Au
secours Darwin!
Les
créationnistes sont dans nos murs. Y a-t-il péril en
la demeure ou doit-on les ignorer?
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Il
ne faut pas laisser le terrain libre aux créationnistes,
estime David Morse. |
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La Terre a 10000
ans, les continents flottent sur leau, lévolution
va à lencontre de la thermodynamique, le hasard nexiste
pas et lévolutionnisme est une religion. Voilà
quelques vérités quon a pu apprendre au cours
du débat organisé par le Groupe biblique universitaire
(GBU) le 23 novembre dernier où se se sont opposées
les positions créationnistes et évolutionnistes sur
lorigine de la vie.
Alors que les chercheurs sont plutôt portés à
ignorer de tels débats afin déviter de donner
une tribune aux pseudosciences, David Morse, professeur au Département
de biologie, a accepté linvitation du GBU «parce
que, dit-il, garder le silence serait une reconnaissance tacite de
leurs thèses. Les créationnistes sont très bien
organisés pour diffuser leurs points de vue et ils vont le
faire même si nous ne participons pas à ces échanges.
Il est important dy être afin de présenter les
arguments allant à lencontre de ces faussetés.»
Lautomne dernier, lUniversité McGill organisait
une série de cinq conférences pour vulgariser lévolutionnisme
et contrer la vague de créationnisme qui déferle sur
les États-Unis.
Désinformation
Le professeur Morse na pas nécessairement eu la tâche
facile par rapport à son vis-à-vis Laurence Tisdall,
un «créationniste scientifique», fondateur de lAssociation
de science créationniste du Québec, qui débat
à la manière et avec laisance dun preacher.
Soutenant son propos avec du matériel éprouvé
et efficace, Laurence Tisdall nen a pas moins livré un
discours quon peut qualifier de désinformation pseudoscientifique
difficile à rectifier en une seule soirée.
«Il a mentionné des études difficiles daccès,
comme un texte de Gentry sur la radioactivité des fossiles
publié dans Science, mais faussement présentées,
a souligné à Forum David Morse. Jai lu ce texte
et il est impossible den arriver aux conclusions de lauteur
avec les données exposées. Laurence Tisdall ne retient
quune phrase des considérations personnelles de lauteur.»
Le procédé utilisé est fort simple: mettre en
évidence les incertitudes affichées par la biologie,
la génétique, la géologie et lastrophysique
ou encore les imprécisions des méthodes de datation
des fossiles afin de démontrer que lévolutionnisme
ne repose sur rien de fiable. Le tout appuyé par des bribes
de phrases de scientifiques de renom comme Stanley Miller, Francis
Crick, Stephen Jay Gould, Mendel ou Darwin lui-même, servies
comme autant darguments de preuve.
«Lévolutionnisme et le créationnisme sont
deux croyances», en déduit Laurence Tisdall, martelant
que «lévolutionnisme est une religion».
Un de ces arguments contre lévolutionnisme est quil
ny aurait pas de mutations génétiques positives
observées dans la nature. Le professeur Morse a fourni lexemple
des superbactéries résistantes aux antibiotiques. Un
étudiant de lassistance a voulu apporter lexemple
de la mutation, chez certaines populations africaines, dun gène
codant pour la globine et qui protège contre la malaria. Il
sest toutefois fait fermer le micro par lanimateur du
Groupe biblique.
Autre argument contre lévolutionnisme: la deuxième
loi de la thermodynamique enseigne que la dégradation de lénergie
entraîne un désordre toujours croissant de la matière,
ce qui conduit de lordonné vers le désordonné,
alors que lévolutionnisme enseigne que la matière
et la vie vont du simple vers le complexe.
«La deuxième loi de la thermodynamique nest vraie
quen milieu fermé où il ny a pas dapport
énergétique, a précisé le professeur.
Ce nest pas le cas pour la Terre, qui reçoit continuellement
de lénergie du Soleil.»
En postulant que la vie provient de composés chimiques, lévolutionnisme
contredirait la loi de la biogenèse voulant que la vie ne provienne
que de la vie. «Cest vrai pour les organismes vivants
tels que nous les connaissons aujourdhui, mais personne ne sait
si cela a toujours été le cas, réplique David
Morse. Si lon part des atomes, les probabilités de parvenir
à des êtres vivants par le simple hasard sont pratiquement
nulles. Mais si lon part des molécules présentes
dans latmosphère originelle, on peut arriver à
produire des acides aminés.»
Finalement, le talon dAchille de la théorie de lévolution
serait la complexité irréductible: on ne peut réduire
la complexité dun organisme tout en conservant sa fonctionnalité
alors que, sil y a eu évolution, les organismes, organes
ou tissus ont forcément déjà été
moins complexes. À quoi pourrait servir, par exemple, un système
visuel inachevé?
Mais cest mal poser la question. «La nature ne fait jamais
rien à partir de zéro, rappelle le professeur. Des protéines
entrant dans la fabrication des structures de loeil pouvaient
remplir dautres fonctions dans dautres organismes.»
En fait, on connaît assez bien les phases dévolution
du système visuel, à partir dune simple cellule
photosensible jusquà loeil le plus perfectionné
et, pour chacune des étapes, le système est fonctionnel.
Ultime argument: «Je croirai à la théorie de lévolution
lorsque je verrai une maison se construire toute seule», a déclaré
Laurence Tisdall, suscitant les applaudissements de plus de la moitié
des quelque 350 universitaires présents.
La cerise et le Déluge
David Morse sest par ailleurs avoué sidéré
devant certaines affirmations lancées par Laurence Tisdall,
qui est titulaire dune maîtrise en micropropagation. «Il
explique la distribution des fossiles du plus simple au plus
complexe en remontant dans les couches de sol par un effet
du Déluge: les organismes plus complexes sont les plus intelligents
et ils ont pu monter plus haut sur les montagnes pour échapper
au cataclysme! Je ne peux rien faire si des gens acceptent de telles
idées contre tout bon sens.»
Il y a pire: avant le Déluge, la planète était
totalement recouverte par une croûte terrestre emprisonnant
un océan sous-terrain. Sous la pression de leau, cette
croûte sest fissurée et une partie de leau
est remontée à la surface: ce fut le déluge biblique.
Mais la Bible ne dit-elle pas que le Déluge fut le résultat
de 40 jours de pluie?
Groupe créationniste
Si lon peut trouver les réponses aux arguments du «créationnisme
scientifique» dans tout ouvrage dévolutionnisme
101, pourquoi des étudiants ont-ils voulu donner une tribune
à de tels propos?
«Nous avons voulu présenter les fondements scientifiques
des deux hypothèses pour montrer quil ne sagit
pas dun débat entre science et religion mais entre deux
théories scientifiques», a soutenu Maryse Fournier, une
diplômée de deuxième cycle en théologie
et membre du GBU, montrant par ses propos quelle partage la
vision du «créationniste scientifique». «Lévolution
nest pas un fait et le créationnisme est un outil»,
a-t-elle ajouté en réponse au journaliste éberlué.
Lanimateur, Bertrand Blais, étudiant à la maîtrise
en théologie, a également admis ses convictions créationnistes
en sappuyant notamment sur la quantité de poussière
à la surface de la Lune. «Si la Lune était aussi
vieille quon le dit, elle devrait être recouverte de plus
dun mètre de poussière; mais il ny en a
que quelques centimètres, ce qui montre quelle est beaucoup
plus jeune.»
En dernière analyse, David Morse reconnaît que lattitude
scientifique est désavantagée dans un tel débat.
«Les chercheurs sont habitués à se poser des questions
parce quils ne savent pas tout. Les créationnistes disent
Nous, nous savons, donc nous avons raison. Si lon
se dit que ce quon observe est le fruit de la volonté
de Dieu, il ny a plus de questions à se poser, plus rien
à tester. Ne pas tenir compte de lobservation napporte
aucun avantage ni à la science ni à la religion.»
Parmi les outils de Laurence Tisdall, on remarque dailleurs
ce titre de conférence fort éloquent: «Comment
débattre avec un évolutionniste et ne jamais perdre.»
Et sans doute les gens dapplaudir.
Daniel
Baril