Volume 35 numéro 15
11 décembre
2000


 


Vaincre la dépression: attaquer vite et fort!
Deux médecins informent leurs confrères des meilleures approches.

«La dépression, c’est comme une panne
d’essence; inutile de s’acharner sur le moteur, le problème est ailleurs», explique le Dr Paul Lefort, omnipraticien au Centre hospitalier Angrignon, quand il veut bien se faire
comprendre de ses patients.

Depuis quatre mois, Tristan Moody, 28 ans, ressent une fatigue chronique, a de la difficulté à se concentrer et a perdu de l’intérêt autant dans son travail que dans sa vie personnelle. Son appétit a diminué et il a maigri de quelques kilos. Déjà amateur de rhum, il boit deux fois plus que d’habitude, soit de cinq à six verres quotidiennement. De nature anxieuse, il craint de ne pas être en mesure de subvenir aux besoins de sa famille.

Lorsqu’il se présente chez son médecin, il semble en bonne possession de ses moyens; le clinicien note que son jugement et son autocritique sont valables, même s’il semble un peu agité durant l’examen.

Le Dr Pierre Verrier, psychiatre au CHUM, estime qu’il est essentiel de nommer le problème. «Ce qu’on appelle le burnout, c’est une dépression, et pas autre chose!»


«Quels sont les éléments cliniques qui soutiennent un diagnostic de dépression majeure dans le cas de M. Moody?» demandent les Drs Pierre Verrier et Paul Lefort à la trentaine d’omnipraticiens réunis dans une salle du Palais des congrès, à la rencontre annuelle de l’unité de formation professionnelle continue le 1er décembre dernier.

Élémentaire, mon cher docteur. Le patient présente depuis au moins deux semaines un minimum de cinq des neuf symptômes de la dépression majeure, selon la bible des spécialistes, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, dont une perte d’intérêt général. «Comme vous le savez, il n’est pas nécessaire d’être triste pour être dépressif, même si ce symptôme est très souvent présent», explique le Dr Lefort, omnipraticien au Centre hospitalier Angrignon.

Les troubles du sommeil, la perte d’appétit, la fatigue et la difficulté à se concentrer sont d’autres signes qui confirme l’état dépressif de M. Moody. Le patient n’en est qu’au début de sa dépression, c’est pourquoi le médecin doit être très attentif durant son examen.


Médecins recalés

Nouvelle question: quels éléments importants de l’histoire de cas sont absents? Cette fois, les participants à l’atelier seront recalés. La dépendance à l’alcool, l’anxiété et les autres problèmes de M. Moody ne doivent pas faire oublier que la plus grave conséquence de la dépression majeure est le suicide. «Quatre-vingts pour cent des gens qui se suicident ont clairement manifesté leur intention de passer aux actes. Le médecin omnipraticien est le professionnel le plus consulté par les suicidaires durant les jours précédant le geste. Il peut jouer un rôle important de prévention dans le dépistage des sujets à risque», dit le Dr Lefort.

Un événement qui paraît banal — chez un étudiant, un mauvais résultat à un test d’étape par exemple — peut s’avérer d’une importance extrême chez le patient assis dans le cabinet. «Abordez directement le sujet, conseille le Dr Verrier. Ce n’est pas votre patient qui va en parler. Comme médecin, vous devez avoir le réflexe d’y penser immédiatement.»

Les pertes récentes, la toxicomanie, le stress sont bien entendu de considérables facteurs de risque, mais un événement inattendu peut aussi provoquer une dépression. «Il est très dangereux de gagner à la loterie, signale, sans rire, le psychiatre du CHUM. Quelques chercheurs ont étudié les profils de gagnants et constaté qu’ils vivaient un stress énorme. Tous ne passent pas au travers...»

Le médecin doit savoir lire entre les lignes. Rarissimes sont les déprimés qui seraient capables de donner un nom à la souffrance qui les afflige. Ils diront qu’ils sont fatigués, qu’ils manquent d’énergie, qu’ils ont une «écoeurite» du travail. «Posez des questions ouvertes, recommande le psychiatre, n’interrompez pas votre patient et prenez le temps qu’il faut.»

La santé mentale subit encore de nos jours une stigmatisation sociale, et la dépression n’y échappe pas. Ainsi, selon le Dr Verrier, on a inventé le concept de burnout pour éviter de parler de dépression. Il s’agit pourtant de la même maladie.


Le meilleur anti-dépresseur?

«Attaquez vite et fort», conseillent les médecins devant le cas de M. Moody. L’homme est sur le point de craquer; il ne présente encore que des symptômes dépressifs; le syndrome dépressif est à la porte. Réagir trop timidement équivaudrait à le laisser sombrer.

Selon les animateurs, inutile de penser à la psychothérapie, qui peut convenir à des cas légers ou modérés (à condition d’y mettre le temps) mais certainement pas à des situations d’urgence comme celle-ci.

Il existe un arsenal de psychotropes de plus en plus sophistiqués pour affronter le mal de l’âme. Le Prozac et les tricycliques sont de l’histoire ancienne même s’ils demeurent fort utiles. Aujourd’hui, on peut compter sur des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, des inhibiteurs réversibles de la monoamine oxydase, des dérivés des phénéthylamines, etc.

Bon nombre de questions de l’auditoire ont d’ailleurs porté sur la meilleure approche pharmaceutique. On observe en fait plusieurs types de dépression, et il n’existe malheureusement pas un produit qui soit universel et sans effets secondaires. Le Manerix, par exemple, indiqué dans les cas de dépression anxieuse, n’est d’aucun effet pour contrer la dépression mélancolique.

Inutile de chercher à connaître tous les médicaments, ils sont trop nombreux. «Apprenez à bien travailler avec un ou deux produits de chaque classe, ce sera suffisant», propose le Dr Verrier. La durée du traitement varie, mais s’étend habituellement sur une période de six mois après la rémission.

Évidemment, tout cela semble simple, mais les déprimés se présentent souvent avec d’autres problèmes. Plusieurs ont, notamment, des troubles de la personnalité qui viennent compliquer le travail du médecin.

«Nous n’avons abordé que les cas de dépression relativement simples, explique à Forum le Dr Verrier. Ce sont ces cas que doivent traiter les omnipraticiens. Dans la pratique d’un spécialiste, on nous envoie des cas plus sévères.»

Un médicament peut n’avoir aucun effet sur la dépression réfractaire par exemple. Il faut alors changer de classe de médicaments. Si la dépression persiste, on parle alors de «dépression rebelle». Le patient ne quitte plus son lit, ne s’alimente plus. Une stratégie peut être prescrite par le médecin: l’électro-convulso-thérapie, mieux connue sous le nom d’«électrochocs». «Chaque semaine, les hôpitaux spécialisés en donnent de 10 à 20 séances», explique le Dr Verrier, qui prescrit cette approche de temps à autre.

Et ça marche? «C’est le meilleur antidépresseur», répond le médecin. Mais il est conscient de mettre le pied sur un terrain glissant, car cette thérapie a fort mauvaise presse.

Mathieu-Robert Sauvé