Volume 35 numéro 15
11 décembre
2000


 


La «paroisse» universitaire célèbre la Nativité
La Division des archives retrace les Noëls d’antan.

Le 19 décembre 1929, Le Quartier latin publie cette caricature sur Noël. On remarque sur le logo du journal étudiant un anachronisme intéressant: le Pavillon principal de l’Université de Montréal et sa célèbre tour ne sont pas encore construits. Le déménagement de la rue Saint-Denis (au coeur du «quartier latin») au campus du mont Royal ne se fera qu’en 1942. La tour, elle, ne sera achevée qu’après la guerre.

«Aujourd’hui, dans les collines qui environnent Bethléem, les hommes jouent plus volontiers du fusil-mitrailleur que de la houlette, et les étables cachent plus probablement des dépôts de grenades qu’un enfant Jésus sur la paille», peut-on lire dans un texte sur Noël publié dans Le Quartier latin en 1948.

Le conflit entre Israël et la Palestine fait toujours les manchettes, un demi-siècle plus tard, mais la religion a peu à peu disparu des pages du journal des étudiants de l’Université de Montréal. Pourtant, au cours de l’histoire, Noël a longtemps été un moment fort de l’année universitaire «chrétienne».

En 1945, quelque 1400 personnes assistent à la messe de minuit dans l’auditorium K-500 du Pavillon principal (aujourd’hui la salle Ernest-Cormier). Une célébration qui deviendra annuelle et qui sera même précédée d’une pièce de théâtre sur la Nativité.


Deus scientiarium dominus est

Il faut dire que le menu de la vie religieuse dans la «paroisse» de l’Université de Montréal était copieux: trois messes quotidiennes pour un total annuel de 500 messes et 5000 communions. On célébrait deux messes dominicales et une autre pour le saint patron de chacune des facultés. Il y avait aussi l’adoration du premier vendredi du mois, les offices de la semaine, le Vendredi saint sans compter les retraites, la prédication quotidienne, les activités de l’action catholique et les cours de préparation au mariage. Au plus fort de cette époque, quatre aumôniers étaient présents quotidiennement sur le campus.

Un rapport sur l’aumônerie des étudiants de l’Université de Montréal, préparé par l’abbé Robert Llewellyn, signale que l’association doit payer le salaire des aumôniers, le vin, les hosties et les Prie avec l’Église, ainsi que les vêtements sacerdotaux. La chapelle universitaire, située au Pavillon principal, compte 125 places et est souvent remplie à capacité.

De 1945 à 1950, l’abbé Llewelyn, surnommé affectueusement «le père», est un personnage important. Hubert Aquin lui rend hommage lorsqu’il quitte l’Université, le 13 octobre 1950: «L’abbé Llewellyn a revivifié la vie universitaire à partir de la foi. Il a fait une éclaircie dans notre forêt; il a fait reculer la frontière de l’obscurité et de la solitude. Il est venu avec sa portion de lumière, nous l’avons reçue.»

Le premier numéro du Quartier latin consacré à Noël est publié en 1923, un numéro «spécial» qui veut montrer l’importance de cette fête. Des lettres au père Noël et des textes poétiques sont publiés dans ce numéro. Jean Bruchési et Robert Choquette sont parmi les premiers auteurs à prendre la plume. L’aumônier décrit son rêve de voir s’ériger une maison des étudiants, qui se concrétisera «avec la grâce d’en-Haut».

Deux Noëls sont empreints de tristesse: en 1930, à la suite du krach boursier de 1929, et en 1944, alors que fait rage la Deuxième Guerre mondiale. «En quelque 20 ans, nous en sommes à notre sixième Noël de guerre, dit Charles Lussier, président de l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal. Au centre des pires calamités, la naissance de l’enfant Dieu apporte le message d’espérance pure.»

Autres temps, autres moeurs. Le numéro de décembre 1968 du journal des étudiants raconte l’histoire de Jésus et de son père, Joseph, «un bon communiste». Jésus est présenté comme un «anarchiste exécuté en 33».


La Révolution tranquille

En 1960, la baisse de la ferveur religieuse se manifeste. Futur journaliste très actif dans les milieux ouvriers, Jacques Guay incite «ceux pour qui Noël ne veut plus rien dire et à qui on l’impose comme une croix qui les écrase» à militer en faveur de la paix. Le 25 décembre de cette année-là, 400 étudiants canadiens marchent sur la colline parlementaire, à Ottawa pour revendiquer le désarmement nucléaire. Un étudiant fait le trajet de Montréal à la capitale fédérale pieds nus.

En 1967, l’Université obtient sa troisième charte, qui lui confère un statut laïque. Depuis 1965, le recteur n’a pas été nommé parmi les clercs, une première dans l’histoire de l’établissement. Cette année-là, les premiers signes de la sympathie aux idées communistes se manifestent. Les voeux de Noël se lisent comme suit: «Joyeux Noël et le paradis rouge à la fin de l’année.»

Mais la laïcisation ne se fait pas d’un coup. Le leader étudiant Roméo Bouchard signe, dans le numéro spécial de Noël de décembre 1968 du Quartier Latin, un texte intitulé «Jésus, un homme symbole toujours vivant». À son avis, «Jésus est incontestablement l’homme qui a le plus marqué l’Occident». Malheureusement, le Christ est «si méconnaissable que l’image d’hommes plus proches de nous et de nos responsabilités nouvelles a pris volontiers sa place sur nos murs. Mais il faudrait sans doute bien peu d’imagination pour que le “poster” de Jésus reprenne place à côté de ceux de Marx, de Mao et du Che.»

En 1950, les étudiants obtiennent «une dispense extraordinaire du pape». Son Excellence Mgr Paul-Émile Léger, archevêque de Montréal, reconnaissant les difficultés de leurs conditions de vie, sollicite et obtient du Saint-Père un adoucissement considérable du jeûne eucharistique.

Le privilège accordé aux fidèles de la «paroisse» de l’Université de Montréal consiste en ceci: toute personne qui désire communier à midi ou à la messe de midi, célébrée en semaine dans la chapelle de l’Université de Montréal, pourra prendre du liquide (alcool excepté) jusqu’à une heure (au lieu de trois heures) (11 h) avant la réception de la sainte Eucharistie.

Denis Plante
Archiviste

Sources:
Le Quartier latin, journal des étudiants de l’Université de Montréal.
• Fonds Jean-Baptiste-Proulx (P3).
• Fonds de l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal (AGEUM) (P33).

Visitez le site de la Division des archives www.Archiv.umontreal.ca pour voir l’exposition virtuelle sur Noël.