Volume 35 numéro 15
11 décembre
2000


 


Les Néandertaliens: de plus en plus modernes

Quelques os de fœtus de chevaux retrouvés à Starosele et montrant, selon Ariane Burke, que la chasse s’effectuait à la fin de l’été ou en automne.

La réhabilitation de l’homme de Neandertal se poursuit. Ce proche cousin de l’homme moderne, disparu il y a moins de 30 000 ans, a d’abord été dépeint comme une brute sans culture, tout juste bon à tenir un gourdin, vivant dans la noirceur des cavernes et affichant un faciès plus près du gorille que de l’être humain.

À partir des années 50, cette image s’est considérablement modifiée au fil des découvertes archéologiques. On lui a refait un faciès à la mode de Cro-Magnon et il est apparu évident que son succès de longévité — près de 100 000 ans dans sa forme achevée — révélait une bonne capacité d’adaptation.

Dans les dernières décennies, c’est l’image du Néandertalien chasseur de mammouths qui en a pris un coup: l’analyse de traces d’outils sur des os de gibier a montré qu’elles étaient postérieures à des marques de dents d’animaux. L’homme de Neandertal est alors devenu un charognard se nourrissant, comme nos lointains ancêtres australopithèques, des restes laissés par les prédateurs mieux développés que lui.


Un chasseur pas si bête

Cette image est de nouveau en voie d’être renversée. Ariane Burke, professeure au Département d’anthropologie de l’Université du Manitoba, est parmi ceux qui soutiennent que les Néandertaliens maîtrisaient des techniques de chasse aussi poussées que celles de leurs jeunes cousins modernes.

«Non seulement il n’y a pas de différence entre les techniques de fabrication d’outils du Néandertalien et de l’homme moderne au paléolithique moyen, mais leurs comportements étaient semblables», a-t-elle soutenu au cours de la présentation de ses travaux au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal le 17 novembre dernier. «Ils avaient les mêmes comportements de chasse communautaire, ce qui suppose, de la part de l’homme de Neandertal, une coordination sociale, l’élaboration de plans déterminés et des déplacements saisonniers concertés.»

Mme Burke appuie ses propos sur les fouilles archéologiques qu’elle effectue à Starosele, en Crimée, cette péninsule ukrainienne qui s’avance dans la mer Noire. Les ossements humains retrouvés appartiennent au Néandertalien et il n’y a pas de traces d’Homo sapiens moderne. Ses travaux ont porté sur des artéfacts datant de la fin du paléolithique moyen, soit de – 40 000 à – 60 000 ans.

«Les fouilles sur quatre niveaux espacés dans le temps et couvrant toute cette période montrent que ce site était une station de boucherie, affirme-t-elle. On dépeçait sur place les chevaux et les antilopes saïgas qui faisaient l’objet de la chasse.»

Le site se trouve au fond d’un cul-de-sac qui, selon la chercheuse, se prêtait bien à une chasse par embuscade. «La présence d’os de foetus de chevaux montre que cette chasse se déroulait à la fin de l’été et au début de l’automne. Les chasseurs ont pu diriger les troupeaux en migration vers ce cul-de-sac, où ils étaient abattus.»

La persistance d’une telle occupation sur le même territoire pendant quelques dizaines de milliers d’années révèle une stratégie de chasse et une organisation logistique bien rodées.

Les steppes et les montagnes de Crimée où les Néandertaliens chassaient les chevaux et les antilopes.


Variété de niches écologiques

Si l’endroit n’était occupé qu’en automne, il faisait donc partie d’un ensemble territorial plus vaste regroupant divers lieux d’occupation spécialisée. Ariane Burke croit que les Néandertaliens de la région suivaient les troupeaux sur les hauts plateaux de Crimée en été, puis qu’ils redescendaient sur les sites riverains en hiver.

«L’exploitation saisonnière et extensive d’un territoire est considérée comme une caractéristique de l’homme moderne alors qu’on attribue habituellement à l’homme de Neandertal un emplacement restreint qu’il exploite de façon intensive, souligne-t-elle. Nos travaux plaident par contre en faveur d’une variété de niches écologiques occupées par les Néandertaliens. Ils étaient surtout des chasseurs et quelquefois des charognards.»

Les travaux d’Ariane Burke ne permettent toutefois pas de dire si les hommes de Neandertal ont conçu leurs propres outils de chasse ou s’ils ont tout simplement imité la façon de faire de l’homme moderne qu’ils côtoyaient. «Sur le site de Starosele, il y a des outils qui viennent d’ailleurs, mais on ne peut pas savoir s’ils ont été fabriqués par des Néandertaliens ou des Homo sapiens modernes. Certains croient à l’acculturation des Néandertaliens, mais il est trop tôt pour le dire. La question demeure ouverte, tout comme celle de la disparition des Néandertaliens.»

Daniel Baril