«Un
homme sur deux est une femme»
Louise-L.
Larivière veut en finir avec les ennemis de la féminisation
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Louise-L.
Larivière, Pourquoi en finir avec la féminisation
linguistique ou à la recherche des mots perdus, Montréal,
Boréal, 2000, 145 pages, 16,95$. À noter,
ce livre trouvera sous peu son prolongement
dans un livre numérique sur le site <00h00.com>.
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Lhomme
est un mammifère, car il allaite ses petits»; «Un
homme sur deux est une femme»; «La gestation, chez lhomme,
dure neuf mois».
Ces expressions, tirées de divers écrits grammaticalement
corrects, illustrent à merveille ce qui irrite la linguiste
Louise-L. Larivière. Dans Pourquoi en finir avec la féminisation
linguistique ou à la recherche des mots perdus, quelle
vient de publier chez Boréal, elle donne maints exemples de
la «masculinisation injustifiée de la langue [qui] a
eu pour conséquence de masquer la présence de la femme».
Comme le titre ne lindique pas, la chargée de cours au
Département de linguistique et de traduction prend fermement
position en faveur de la féminisation du français. Si
les utilisateurs de cette langue vivante doivent transgresser au passage
quelques règles ou us, quils aient la conscience tranquille.
«Oui,
il faut parfois forcer lusage», précise-t-elle
en entrevue. Devant celle qui désire se faire appeler «madame
le doyen» ou «madame le directeur» (un problème
que Forum rencontre à loccasion), elle plaide pour la
féminisation. «Je ne peux pas décider de former
le pluriel du mot pneu avec un x. Il existe une forme
féminisée pour les fonctions; on doit donc lutiliser.»
Que des siècles dusage aient fait de la supériorité
masculine une règle grammaticale en béton ne saurait
faire oublier que ce choix nest pas innocent. Dailleurs,
à lorigine, le latin homo désignait les
deux sexes alors que vir désignait lhomme et mulier,
la femme. Pour une raison qui se perd dans la nuit des temps, homo
est devenu «homme» et vir a été oublié.
Faut-il remonter aux origines latines pour expliquer la misogynie
larvée de la langue? En tout cas, 2000 ans après Jésus-Christ,
quand des hommes prennent dassaut une profession, celle-ci gagne
soudain en prestige. Les infirmières ne sont plus des nurses
depuis quelles comptent dans leurs rangs des infirmiers. On
ne parle plus dhôtesses de lair mais dagents
et agentes de bord. De même, des qualificatifs flatteurs comme
«un vieux maître» et «un homme public»
deviennent au féminin plutôt gênants: «une
vieille maîtresse»; «une femme publique».
Par contre, quand des hommes ont joint les rangs des sages-femmes,
en France, on a soudainement trouvé un terme élégant
pour les désigner: maïeuticien.
Il nest pas innocent quon ait pris quatre siècles
à masculiniser le terme «prostituée». Les
dictionnaires davant 1993 présentaient ce mot comme exclusivement
féminin! «Faudra-t-il attendre aussi longtemps pour que
les termes professeur, auteur,
écrivain et autres titres professionnels
aient une acception féminine?» sinterroge
lauteure.
Québécois, debout!
Dans le court ouvrage de Mme Larivière, le lecteur trouve plusieurs
exemples de la «masculinisation injustifiée» de
la langue de Molière. De grands auteurs comme Roland Barthes
ny échappent pas: «Lécrivain est un
homme qui absorbe le pourquoi du monde»
Et cette perle,
tirée de la traduction française dun roman récent
de Marian Hengel: «Le rejeton dune femme et dun
ours est un héros. Il possède la force de lours
et lintelligence de lhomme.»
La linguiste nest pas convaincue quune femme puisse honnêtement
se reconnaître dans de telles affirmations. Les membres de lAcadémie
française, Maurice Druon en tête, soulignent le caractère
neutre du générique masculin. Mais les «immortels»
de son espèce exigent pour leurs collègues féminines
quon les affuble dun imprononçable «Madame
lacadémicien». Cette formule est «un affreux
solécisme ou, si vous préférez, une grosse faute
de syntaxe», martèle la linguiste. Gênant pour
de prétendus «gardiens de la langue».
La France nest certes pas un modèle de progressisme en
la matière. Une commission de terminologie a été
créée en 1983 et ses recommandations ont été
ignorées. Tant dans les médias que dans les milieux
lettrés, on parle avec mépris, très souvent,
des initiatives du Québec pour féminiser des termes
comme «recteur», «ingénieur», «député»,
etc.
Un phénomène international
Mme Larivière (qui enseigne également à lUniversité
Concordia) explique dans son livre que le phénomène
de la féminisation de la langue nest pourtant pas exclusif
au français. Dès 1975, les Américains abolissaient
toute référence au sexe dans les titres professionnels.
Des pays multilingues comme la Suisse et la Belgique ont adopté
par la suite des mesures similaires. Le cas canadien est cocasse:
voulant agir rapidement dans le sillage de linitiative américaine,
les fonctionnaires de la capitale fédérale ont féminisé
la plupart des textes officiels de langue anglaise ou trouvé
des termes épicènes. Dans la seconde langue officielle,
les choses nont pas été si simples. Les ouvrages
de référence manquaient. En réalité, tout
était à faire.
La spécialiste rappelle que lexpression «droits
de la personne», qui a remplacé au Québec «droits
de lhomme» sans provoquer lire, fait encore regimber
les traditionalistes de lHexagone. «Cest du canadien,
du québécois, du langage des Nations Unies, du politiquement
correct, mais ce nest certainement pas du français»,
lance le garde des Sceaux Jacques Toubon lorsque des collègues
veulent remplacer le mot «homme» par le mot «personne»
dans le serment des jurés. Dans le texte litigieux, ceux-ci
doivent sengager à faire preuve de «limpartialité
et [de] la fermeté qui conviennent à un homme probe
et libre».
Les propos de Jacques Toubon nont convaincu personne, mais illustrent
la résistance de la République en matière de
réforme de la langue. Cependant, cela dénote un problème
plus profond, selon Mme Larivière. «Les députées,
en France, sont régulièrement insultées, simplement
parce que ce sont des femmes. Cest inadmissible.»
Par opposition, le Québec mérite des éloges.
«LOffice de la langue française a joué un
rôle avant-gardiste depuis les années 70. Il y a encore
du travail à faire, mais la féminisation est une tendance
que nul ne pourra empêcher, quon lappuie ou pas.»
Ce livre est à lire même si le titre porte à confusion.
Mathieu-Robert
Sauvé