Le
nombre de dialysés doublera en six ans
Jocelyne
Saint-Arnaud étudie limpact de cette augmentation.
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Jocelyne
Saint-Arnaud mène actuellement une recherche sur
les 14 unités de dialyse du Québec, qui fonctionnent
à la limite de leurs capacités. Et lon
prévoit une augmentation substantielle des dialysés
dans les prochaines années. |
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À lâge
de 26 ans, Jean1 éprouve subitement des problèmes de
santé. Un examen révèle quun virus très
rare a attaqué ses reins. Sans le recours à lhémodialyse
un système extracorporel de filtration du sang ,
cest la mort au bout de quelques jours.
Cette histoire se déroulait en 1986. Quatorze ans plus tard,
Jean doit toujours se présenter à lhôpital,
trois fois par semaine, pour subir son traitement, qui dure près
de quatre heures. La greffe aurait été le seul espoir
de retrouver une vie normale, mais le rein quon lui a transplanté
en 1992 a provoqué chez lui une réaction de rejet si
violente quon la exclu de la liste dattente. Sa
survie ne tient quà la machine.
Lunité où il prend place est un corridor exigu
aménagé en toute hâte, «temporairement»,
une décennie plus tôt, dans un hôpital de Montréal.
Les infirmières, peu nombreuses et surmenées, sactivent
pour assister Jean et les 10 autres patients alités.
Le nombre de personnes sous dialyse rénale au Canada était
de 17 807 en 1996; il sera de 32 952 dans deux ans. Déjà,
le personnel soignant fonctionne à la limite de sa capacité.
Comment assurer légalité daccès à
ce coûteux service dans les prochaines années? Cest
ce que Jocelyne Saint-Arnaud, professeure à la Faculté
des sciences infirmières, cherche actuellement à savoir
dans le cadre dune vaste étude.
«À cause du petit nombre dappareils disponibles,
on a utilisé des critères sociaux pour sélectionner
les candidats pendant une dizaine dannées, dès
la mise au point de la technique de dialyse, a expliqué la
chercheuse dans une conférence donnée au 1er Congrès
international des infirmières et infirmiers de la francophonie,
le 20 novembre dernier, au Palais des congrès de Montréal.
Cest-à-dire quun père de famille avait plus
de chances davoir accès aux rares appareils quun
célibataire par exemple. Ou encore, on privilégiait
un chef dentreprise plutôt quun chômeur.»
En reviendra-t-on à se servir de tels critères pour
trier les malades qui ont droit à la vie et les autres? «Il
ne faudrait pas en arriver là, explique Mme Saint-Arnaud en
marge de la conférence. Mais je crois que nous avons la responsabilité
collective dexaminer ce problème de près.»
La rareté des ressources
En effet, 40 ans après linvention de lhémodialyse
(cest un chercheur de Seattle, Belding Shribner, qui a mis au
point la technique le 9 mars 1960), le personnel soignant est toujours
confronté à une situation de rareté des ressources.
Il parvient, tant bien que mal, à répondre à
la demande. Mais si le nombre de patients augmente de 85% en six ans,
comme laffirme létude citée par Mme Saint-Arnaud,
nul ne peut dire comment le système sadaptera.
Bien que sa recherche nen soit quà ses débuts,
la professeure Saint-Arnaud a déjà noté que les
patients qui souffrent de maladies diverses en plus de leur insuffisance
rénale ont plus de difficulté à subir les traitements.
Cest que lhémodialyse nest pas une sinécure.
Il faut être drôlement solide pour passer à travers.
Jean, par exemple, arrive épuisé à chacun de
ses traitements. Normal: pendant deux à trois jours, les déchets
et leau se sont accumulés dans son sang, car il ne les
a pas éliminés par les voies naturelles. Lhémodialyse
lui permet deffectuer un nettoyage salutaire mais avec une conséquence
peu banale: il «maigrit» de cinq kilos en une seule séance.
Compte tenu du vieillissement de la population, tous nauront
pas la force morale et physique de Jean. Et plusieurs souffriront
de problèmes cardiaques, neurologiques et autres en plus de
leur insuffisance rénale. «Notre système investit
beaucoup dans la technologie. Cest bien beau, mais cela pose
des problèmes inédits, affirme Mme Saint-Arnaud. À
cause du coût des médicaments et du coût des techniques,
il va falloir repenser notre façon de distribuer les soins.»
Pourra-t-on offrir un accès universel aux soins de santé
en sachant que certains candidats ne feront quallonger les listes
dattente? «Je nai pas de réponse à
cela, mais les professionnels ont une responsabilité sociale
à assumer.»
Portrait de la situation
Cette recherche, financée par le Conseil de recherches en sciences
humaines, est menée en collaboration avec les professeures
Louise Bouchard, de lUniversité dOttawa, et Carmen
Loiselle, de lUniversité McGill, et le psychiatre Pierre
Verrier, du CHUM. Elle consiste en une sollicitation auprès
de plusieurs centaines de personnes dans 14 hôpitaux québécois.
Patients, médecins, infirmières et autres intervenants
seront appelés à remplir un questionnaire ou à
livrer leur témoignage dans des entretiens individuels et de
groupe.
Déjà, des opinions différentes apparaissent.
Si un patient demande de cesser les traitements dhémodialyse
et que léquipe soignante accepte, comment qualifier la
décision de cette dernière? Certains considèrent
la cessation des traitements comme un suicide assisté et dautres
croient au contraire quil sagit dune bonne pratique
médicale. Chez les patients, un certain nombre la qualifient
deuthanasie.
«Nous voyons déjà que les perceptions varient
dune personne à lautre selon la position occupée.
Notre recherche permettra en tout cas de présenter un tableau
complet de la situation», dit Mme Saint-Arnaud.
Beau débat en perspective.
Mathieu-Robert
Sauvé
1 Nom fictif. Le cas présenté ici est
bien réel, mais il ne fait pas partie de léchantillonnage
de la recherche dont il est question.