Vaincre
la dépression: attaquer vite et fort!
Deux
médecins informent leurs confrères des meilleures approches.
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«La
dépression, cest comme une panne
dessence; inutile de sacharner sur le moteur,
le problème est ailleurs», explique le Dr Paul
Lefort, omnipraticien au Centre hospitalier Angrignon, quand
il veut bien se faire
comprendre de ses patients. |
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Depuis quatre
mois, Tristan Moody, 28 ans, ressent une fatigue chronique, a de la
difficulté à se concentrer et a perdu de lintérêt
autant dans son travail que dans sa vie personnelle. Son appétit
a diminué et il a maigri de quelques kilos. Déjà
amateur de rhum, il boit deux fois plus que dhabitude, soit
de cinq à six verres quotidiennement. De nature anxieuse, il
craint de ne pas être en mesure de subvenir aux besoins de sa
famille.
Lorsquil se présente chez son médecin, il semble
en bonne possession de ses moyens; le clinicien note que son jugement
et son autocritique sont valables, même sil semble un
peu agité durant lexamen.
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Le
Dr Pierre Verrier, psychiatre au CHUM, estime quil
est essentiel de nommer le problème. «Ce quon
appelle le burnout, cest une dépression,
et pas autre chose!» |
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«Quels sont les éléments cliniques qui soutiennent
un diagnostic de dépression majeure dans le cas de M. Moody?»
demandent les Drs Pierre Verrier et Paul Lefort à la trentaine
domnipraticiens réunis dans une salle du Palais des congrès,
à la rencontre annuelle de lunité de formation
professionnelle continue le 1er décembre dernier.
Élémentaire, mon cher docteur. Le patient présente
depuis au moins deux semaines un minimum de cinq des neuf symptômes
de la dépression majeure, selon la bible des spécialistes,
le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, dont
une perte dintérêt général. «Comme
vous le savez, il nest pas nécessaire dêtre
triste pour être dépressif, même si ce symptôme
est très souvent présent», explique le Dr Lefort,
omnipraticien au Centre hospitalier Angrignon.
Les troubles du sommeil, la perte dappétit, la fatigue
et la difficulté à se concentrer sont dautres
signes qui confirme létat dépressif de M. Moody.
Le patient nen est quau début de sa dépression,
cest pourquoi le médecin doit être très
attentif durant son examen.
Médecins recalés
Nouvelle question: quels éléments importants de lhistoire
de cas sont absents? Cette fois, les participants à latelier
seront recalés. La dépendance à lalcool,
lanxiété et les autres problèmes de M.
Moody ne doivent pas faire oublier que la plus grave conséquence
de la dépression majeure est le suicide. «Quatre-vingts
pour cent des gens qui se suicident ont clairement manifesté
leur intention de passer aux actes. Le médecin omnipraticien
est le professionnel le plus consulté par les suicidaires durant
les jours précédant le geste. Il peut jouer un rôle
important de prévention dans le dépistage des sujets
à risque», dit le Dr Lefort.
Un événement qui paraît banal chez un étudiant,
un mauvais résultat à un test détape par
exemple peut savérer dune importance extrême
chez le patient assis dans le cabinet. «Abordez directement
le sujet, conseille le Dr Verrier. Ce nest pas votre patient
qui va en parler. Comme médecin, vous devez avoir le réflexe
dy penser immédiatement.»
Les pertes récentes, la toxicomanie, le stress sont bien entendu
de considérables facteurs de risque, mais un événement
inattendu peut aussi provoquer une dépression. «Il est
très dangereux de gagner à la loterie, signale, sans
rire, le psychiatre du CHUM. Quelques chercheurs ont étudié
les profils de gagnants et constaté quils vivaient un
stress énorme. Tous ne passent pas au travers...»
Le médecin doit savoir lire entre les lignes. Rarissimes sont
les déprimés qui seraient capables de donner un nom
à la souffrance qui les afflige. Ils diront quils sont
fatigués, quils manquent dénergie, quils
ont une «écoeurite» du travail. «Posez des
questions ouvertes, recommande le psychiatre, ninterrompez pas
votre patient et prenez le temps quil faut.»
La santé mentale subit encore de nos jours une stigmatisation
sociale, et la dépression ny échappe pas. Ainsi,
selon le Dr Verrier, on a inventé le concept de burnout
pour éviter de parler de dépression. Il sagit
pourtant de la même maladie.
Le meilleur anti-dépresseur?
«Attaquez vite et fort», conseillent les médecins
devant le cas de M. Moody. Lhomme est sur le point de craquer;
il ne présente encore que des symptômes dépressifs;
le syndrome dépressif est à la porte. Réagir
trop timidement équivaudrait à le laisser sombrer.
Selon les animateurs, inutile de penser à la psychothérapie,
qui peut convenir à des cas légers ou modérés
(à condition dy mettre le temps) mais certainement pas
à des situations durgence comme celle-ci.
Il existe un arsenal de psychotropes de plus en plus sophistiqués
pour affronter le mal de lâme. Le Prozac et les tricycliques
sont de lhistoire ancienne même sils demeurent fort
utiles. Aujourdhui, on peut compter sur des inhibiteurs sélectifs
de la recapture de la sérotonine, des inhibiteurs réversibles
de la monoamine oxydase, des dérivés des phénéthylamines,
etc.
Bon nombre de questions de lauditoire ont dailleurs porté
sur la meilleure approche pharmaceutique. On observe en fait plusieurs
types de dépression, et il nexiste malheureusement pas
un produit qui soit universel et sans effets secondaires. Le Manerix,
par exemple, indiqué dans les cas de dépression anxieuse,
nest daucun effet pour contrer la dépression mélancolique.
Inutile de chercher à connaître tous les médicaments,
ils sont trop nombreux. «Apprenez à bien travailler avec
un ou deux produits de chaque classe, ce sera suffisant», propose
le Dr Verrier. La durée du traitement varie, mais sétend
habituellement sur une période de six mois après la
rémission.
Évidemment, tout cela semble simple, mais les déprimés
se présentent souvent avec dautres problèmes.
Plusieurs ont, notamment, des troubles de la personnalité qui
viennent compliquer le travail du médecin.
«Nous navons abordé que les cas de dépression
relativement simples, explique à Forum le Dr Verrier.
Ce sont ces cas que doivent traiter les omnipraticiens. Dans la pratique
dun spécialiste, on nous envoie des cas plus sévères.»
Un médicament peut navoir aucun effet sur la dépression
réfractaire par exemple. Il faut alors changer de classe de
médicaments. Si la dépression persiste, on parle alors
de «dépression rebelle». Le patient ne quitte plus
son lit, ne salimente plus. Une stratégie peut être
prescrite par le médecin: lélectro-convulso-thérapie,
mieux connue sous le nom d«électrochocs».
«Chaque semaine, les hôpitaux spécialisés
en donnent de 10 à 20 séances», explique le Dr
Verrier, qui prescrit cette approche de temps à autre.
Et ça marche? «Cest le meilleur antidépresseur»,
répond le médecin. Mais il est conscient de mettre le
pied sur un terrain glissant, car cette thérapie a fort mauvaise
presse.
Mathieu-Robert
Sauvé