Papa
idéal, où es-tu?
Nathalie
Dyke étudie ladaptation parentale à la venue dun
premier enfant.
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Pour
Nathalie Dyke, la venue au monde de son fils Antoine a changé
sa vie. Elle sest beaucoup intéressée
à ladaptation à la vie de famille. |
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Le père
idéal? Cest un homme qui est à lécoute
de ses enfants; il est actif et prévoyant «autant que
la mère». Il permet à ses petits de socialiser
et leur fait découvrir le monde. Il est disponible, autoritaire
au besoin, bon communicateur et complice avec eux.
Cest ainsi, du moins, que les femmes et les hommes définissent
le modèle du père tel quon le fabriquerait avec
une poignée dargile et une bonne baguette magique. Malheureusement,
au cours dune recherche où elle a interviewé 36
couples avant et après la naissance de leur premier enfant,
Nathalie Dyke a constaté, à la question suivante, que
les prototypes se faisaient rares.
Elle a demandé aux répondants sils connaissaient
effectivement une personne, soit dans leur passé ou dans leur
présent, qui incarnait limage décrite. La grande
majorité des répondants, particulièrement les
hommes, sont restés muets. «Chez les Québécois,
sur les neuf hommes qui ont répondu à la question, sept
ont clairement dit quils ne pouvaient pas nommer quelquun;
un seul a pensé à son père», écrit-elle
dans Cultures et paternités, qui vient de paraître
aux Éditions Saint-Martin.
Le plus surprenant, cest que le phénomène sobserve
surtout chez les «pure laine». «Jpeux pas
dire», «Jai pas vraiment de modèle»,
«Malheureusement, zéro»; voilà ce que la
nouvelle génération de pères nés au Québec
de parents non immigrants a répondu. Curieusement, les femmes
ont été nombreuses, de leur côté, à
pouvoir mettre des visages sur les pères idéaux en chair
et en os. Mais rarement nomment-elles leur propre conjoint
Le
modèle existe, mais cest «un voisin», «mon
beau-frère», «un de mes oncles et mon grand-père»,
«le père dun ami», «un collègue»,
etc.
La paternité abstraite
Que se passe-t-il donc avec les hommes? «Devenir père
est une abstraction, signale Nathalie Dyke, qui achève une
thèse de doctorat sur lengagement parental à la
Faculté des sciences de léducation. La plupart
des hommes interrogés au cours de cette étude ainsi
que dans le cadre de mes travaux de doctorat nont réalisé
ce qui leur arrivait quau moment de laccouchement. Certains,
au moment de la première maladie infantile et quelques-uns
nen ont jamais totalement pris conscience. Cest- à-dire
que, pour eux, la paternité est demeurée une abstraction.»
La sociologue Anne Quéniart, de lUniversité du
Québec à Montréal, a désigné quatre
types de pères: il y a lhomme de famille (attaché
aux valeurs traditionnelles, pourvoyeur), le nouveau père (on
lappelle aussi «homme rose»), le père téflon
(un mélange des deux précédents) et le père
décrocheur (il ne sest jamais engagé ou a cessé
de lêtre). Prudente, la chercheuse ne précise pas
le nombre de pères qui correspondent aux différentes
catégories, mais elle rapporte une enquête de Santé
Québec qui révèle que 25% des enfants de couples
séparés navaient pas vu leur père au cours
de lannée précédant lentrevue.
Pour Nathalie Dyke, ce phénomène est inquiétant.
«Dans le monde complexe que lon connaît, les enfants
ont plus que jamais besoin de leur père, dit-elle. Même
séparés de leur conjointe, les pères doivent
sengager dans léducation de leurs enfants, particulièrement
celle de leurs fils. Les garçons nont pas une image claire
de ce quest un homme. Si leur père disparaît du
paysage, où trouveront-ils leurs modèles?»
La chercheuse, elle-même mère dun garçon
de six ans, Antoine, constate à quel point son fils a besoin
de son père, un véritable héros dans lesprit
du petit. Elle se réjouit du fait que son enfant partage son
temps à peu près également entre la maison de
son père, qui a reconstitué une famille depuis, et la
sienne. «Je ne crois pas quon puisse être père
un week-end sur deux.»
«Être parent, ça sapprend»
Léchantillonnage de la recherche publiée récemment,
dune durée de trois ans sous la direction du psychiatre
Jean-François Saucier, comprenait aussi bien des Vietnamiens
que des Haïtiens immigrés en terre québécoise.
Dans leur conclusion, les auteurs précisent quune tendance
globale se dégage, peu importe lorigine des participants:
«La famille contemporaine, quelles que soient sa couleur, sa
forme, sa constellation, son histoire et ses représentations,
semble vivre de plus en plus de tensions dans son rapport avec le
social. Les nouveaux arrivants se plaignent de ne pas pouvoir vivre
une vie de famille à la hauteur de leurs attentes et bien des
couples québécois expriment les mêmes doléances.»
En entrevue, Nathalie Dyke confirme la chose: «Ce qui ma
frappée au cours de toutes ces interviews, dit-elle, cest
que la venue dun enfant suscite un grand espoir. Les futurs
parents souhaitent un bonheur immense pour leurs enfants. Ils disent
que cette expérience fera deux de meilleures personnes.
Ils seront plus empathiques, plus patients, plus solides quand leur
enfant viendra au monde.»
Malheureusement, la réalité savère difficile.
Et les réseaux dentraide sont souvent défaillants,
surtout dans les milieux urbains. «Il ny a pas de savoir
expert dans ce domaine. Mais ce que jai constaté au cours
de mes recherches, cest que plus les futurs parents ont un sentiment
solide de leur identité, mieux ils réussissent leur
adaptation à la nouvelle vie. Les gens qui ont une bonne reconnaissance
professionnelle, par exemple, et qui aiment leur travail deviennent
rarement des parents décrocheurs.»
Heureusement, devenir parent sapprend, estime la chercheuse.
Ce nest pas par hasard que sa thèse a été
rédigée à la Faculté des sciences de léducation.
Toutefois, beaucoup de choses restent à construire dans notre
société pour valoriser le rôle de parent, prétend-elle.
Il faut notamment récuser la course à lexcellence
et favoriser un rythme plus en accord avec la vie de famille, «la
semaine de quatre jours, par exemple».
Mathieu-Robert
Sauvé