Volume 35 numéro 15
11 décembre
2000


 


L’Univers est-il statique?
Aubert Daigneault veut tirer de l’oubli les travaux de Segal qui réhabilitent
le modèle initial d’Einstein.

La formule fort simple de Segal qui démontre que la courbure de l’Univers peut causer le décalage vers le rouge. «Peu de gens la connaissent et encore moins la comprennent», affirme Aubert Daigneault.

En moins d’un demi-siècle, le modèle du big-bang est devenu tellement réputé en cosmologie qu’il passe pour être le seul capable d’expliquer l’ensemble des phénomènes observés en astrophysique, notamment le décalage vers le rouge du spectre lumineux des galaxies.

Ce modèle a par contre toujours eu ses détracteurs qui, bien que peu nombreux, résistent à l’orthodoxie du milieu. Le plus célèbre opposant, Fred Hoyle, est de façon paradoxale celui qui a ironiquement donné le nom de «big-bang» au modèle. Mais il n’est pas le seul à réfuter le big-bang. Einstein lui-même s’est rangé à l’idée d’un univers en expansion un peu à contrecoeur, alors que ses premiers travaux établissaient que l’Univers était statique, éternel et sphérique.

En 1972, un mathématicien du MIT, Irving Ezra Segal, a repris les travaux d’Einstein enrichis par les observations les plus récentes des astrophysiciens et est arrivé à la même conclusion que le célèbre génie: l’Univers est statique. Décédé en 1998, le mathématicien a toutefois laissé ses recherches en plan et n’a pas eu le temps de répondre aux dernières objections qui lui avaient été faites.

Aubert Daigneault, professeur retraité du Département de mathématiques et de statistique, veut tirer Segal de l’oubli. Avec son collègue Arturo Sangalli, du collège Champlain de Lennoxville, il vient tout juste de publier, dans le numéro de janvier 2001 de Notices of the AMS (American Mathematical Society), un article1 invitant la communauté scientifique, notamment les statisticiens, à poursuivre l’oeuvre inachevée de Segal.


Décalage vers le rouge

«Un des principaux éléments de la controverse réside dans l’interprétation à donner au décalage vers le rouge de la lumière provenant des objets éloignés de notre galaxie», explique-t-il. En 1929, ce phénomène a été interprété par Edwin Hubble comme étant une manifestation de l’effet Doppler.

Un exemple que tout le monde connaît bien de l’effet Doppler est la variation de la fréquence d’une sirène d’un véhicule d’urgence en fonction de son déplacement: les notes sont plus aiguës lorsque la source se rapproche que lorsqu’elle s’éloigne. Le même effet est observable pour des objets lumineux à très grande distance: leur mouvement d’éloignement décale la fréquence lumineuse vers le rouge. On en a déduit que toutes les galaxies s’éloignaient les unes des autres et que, forcément, il y eut un moment où elles étaient toutes concentrées en un même point.

«Mais le décalage vers le rouge s’explique mieux par la courbure de l’Univers, soutient Aubert Daigneault. Il est une conséquence du principe de conservation de l’énergie dans l’univers sphérique d’Einstein. La courbure fait que la fréquence de la lumière diminue avec la distance de la source dans la sphère tridimensionnelle. Dans l’interprétation traditionnelle d’un univers en expansion, la fréquence représente toute l’énergie de la lumière et c’est la diminution de cette énergie qui crée le décalage. Mais où va l’énergie perdue? Ce modèle ne tient pas compte du principe de la conservation de l’énergie, un principe fondamental en science. La réalité, c’est que la fréquence ne représente qu’une partie de l’énergie.»

Comme pour la célèbre formule d’Einstein sur l’énergie, le fait qu’un univers sphérique produise un décalage vers le rouge s’exprime mathématiquement par cette équation fort simple de Segal: Z = tg2(t/2r), où Z est le décalage, tg la fonction tangente, t le temps de parcours de la lumière et r le rayon de l’Univers. Comprendre la formule s’avère par contre fort ardu.

«Hubble avait pressenti que le décalage pouvait être dû à la courbure de l’Univers, mais avait proposé l’effet Doppler comme explication faute de mieux, rappelle Aubert Daigneault. Einstein a fini par croire que l’expansion était un phénomène empiriquement établi et il a modifié ses calculs en retranchant la constante cosmologique, c’est-à-dire l’élément tenant compte de la constance du rayon de l’Univers. Mais Segal a démontré mathématiquement que la courbure était la cause du phénomène observé.»


Des réponses à toutes les questions

Selon le professeur, les astrophysiciens redécouvriraient actuellement l’utilité de la constante cosmologique pour concilier l’âge des étoiles avec celui de l’Univers. La théorie cosmologique de Segal, appelée «cosmologie chronométrique», répondrait d’ailleurs à toutes les questions laissées sans réponse par la théorie du big-bang, comme celles de la «masse manquante» et du «rayonnement fossile».

Pour expliquer la vitesse des galaxies, la théorie du big-bang, qu’Aubert Daigneault appelle «sagesse conventionnelle», est obligée de supposer qu’il existe 90% plus de matière que ce qui est observé, ce qui lui paraît déraisonnable. «La matière visible n’est qu’une partie de la matière existante, mais, avec un univers statique, on n’a pas de problème de masse manquante.»

Quant au «rayonnement de fond» de trois degrés Kelvin observé par divers moyens depuis 1965, prédit par l’hypothèse du big-bang et in-terprété comme un «rayonnement fossile» de l’explosion initiale, il s’expliquerait lui aussi par la conservation de l’énergie. «C’est le résultat du voyage de la lumière dans la sphère tridimensionnelle», affirme le mathématicien.

Autre problème résolu, celui du manque de temps, dans la théorie du big-bang, pour que les galaxies aient pu se former; dans le modèle de Segal, l’Univers est éternel. «De nombreux problèmes de l’astrophysique traditionnelle disparaissent avec la cosmologie chronométrique», souligne M. Daigneault.

Il peut paraître facile de résoudre les difficultés en postulant que l’Univers a toujours existé. «Supposer que le temps est infini n’est pas gratuit, répond le professeur. Cela est inclus dans le principe de la conservation de l’énergie.»

Pourquoi le modèle de Segal est-il donc ignoré, voire rejeté, par la communauté scientifique? «Les critiques du modèle sont basées sur des analyses statistiques erronées», affirme Aubert Daigneault.

Le rejet du modèle de Segal relèverait aussi de la sociologie politique des sciences. «Il n’est pas facile d’admettre qu’on s’est trompé, surtout si l’erreur vous a valu la renommée et que de grosses sommes y ont été investies. De plus, l’idée d’un univers en expansion nous plaît alors que l’explication chronométrique du décalage est difficile à comprendre et nécessite beaucoup de connaissances mathématiques.»

On pourrait aussi ajouter que l’idée d’un univers ayant un commencement, un développement et une fin colle bien à notre vision anthropomorphique de la réalité, alors que l’image d’un univers éternel défie notre entendement.

«Les tenants de la sagesse conventionnelle persistent à ignorer les travaux de Segal et croient que le débat est clos, mais la question demeure toujours ouverte.» Pour Aubert Daigneault, ce sont les statisticiens qui en définitive vont trancher le débat et c’est pourquoi il dirige son intervention particulièrement vers eux.

Daniel Baril

1 Einstein’s Static Universe: An Idea Whose Time Has Come Back?, www.ams.org/notices.