Volume 35 numéro 16
15 janvier 2001


 


Adaptation psychosociale: la «science de la prévention» prend forme
Frank Vitaro et Claude Gagnon publient le premier ouvrage sur les données d’une vingtaine d’interventions en matière de prévention chez les jeunes.

Les problèmes d’adaptation psychosociale n’arrivent jamais seuls et les interventions pour les prévenir doivent être à la fois universelles et particulières, affirment Frank Vitaro et Claude Gagnon.

Depuis quelques années, une nouvelle discipline est en train d’émerger aux confins de la psychopathologie, de la criminologie, de l’épidémiologie et de la psychologie du développement. Comme son nom l’indique, la «science de la prévention» vise à prévenir, plutôt qu’à guérir, les problèmes d’adaptation psychosociale et de santé mentale chez les enfants et les adolescents.

Deux professeurs de l’École de psychoéducation, Frank Vitaro et Claude Gagnon, viennent d’apporter une contribution majeure à cette nouvelle discipline en publiant, en deux volumineux ouvrages collectifs de 600 pages chacun, les données les plus récentes tirées d’une vingtaine de recherches effectuées principalement aux États-Unis et au Québec dans le domaine de la prévention.

«Il n’y avait absolument rien du genre ni en français ni en anglais», assure Claude Gagnon, directeur de l’École de psychoéducation.

La science de la prévention est en fait la systématisation de l’intervention psychosociale afin d’en maximiser l’impact. Elle repose sur l’étude descriptive des problèmes, leur épidémiologie, la recherche des causes, la désignation des facteurs précurseurs et l’expérimentation d’actions ciblées faisant l’objet d’un plan de mise en oeuvre, d’un suivi et d’une évaluation.

«Toutes les études que nous présentons respectent ces exigences et reposent sur des modèles théoriques reconnus, souligne Frank Vitaro. Les intervenants seront ainsi en mesure d’évaluer quels programmes sont les plus efficaces et comment procéder pour espérer des résultats similaires.»


Une perspective ouverte

Alors que deux courants d’idées s’affrontent dans le domaine de la prévention, soit l’approche universelle et l’approche ciblée, les directeurs de l’ouvrage ont voulu éviter le piège d’un débat stérile en répertoriant des programmes relevant des deux approches.

«La prévention universelle —comme une campagne de promotion de la santé — vise tous les membres d’une population, alors que la prévention ciblée — telle une intervention en toxicomanie — vise des groupes déjà désignés comme étant plus particulièrement à risque, explique Frank Vitaro. Chaque approche a ses mérites et il n’y a pas d’incompatibilité théorique entre elles.»

Idéalement, les deux approches devraient être combinées dans une stratégie mixte lorsque les conditions le permettent. Selon le professeur Vitaro, c’est le cas présentement: «Il n’y a de chicane entre les tenants des deux approches que lorsqu’il manque de ressources financières pour aller dans les deux sens, affirme-t-il. Actuellement, nous sommes revenus à une situation de vaches grasses et il faut en profiter pour investir dans les deux approches.»

L’orientation retenue par l’ensemble des études présentées mise également sur une nouvelle conception de la prévention qui commande d’intervenir de façon variable selon les moments critiques du développement psychosocial du jeune.

«La méthode d’intervention doit être à la fois omnibus et particulière, poursuit M. Vitaro. On entend par “omnibus” une méthode qui vise à rectifier l’ensemble du comportement de l’enfant. Ceci repose sur la constatation qu’un problème de comportement apparaît souvent en cooccurrence avec un autre, comme la délinquance et le suicide. Ces problèmes ont alors des facteurs de risque communs; une intervention omnibus prendra en compte l’ensemble de la problématique en agissant sur l’enfant tout en mettant à contribution la famille, l’école et le milieu communautaire.»

«L’intervention particulière vise pour sa part un problème circonscrit, comme le décrochage, la toxicomanie ou le comportement violent. Avant, on se limitait à faire de la prévention chez les enfants à risque en pensant que tout irait bien par la suite. Maintenant, nous savons qu’il faut maintenir durant l’adolescence des interventions particulières.»

Une autre dimension de l’approche est que, même si elle mise sur la prévention, l’aspect curatif n’est pas pour autant délaissé. «Une campagne de prévention contre le cancer n’enlève pas la nécessité des soins thérapeutiques pour ceux qui en sont atteints», fait valoir Claude Gagnon.


1150 pages!

En faisant le point sur les connaissances les plus récentes résultant d’études effectuées parfois sur plusieurs décennies, l’ouvrage s’adresse à la fois «aux intervenants psychosociaux qui pourront disposer d’un guide méthodologique leur permettant d’éviter les lacunes repérées par les expérimentations, et aux étudiants en formation qui auront accès à toutes les données nécessaires pour concevoir des programmes d’intervention de qualité», souligne le directeur de l’École.

Les 22 études retenues, mettant à contribution 42 auteurs, sont regroupées en deux grands ensembles faisant l’objet d’un tome chacun, soit les problèmes internalisés et les problèmes externalisés. Les premiers font référence aux troubles comportementaux qui se retournent contre le sujet, comme l’anxiété, la dépression, les idées suicidaires, les séquelles d’agressions sexuelles, etc.; les seconds désignent les comportements déviants dirigés contre les autres ou contre l’environnement, comme la violence, la délinquance, les comportements à risque (psychotropes, jeux), etc. Le premier tome présente également quatre textes d’éléments conceptuels et stratégiques.

«Le découpage en catégories distinctes est un peu artificiel parce que les problèmes ne sont jamais isolés, prévient Frank Vitaro. Cette organisation du contenu répond d’abord à une nécessité pratique.» La vision unifiée des problèmes d’adaptation et des programmes de prévention fait d’ailleurs l’objet de la conclusion générale des deux tomes.

Si la science de la prévention est une nouvelle discipline, elle semble avoir connu un développement remarquable en quelques années à peine; une première édition en 1994 des travaux effectués dans ce domaine totalisaient 200 pages. Sans prétendre être exhaustif, l’ouvrage que publient aujourd’hui Frank Vitaro et Claude Gagnon fait 1150 pages.

Daniel Baril