laurentides, prises dassaut par les vacanciers montréalais
depuis la construction de lautoroute 15, en fait un lieu détude
exceptionnel pour les chercheurs en urbanisme et en architecture de
paysage. Alors quil nexistait que des hameaux reliés
par une voie ferrée mythique au début du siècle,
cette région forme aujourdhui une zone périurbaine
qui fourmille dactivités industrielles, agricoles et
récréotouristiques.
Gérald Domon, Gérard Beaudet et Martin Joly se sont
livrés à lanalyse approfondie de deux régions
des Laurentides qui ont évolué de façon très
différente. Lune, au nord, axée sur le développement
touristique, englobe lautoroute des Laurentides entre Saint-Antoine
et Lac-Milette, et lautre, à louest, plutôt
agricole, longe lOutaouais et inclut des villes comme Lachute
et Carillon. Le fruit de leur travail vient de paraître chez
léditrice Isabelle Quentin (en collaboration avec la
Chaire en paysage et environnement de la Faculté de laménagement)
et sintitule Évolution du territoire laurentien: caractérisation
et gestion des paysages.
Quel est votre capital-paysage?
Cet ouvrage universitaire sans équivalent au Québec,
selon M. Domon, aborde lévolution des Laurentides de
façon savante. Même sil est richement illustré
et que la qualité de limpression est soignée,
il ne sagit pas dun coffee table book. «Ce
livre est destiné aux aménagistes et aux professionnels
de la gestion du territoire, sans oublier les étudiants, explique
Gérald Domon. Au Québec, nous possédons très
peu douvrages de référence dans ce domaine. Lorsquils
existent, ce sont des publications françaises, donc dune
tout autre réalité.»
À lorigine, le Conseil de la culture des Laurentides
et un groupe de municipalités régionales de comté
ont entrepris des démarches afin de se doter doutils
pouvant servir à caractériser et à gérer
les paysages dintérêt patrimonial. Les spécialistes
de lUniversité de Montréal ont été
approchés dès 1996 et, par la suite, dautres partenaires
ont été mis à contribution, notamment le ministère
de lEnvironnement du Québec.
Les chercheurs ont consacré environ deux ans et demi à
ce travail, et lun des auteurs, Martin Joly, aujourdhui
consultant à titre darchitecte de paysage, y a puisé
son sujet de maîtrise. «Nous sommes des coauteurs très
complémentaires, signale M. Domon. Martin Joly est spécialiste
des bases de données géoréférencées,
Gérard Beaudet du patrimoine et moi de lécologie
du paysage.»
Comme le projet émane dune commande du milieu, il ne
sagit pas à proprement parler dune publication
savante. Louvrage accorde tout de même une attention particulière
à la méthodologie et à lanalyse conceptuelle.
Le lecteur y trouvera des notions comme le «cadre écologique
de référence», le paysage emblématique
ou identitaire, le capital-paysage, etc. Un langage soigné
et érudit accompagne les descriptions. On ny parlera
pas de «boulevardtaschereaudisation» de paysage ou de
catastrophe patrimoniale; on dira plutôt que «les terroirs
ruraux des basses terres et des marges de loekoumène
semblent actuellement peu valorisés et pour les premiers soumis
à une intensification marquée des pratiques culturales
et pour les seconds, objets dabandon».
Quand on demande de façon plus prosaïque à M. Domon
pourquoi certains villages des Laurentides sont si laids, il répond
que la pression urbaine a été très forte; beaucoup
plus, en tout cas, quen Estrie, où lautoroute a
été terminée une décennie après
celle du nord. «À ce moment-là, les préoccupations
environnementales et le souci de favoriser la qualité des paysages
étaient moins importants quaujourdhui.»
Deux régions, deux réalités
Il faut souligner la remarquable iconographie de ce livre, qui permet
au lecteur de mesurer en un coup doeil louvrage (loutrage?)
du temps. Le village de Saint-Sauveur-des-Monts était autrefois
un «village-rue» blotti dans la vallée où
le Petit Train du Nord faisait halte. Des champs cultivés remplissaient
la plaine jusquaux montagnes. Depuis, les «ensembles résidentiels
et commerciaux ont envahi la presque totalité de lancien
domaine agricole, montant même à lassaut des collines
voisines».
Dans bien des cas, les images parlent delles-mêmes. Dailleurs,
fait intéressant, les Laurentides ont été très
tôt léden des Montréalais fortunés,
qui ont produit une grande quantité de cartes postales, photos
dépoque et illustrations diverses. Les auteurs ne manquent
pas de comparer ces témoins précieux avec des prises
de vue actuelles. De même, dexcellentes photos aériennes
datent des années 20, ce qui permet de montrer lurbanisation
en deux ou trois clichés.
Si la région nordique a connu un changement de vocation considérable,
la zone ouest, étudiée par les spécialistes,
a conservé ses caractéristiques agricoles. Dans la région
de la rivière Rouge, notamment, les paysages ont conservé
leur cachet. «Le défi dans les années qui viennent
est donc de réussir, dans le contexte de production agricole
contemporain, à maintenir le caractère de
cette vallée.»
Selon les auteurs, certains espoirs sont permis. «En raison
de sa valeur patrimoniale et esthétique, la vallée de
Harrington pourrait bien être appelée à constituer,
dans les années à venir, un bon indicateur de la capacité
des collectivités locales à en assurer la protection
et la mise en valeur.»
Mathieu-Robert
Sauvé
Gérald Domon, Gérard Beaudet et Martin Joly, Évolution
du territoire laurentien, Caractérisation et gestion des paysages,
Montréal, Isabelle Quentin et Chaire en paysage et environnement,
2000, 150 pages.