Volume 35 numéro 15
11 décembre
2000


 


Une poète parmi des universitaires
L’écrivaine Hélène Dorion se tient à la disposition des étudiants du Département d’études françaises.

En plus de sa participation à diverses activités pédagogiques, Hélène Dorion assure jusqu’en mai une présence d’environ une journée par semaine pour les étudiants qui désirent la rencontrer.

Installée dans un fauteuil de son bureau au Département d’études françaises, la poète Hélène Dorion répond aux questions de la journaliste de Forum d’une voix douce et claire. Elle a des yeux rieurs, le rire franc et la simplicité des gens qu’on apprécie instantanément. Cette écrivaine chevronnée, qui a publié une quinzaine d’ouvrages de poésie au Québec, en France et en Belgique, effectue une résidence d’une année à l’Université de Montréal.

«L’objectif principal de ce projet subventionné par le Conseil des arts est de permettre à un auteur reconnu de partager avec les étudiants son expérience d’écriture et ses réflexions sur la lecture, explique Micheline Cambron, directrice du Centre d’études québécoises. Ces rencontres sans cérémonie dynamisent également le travail d’écriture des étudiants engagés dans un processus de création.»

Dans la sélection d’un écrivain apte à satisfaire ces exigences, tant par son activité d’écriture que par sa personnalité et ses compétences, le nom d’Hélène Dorion s’est imposé assez rapidement, fait valoir Mme Cambron. «En principe, les écrivains aiment l’isolement, car il est propice à la création, admet la poète. Moi, je ne le recherche pas. J’aime échanger des idées avec les gens. C’est pourquoi j’ai accepté de vivre une expérience “en résidence” dans une université.»

Pour Mme Dorion, qui perçoit son rôle auprès des étudiants comme celui d’un guide, sa présence en nos murs est stimulante. Elle tente d’éclairer le chemin que seul l’étudiant peut défricher en suscitant par exemple une réflexion sur le rapport entre l’écriture et la vie. «Comment l’acte d’écrire peut-il s’inscrire dans une vie? s’interroge-t-elle. Vous savez, cela n’est pas si simple dans une société qui valorise peu la lecture.»

Mais lorsqu’une personne accomplit un petit pas dans sa démarche intérieure et parvient à laisser s’épanouir sa créativité littéraire, cela donne un sens à son travail d’écriture, dit-elle. On reconnaît d’ailleurs à Hélène Dorion une influence considérable sur les jeunes auteurs au cours de ses huit années d’expérience comme directrice littéraire des Éditions du Noroît.


De la philosophie à la poésie

Dans quel état écrit-on de la poésie? «J’essaie de ne pas me fixer dans des habitudes, répond Mme Dorion. L’écriture poétique est un travail d’écoute de soi. C’est un état d’être qui n’est pas lié à l’émotion, mais à un conditionnement par rapport au langage et aux mots. Seule condition: la concentration. Je ne pourrais pas écrire dans un café bruyant par exemple. J’ai besoin de silence.»

Un extrait des Murs de la grotte, un ouvrage paru en 1998 aux Éditions de la Différence, décrit bien la relation qu’elle entretient avec la poésie: «Le poème va/vers l’inavoué./Comme une voix/enfin entendue/de ce qui tremble en nous.»

Née à Québec en 1958, Hélène Dorion a eu «le choc des mots», selon son expression, quand elle a lu pour la première fois les vers du poète Jacques Brault. «J’ai été secouée par ses réflexions sur l’existence et son travail sur le langage. À ce moment, j’ai compris que les mots étaient une matière qui existe en elle-même.» La philosophie a aussi contribué à sa lucidité en tant qu’auteure. D’ailleurs, plusieurs de ses oeuvres sont empreintes d’un questionnement sur l’origine qui rappelle la quête des philosophes présocratiques.

«L’étude de la philosophie m’a fourni des fondements qui me permettent de mieux appréhender le monde. Mais à l’époque, il me semblait que l’être humain n’était pas assez pris en compte dans cette discipline, affirme-t-elle. Mon passage à la littérature m’a révélé toute une partie inactive de moi-même.» Après une maîtrise en création à l’Université Laval, elle publie coup sur coup, en 1983, deux ouvrages de poésie au Noroît: L’intervalle prolongé et La chute requise. Son succès immédiat la convainc de s’engager à fond dans cette voie.

Depuis, cette écrivaine, finaliste en 1998 au Prix du Gouverneur général du Canada, a gagné de nombreuses récompenses, dont le Prix de poésie Wallonie-Bruxelles et celui du Festival international de la poésie de Trois-Rivières.


Une voix et du silence

Hélène Dorion déplore les préjugés et le silence qui entourent la poésie contemporaine. À son avis, les médias de l’actualité littéraire délaissent cette forme d’écriture au profit du spectaculaire, car les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Au Québec, le milieu poétique est néanmoins foisonnant à en juger par le nombre de participants aux lectures publiques. «Entendre les poètes lire leurs textes permet aux gens de toucher à cette voix à l’intérieur d’eux, ce qui n’est pas si évident dans le monde où l’on vit», confiait Mme Dorion l’année dernière à la revue littéraire Nuit blanche.

Dans cette optique, elle coréalise depuis 1992 une série d’enregistrements audio de poésie et musique. De plus, elle fait régulièrement des lectures publiques qu’elle considère comme des moments précieux entre le poète et les spectateurs. Dans le cadre des rendez-vous littéraires et musicaux des Poètes de l’Amérique française, qui se sont déroulés à l’automne, Hélène Dorion a lu plusieurs extraits de ses nouveaux recueils: Portraits de mers (La Différence) et Fenêtres du temps (Trait d’union).

Dans Portraits de mers, elle poursuit son observation sur l’origine humaine. Mais ici, le questionnement de l’origine relève davantage de l’histoire individuelle que de celle du monde. Fenêtres du temps, issu d’un carnet de voyages effectués en Allemagne et en Autriche, a été écrit sur l’inspiration du moment. «C’est une démarche d’écriture inhabituelle pour moi qui mets généralement de deux à trois ans avant d’acheminer mes mots à un éditeur.»

Dominique Nancy