Volume 35 numéro 14
4 décembre
2000


 


Au secours Darwin!
Les créationnistes sont dans nos murs. Y a-t-il péril en la demeure ou doit-on les ignorer?

Il ne faut pas laisser le terrain libre aux créationnistes, estime David Morse.

La Terre a 10000 ans, les continents flottent sur l’eau, l’évolution va à l’encontre de la thermodynamique, le hasard n’existe pas et l’évolutionnisme est une religion. Voilà quelques vérités qu’on a pu apprendre au cours du débat organisé par le Groupe biblique universitaire (GBU) le 23 novembre dernier où se se sont opposées les positions créationnistes et évolutionnistes sur l’origine de la vie.

Alors que les chercheurs sont plutôt portés à ignorer de tels débats afin d’éviter de donner une tribune aux pseudosciences, David Morse, professeur au Département de biologie, a accepté l’invitation du GBU «parce que, dit-il, garder le silence serait une reconnaissance tacite de leurs thèses. Les créationnistes sont très bien organisés pour diffuser leurs points de vue et ils vont le faire même si nous ne participons pas à ces échanges. Il est important d’y être afin de présenter les arguments allant à l’encontre de ces faussetés.»

L’automne dernier, l’Université McGill organisait une série de cinq conférences pour vulgariser l’évolutionnisme et contrer la vague de créationnisme qui déferle sur les États-Unis.


Désinformation
Le professeur Morse n’a pas nécessairement eu la tâche facile par rapport à son vis-à-vis Laurence Tisdall, un «créationniste scientifique», fondateur de l’Association de science créationniste du Québec, qui débat à la manière et avec l’aisance d’un preacher. Soutenant son propos avec du matériel éprouvé et efficace, Laurence Tisdall n’en a pas moins livré un discours qu’on peut qualifier de désinformation pseudoscientifique difficile à rectifier en une seule soirée.

«Il a mentionné des études difficiles d’accès, comme un texte de Gentry sur la radioactivité des fossiles publié dans Science, mais faussement présentées, a souligné à Forum David Morse. J’ai lu ce texte et il est impossible d’en arriver aux conclusions de l’auteur avec les données exposées. Laurence Tisdall ne retient qu’une phrase des considérations personnelles de l’auteur.»

Le procédé utilisé est fort simple: mettre en évidence les incertitudes affichées par la biologie, la génétique, la géologie et l’astrophysique ou encore les imprécisions des méthodes de datation des fossiles afin de démontrer que l’évolutionnisme ne repose sur rien de fiable. Le tout appuyé par des bribes de phrases de scientifiques de renom comme Stanley Miller, Francis Crick, Stephen Jay Gould, Mendel ou Darwin lui-même, servies comme autant d’arguments de preuve.

«L’évolutionnisme et le créationnisme sont deux croyances», en déduit Laurence Tisdall, martelant que «l’évolutionnisme est une religion».

Un de ces arguments contre l’évolutionnisme est qu’il n’y aurait pas de mutations génétiques positives observées dans la nature. Le professeur Morse a fourni l’exemple des superbactéries résistantes aux antibiotiques. Un étudiant de l’assistance a voulu apporter l’exemple de la mutation, chez certaines populations africaines, d’un gène codant pour la globine et qui protège contre la malaria. Il s’est toutefois fait fermer le micro par l’animateur du Groupe biblique.

Autre argument contre l’évolutionnisme: la deuxième loi de la thermodynamique enseigne que la dégradation de l’énergie entraîne un désordre toujours croissant de la matière, ce qui conduit de l’ordonné vers le désordonné, alors que l’évolutionnisme enseigne que la matière et la vie vont du simple vers le complexe.

«La deuxième loi de la thermodynamique n’est vraie qu’en milieu fermé où il n’y a pas d’apport énergétique, a précisé le professeur. Ce n’est pas le cas pour la Terre, qui reçoit continuellement de l’énergie du Soleil.»

En postulant que la vie provient de composés chimiques, l’évolutionnisme contredirait la loi de la biogenèse voulant que la vie ne provienne que de la vie. «C’est vrai pour les organismes vivants tels que nous les connaissons aujourd’hui, mais personne ne sait si cela a toujours été le cas, réplique David Morse. Si l’on part des atomes, les probabilités de parvenir à des êtres vivants par le simple hasard sont pratiquement nulles. Mais si l’on part des molécules présentes dans l’atmosphère originelle, on peut arriver à produire des acides aminés.»

Finalement, le talon d’Achille de la théorie de l’évolution serait la complexité irréductible: on ne peut réduire la complexité d’un organisme tout en conservant sa fonctionnalité alors que, s’il y a eu évolution, les organismes, organes ou tissus ont forcément déjà été moins complexes. À quoi pourrait servir, par exemple, un système visuel inachevé?

Mais c’est mal poser la question. «La nature ne fait jamais rien à partir de zéro, rappelle le professeur. Des protéines entrant dans la fabrication des structures de l’oeil pouvaient remplir d’autres fonctions dans d’autres organismes.» En fait, on connaît assez bien les phases d’évolution du système visuel, à partir d’une simple cellule photosensible jusqu’à l’oeil le plus perfectionné et, pour chacune des étapes, le système est fonctionnel.

Ultime argument: «Je croirai à la théorie de l’évolution lorsque je verrai une maison se construire toute seule», a déclaré Laurence Tisdall, suscitant les applaudissements de plus de la moitié des quelque 350 universitaires présents.


La cerise et le Déluge

David Morse s’est par ailleurs avoué sidéré devant certaines affirmations lancées par Laurence Tisdall, qui est titulaire d’une maîtrise en micropropagation. «Il explique la distribution des fossiles — du plus simple au plus complexe en remontant dans les couches de sol — par un effet du Déluge: les organismes plus complexes sont les plus intelligents et ils ont pu monter plus haut sur les montagnes pour échapper au cataclysme! Je ne peux rien faire si des gens acceptent de telles idées contre tout bon sens.»

Il y a pire: avant le Déluge, la planète était totalement recouverte par une croûte terrestre emprisonnant un océan sous-terrain. Sous la pression de l’eau, cette croûte s’est fissurée et une partie de l’eau est remontée à la surface: ce fut le déluge biblique. Mais la Bible ne dit-elle pas que le Déluge fut le résultat de 40 jours de pluie?


Groupe créationniste

Si l’on peut trouver les réponses aux arguments du «créationnisme scientifique» dans tout ouvrage d’évolutionnisme 101, pourquoi des étudiants ont-ils voulu donner une tribune à de tels propos?

«Nous avons voulu présenter les fondements scientifiques des deux hypothèses pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un débat entre science et religion mais entre deux théories scientifiques», a soutenu Maryse Fournier, une diplômée de deuxième cycle en théologie et membre du GBU, montrant par ses propos qu’elle partage la vision du «créationniste scientifique». «L’évolution n’est pas un fait et le créationnisme est un outil», a-t-elle ajouté en réponse au journaliste éberlué.

L’animateur, Bertrand Blais, étudiant à la maîtrise en théologie, a également admis ses convictions créationnistes en s’appuyant notamment sur la quantité de poussière à la surface de la Lune. «Si la Lune était aussi vieille qu’on le dit, elle devrait être recouverte de plus d’un mètre de poussière; mais il n’y en a que quelques centimètres, ce qui montre qu’elle est beaucoup plus jeune.»

En dernière analyse, David Morse reconnaît que l’attitude scientifique est désavantagée dans un tel débat. «Les chercheurs sont habitués à se poser des questions parce qu’ils ne savent pas tout. Les créationnistes disent “Nous, nous savons, donc nous avons raison”. Si l’on se dit que ce qu’on observe est le fruit de la volonté de Dieu, il n’y a plus de questions à se poser, plus rien à tester. Ne pas tenir compte de l’observation n’apporte aucun avantage ni à la science ni à la religion.»

Parmi les outils de Laurence Tisdall, on remarque d’ailleurs ce titre de conférence fort éloquent: «Comment débattre avec un évolutionniste et ne jamais perdre.»

Et sans doute les gens d’applaudir.

Daniel Baril