Volume 35 numéro 14
4 décembre 2000


 


Un médecin chez les infirmières
Spécialiste en santé communautaire, Christine Colin estime avoir beaucoup d’affinités avec cette profession en mutation.

«J’ai un intérêt farouche pour tout ce qui touche la prévention et la promotion de la santé», déclare la doyenne Christine Colin.

«Je ne suis pas ici parce que je suis médecin. Ça fait tout simplement partie de mon CV», précise la nouvelle doyenne de la Faculté des sciences infirmières.

Si Christine Colin a été approchée par l’Université pour occuper ce poste, c’est d’abord pour sa solide expérience de gestionnaire en santé publique et communautaire dans le réseau de la santé. Elle a été notamment directrice du Département de santé communautaire du Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont, puis, de 1993 à 1998, sous-ministre adjointe et directrice générale de la santé publique au ministère de la Santé et des Services sociaux. Le fait d’avoir participé aux discussions qui ont mené à la transformation du réseau de la santé sous le ministre Jean Rochon l’a convaincue du rôle majeur que joue l’infirmière dans ces changements.

Son travail en santé communautaire et ses préoccupations de recherche ont également contribué à rapprocher Christine Colin des infirmières depuis le début de sa carrière. Entre autres, grâce au programme Naître égaux et grandir en santé implanté dans les CLSC pour aider les femmes de milieux défavorisés pendant leur grossesse. «L’excellente collaboration des infirmières dans la réalisation de ce projet m’a donné une bonne idée du rôle que joue l’infirmière en milieu ambulatoire. Aussi, de par ma spécialité en santé publique, je suis très orientée vers les approches multidisciplinaires et globales et vers la prévention. Or, ce sont là des approches qui sont au coeur des orientations actuelles de la profession d’infirmière. Bien sûr, beaucoup d’infirmières travaillent dans les hôpitaux. Encore là, ma vision du développement à venir de la profession est proche des besoins que je perçois dans le milieu hospitalier.»


La pratique avancée

La question de la pratique avancée, qui consiste à faire en sorte que des infirmières praticiennes puissent accomplir des actes médicaux jusque-là réservés aux médecins, est un des dossiers prioritaires de la doyenne Colin. L’infirmière praticienne, réclamée à la commission Clair par l’Ordre des infirmières et infirmiers et par les hôpitaux, pourrait bientôt faire l’objet d’une reconnaissance officielle, si l’on en croit les propos récents de la ministre de la Santé et des Services sociaux, Pauline Marois. La Faculté doit donc élaborer un nouveau programme qui viendra s’ajouter à ceux qu’elle compte déjà et qui mènent aux titres d’infirmière clinicienne (baccalauréat) et d’infirmière spécialisée (maîtrise professionnelle). L’infirmière praticienne pourrait jouer un rôle accru en néonatologie, en hémodialyse, en insulinothérapie, en réanimation ainsi qu’aux urgences et aux soins intensifs.

«Il ne s’agit pas d’une assistance médicale mais bien d’un ajout à la profession avec des connaissances supplémentaires qui permettra à l’infirmière d’intervenir davantage sur les plans du diagnostic et de la prise en charge du patient, constate Christine Colin. Mais il faut d’abord que le Collège des médecins et l’Ordre des infirmières et infirmiers arrivent à une entente.»

Comme des médecins réclament la venue de cette super-infirmière surtout aux urgences, la chose pourrait aller assez rondement, d’autant plus que la praticienne est déjà reconnue aux États-Unis et dans plusieurs provinces canadiennes. Mme Colin, qui siège au comité de suivi du Forum sur les urgences en tant que représentante de la CREPUQ, croit cependant que la réflexion qu’amorce sa faculté sur le sujet devrait se faire avec les autres facultés des sciences infirmières du Québec.


Formation intégrée D.E.C.-baccalauréat

Autre dossier prioritaire de la doyenne: la formation intégrée de cinq ans D.E.C.-baccalauréat. En effet, environ 25% des étudiantes se présentent à l’Université non pas avec un D.E.C. général mais avec un D.E.C. en sciences infirmières obtenu au cégep, ce qui nécessite la coexistence à la Faculté de deux profils de formation au baccalauréat.

Le ministre de l’Éducation François Legault a donc demandé à un comité de lui faire des recommandations sur une formation intégrée pour l’entrée dans la profession. Mme Colin considère que le Québec accuse un certain retard en matière de formation par rapport aux États-Unis, où le baccalauréat est obligatoire pour accéder à la profession d’infirmière. Il en sera de même en Ontario à compter de 2005.

«La formation universitaire permet un meilleur jugement clinique et prépare mieux à un travail communautaire, signale la doyenne. Lorsque, par exemple, une infirmière est seule au domicile d’un patient et que celui-ci décompense, elle doit avoir été préparée à faire face à ce genre de situation pour savoir comment s’y prendre.» L’intégration des programmes des deux ordres d’enseignement permettra aussi d’éviter les chevauchements pour celles qui poursuivent leurs études à l’université.


Formation clinique et recherche

Au moment où il y a pénurie d’infirmières et où celles qui sont en poste sont débordées, la Faculté doit demander à quelque 160 à 200 infirmières de participer à la formation d’une stagiaire chacune pendant plusieurs semaines, et ce, avec des moyens négligeables. «Il faut augmenter le nombre de professeurs de clinique et aussi améliorer la reconnaissance de ce travail très exigeant, signale Christine Colin. Cette partie de la formation est méconnue, sous-évaluée et sous-financée.» Elle tient cependant à préciser que la collaboration des centres et instituts affiliés, particulièrement des directions des soins infirmiers, est excellente. «C’est d’ailleurs avec eux que nous voulons réfléchir sur nos programmes de formation.»

Enfin, la doyenne croit que la Faculté, qui a fait de grands pas en recherche depuis une dizaine d’années, doit continuer de développer la recherche clinique et les connaissances en évaluation des interventions. Cette recherche a des retombées non seulement sur la qualité de vie du patient mais aussi sur les coûts du système. «Une intervention efficace permet dans bien des cas d’éviter une réhospitalisation.»

Mme Colin, qui se passionne pour tout ce qui touche la prévention et la promotion de la santé, fait partie d’une équipe de chercheurs en sciences infirmières et en médecine sociale et préventive dont les travaux portent sur la périnatalité en milieu défavorisé.

La Faculté a connu une augmentation de 20% de ses inscriptions au baccalauréat. Elle compte maintenant environ 1250 étudiants au baccalauréat dont 14% sont des hommes. Une trentaine d’étudiantes sont inscrites au doctorat dans un programme donné conjointement avec l’Université McGill. Mais il faudra voir à revaloriser cette profession si l’on veut continuer d’y intéresser les jeunes. Et cette valorisation ne tient pas qu’à la formation, observe Christine Colin. Elle tient aussi aux conditions de travail dans le milieu et à la rémunération. Or, en 1998, seulement la moitié des infirmières avaient un poste régulier à temps plein et 18% avaient un poste temporaire à temps partiel.

Françoise Lachance